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Actualités - OPINIONS

Salut les artistes !

La disparition d’un être humain en fait parfois apparaître d’autres. Cousins éloignés, amis d’enfance perdus de vue, la chaîne des proches se resserre, le temps pour chacun de recueillir une bribe de lui-même sur l’aura qui s’en va. Reda Khoury est partie la semaine dernière, et la grande famille du théâtre libanais s’est regroupée autour de son souvenir. C’était l’occasion pour le grand public de découvrir qu’il existe bien une «grande famille du théâtre libanais», et même un théâtre libanais tout court. Je vous parle d’un temps... Années soixante, ils ont sorti le théâtre de la seule place qui lui était réservée : la salle des fêtes de leurs collèges. Explosion du langage, prodigieuse économie du geste (qui a dit que sur les planches, il faut bouger pour exister ?), belle appropriation du patrimoine mondial, belles réalisations du cru. Mais aussi : engagement absolu des femmes sur ce carré de liberté, espace vide, ouvert sur d’autres, à l’infini. On ne tirera pas ici sur la ficelle des libertés différées de la scène et du carnaval et la folie admise des bouffons. Mais bon, à une époque où «artiste» au féminin suggérait un tout autre répertoire, s’accrocher à cet art là tenait de la rage. Et le public a suivi, magnifique, avec de grandes oreilles pour entendre, et les yeux grands ouverts. Il en voulait, il en a eu. En retour, il a offert à ses dames des ovations mémorables. Sitt Reda, sitt Nidal, sitt Latifé, sitt Renée, que votre talent soit ici salué. Vous avez tracé un sentier, et des badauds qui s’y arrêtaient vous avez fait des spectateurs. Le sentier est aujourd’hui une autoroute. Mais sur les autoroutes, les passants sont bien rares... Dans un autre registre, cette semaine dans le Nouvel Obs, une page d’Angelo Rinaldi sur Dawn Powell, romancière américaine des années 30, morte en 1965. Le sujet : deux écrivains et une femme, abandons, trahisons, ambitions, solidarité féminine, désillusions, mondanité et accessoires futiles d’une époque paradoxalement vouée à la misère économique sur fond de fête permanente. «Tourne, roue magique» nous intéresse surtout parce que c’est notre collaboratrice Mirèse Akar qui en signe la traduction. Et si Rinaldi omet de toucher un mot sur ce travail, il n’en traite pas moins le roman comme s’il avait été écrit en français, ce qui en soi est un compliment. Il n’empêche : nous relevons : «Son ironie à la fin de tant de phrases est comme le pouce du pianiste, qui, glissant sous les autres, assure, par son toucher, la cohésion des précédentes notes». Qu’une telle ironie traverse, intacte, la barrière des langues et rende avec fidélité la petite musique du texte valait bien un coup de chapeau ! Enfin, cette évocation du pouce nous renvoie – par association d’idées – au carnet de notes de «Mémoires d’Hadrien» où Yourcenar compare celui qui écrit l’histoire d’un autre au sorcier qui se taillade le pouce afin que les ombres, pour obéir à son appel, viennent y laper son sang. Salut les artistes, et gare à l’anémie !
La disparition d’un être humain en fait parfois apparaître d’autres. Cousins éloignés, amis d’enfance perdus de vue, la chaîne des proches se resserre, le temps pour chacun de recueillir une bribe de lui-même sur l’aura qui s’en va. Reda Khoury est partie la semaine dernière, et la grande famille du théâtre libanais s’est regroupée autour de son souvenir....