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Actualités - INTERVIEWS

LIBAN-SYRIE - Une interview à « L’Orient-Le Jour » du chef du PSP après sa « réhabilitation » - Joumblatt : Je ne me rétracte pas

Il y a parfois des silences assourdissants : on n’entend qu’eux. Et certains durent longtemps, trop longtemps si l’on en croit la rue libanaise, si l’on s’amuse à surprendre des conversations de comptoir, là où le peuple, toutes classes confondues, ose refaire le Liban, là où, en principe, aucun agent d’un quelconque «service de sécurité» ne viendra (les) écouter. Pour une grande majorité des Libanais, donc, il était temps que Walid Joumblatt sorte du mutisme qu’il s’était, bon gré mal gré, imparti. Voilà qui est fait : avant-hier pour la BBC, hier pour «L’Orient-Le Jour», le leader du PSP a retrouvé la parole – publique –, tout comme les prises de position politiques claires, nettes, sans concessions et sans ambages auxquelles il avait habitué, depuis maintenant plusieurs mois, ses concitoyens. Un petit retour en arrière, un certain samedi 4 novembre 2000, deuxième jour du débat de confiance, place de l’Étoile, le tout nouveau gouvernement Hariri au complet sur ses bancs, l’hémicycle bien plein, Walid Joumblatt dit son discours. Il développe, posé mais un brin sarcastique, les mêmes idées en faveur desquelles il plaide depuis quelques mois, farouchement, inlassablement : «Si la présence syrienne au Liban est nécessaire, qu’on précise pourquoi. Si elle est légale, pourquoi donc la déclaration ministérielle ne fait pas mention de Taëf ? Et si elle est provisoire, pourquoi s’être attaqué au communiqué de Bkerké ? Le patriarche (Sfeir) avait donc raison. Il est du devoir de l’État de respecter l’opinion de ses citoyens, même s’ils prennent le contre-pied de sa politique. Il est du devoir de l’État de faciliter le dialogue et de supprimer les doutes, s’il en est capable». Tout était dit : le lendemain, Nasser Kandil et surtout Assem Kanso tireront à boulets rouges contre le député du Chouf, l’accusant de collaborationnisme avec l’État hébreu, le menaçant pratiquement de mort. Quelque 48 heures après, Walid Joumblatt et les membres de son bloc étaient déclarés persona non grata en Syrie. Et puis rideau. Jusqu’à la déclaration, il y a quelques jours, du chef des services de renseignements syriens au Liban, Ghazi Kanaan : «Les portes de Damas sont grandes ouvertes pour Walid Joumblatt». Une évolution positive. Et la faille... Entre les attaques outrancières et un peu grand-guignol de Assem Kanso et le geste de grande mansuétude de Ghazi Kanaan, qu’est-ce qui s’est passé ? Ça ressemble à un mauvais vaudeville tout ça... «Je ne sais pas. Vraiment. Il semble que quelqu’un ait pris la décision de normaliser les relations avec moi. Je pense que cela vient du président Assad». Ce revirement n’a donc rien à voir avec le camp Khaddam ? «D’après moi, il n’y a pas de camp Khaddam. C’est une décision, à ma connaissance, qui a été prise en très haut lieu. Et le représentant officiel de la Syrie au Liban, c’est Ghazi Kanaan». Comment analyseriez-vous l’évolution, depuis votre intervention place de l’Étoile, des relations libano-syriennes ? Le retour des prisonniers par exemple, c’est suffisant selon vous ? «C’est une bonne chose, mais ça ne suffit pas, non. Il y a tout un dossier. Et ce qui importe par-dessus tout, c’est le respect des libertés. Quel est le hic, en fait ? C’est l’interférence des services de renseignements libanais dans tous les aspects de la vie publique. Il est impossible que cela continue de cette façon». Soit. Lutter contre ces «ingérences» apparaît aujourd’hui, clairement, comme votre principal cheval de bataille. Mais qu’en est-il de ce dossier des prisonniers ? Peut-on le considérer désormais clos ? «Je pense que c’est fini, oui. Mais ici, au Liban, certains ont essayé de faire les malins, d’ouvrir à nouveau le dossier de la guerre. Le président Lahoud par exemple...» Vous ne trouvez pas que c’est une bonne chose ? Une sorte de devoir de mémoire... «Non, ce n’est pas une bonne chose. Tout le monde accusera tout le monde, les passions se déchaîneraient à nouveau. Ce qu’il faut par contre, c’est clôturer tout cela d’une façon légale. Pour quelqu’un, par exemple, qui a perdu son fils ou son père, il faut “légaliser” cette mort, ne serait-ce que pour une question d’héritage. Un cadre légal, simplement...». Concernant ce redéploiement dont on a beaucoup parlé, qu’en est-il concrètement ? «C’est un signe positif. Mais ils ont également dit, et clairement, qu’ils ne se redéploieront pas sous pression». Vous ne pensez pas qu’il vaudrait mieux voir cent uniformes plutôt qu’un agent de renseignement en civil ? «Ce n’est pas à moi d’imposer cela, mais s’il y avait un véritable gouvernement capable d’initier le dialogue, ils pourraient très bien se redéployer dans certains secteurs dits stratégiques». Sur quelles bases ? Étant donné, surtout, que l’accord de Taëf est loin d’être souvent cité... «Moi je me suis basé sur Taëf, pas plus. Et puis la région, de plus en plus, est au bord du précipice, l’hypothèse Ariel Sharon au pouvoir en Israël, ça fait peur. Il faudrait que le redéploiement soit décidé conjointement entre les deux gouvernements. C’est une question entre militaires». Pour résumer, depuis votre discours au Parlement, il n’y a eu, au sujet des relations libano-syriennes, que des évolutions positives? «J’ai été celui qui a engagé la discussion sur la présence syrienne. Passons sur les accusations des uns et des autres. Il y a quelque chose qui cloche, assurément, dans ces relations bilatérales. Il est temps de baser ces relations sur des assises saines». On est bien partis ? «J’espère. Mais il y a une grande faille : le gouvernement. Moi je donnerais mon opinion, Fouad Boutros la sienne, très bien, mais le gouvernement et son chef ne font rien». Vous allez demander une audience au président Assad ? «Pour être très précis, je vais commencer par en demander une à Ghazi Kanaan. C’est lui le responsable principal. Je voudrais éviter les interprétations. Avec lui, je m’adresserai à la Syrie en tant que telle. C’est plus facile». Le gouvernement Venons-en à ce gouvernement. On dirait que c’est votre leitmotiv, maintenant, cette espèce de savant dosage politique à la Joumblatt, un coup les relations libano-syriennes, un coup la politique intérieure... «Non. Le gouvernement doit traiter de politique interne, comme des rapports Liban-Syrie». Et il ne le fait pas ? «Je n’en sais rien». Quel bilan faites-vous de ce Cabinet Hariri après trois mois au pouvoir ? «Rafic Hariri a essayé de prendre quelques timides mesures au sujet des écoutes. C’est un fiasco total. Quant au relations économiques avec la Syrie, je ne saurais pas aujourd’hui ce que ça peut donner. Dans tous les cas, il a hérité d’un fardeau très lourd, il lui faudra au moins un an pour décoller, s’il en est capable. S’il en est capable... La privatisation, c’est important, mais en même temps, il faut réduire le poids de la dette publique et celui du secteur public. Peut-on le faire ? Peut-on s’attaquer à la Sécurité sociale, à l’armée, aux FSI ?» La réforme administrative ne verra donc jamais le jour ? «Je ne sais pas...» Une partie de cache-cache En politique intérieure, quelle a été l’action du gouvernement ? «C’est un champ de mines. D’apparence, les présidents Lahoud et Hariri sont heureux, ils ont même le sourire parfois béat, mais enfin, je crois que chacun attend de torpiller l’autre». Est-ce que Hariri a les coudées franches pour faire de la politique ? «Rafic Hariri ne peut pas ne pas faire de la politique. C’est la base de notre système confessionnel. Il a son mot à dire, mais ce que l’on voit, c’est que chacun évite l’autre, évite de poser des questions épineuses. C’est une partie de cache-cache, Hariri a présidé le Conseil de sécurité, Lahoud le Conseil de défense...» On dirait que ça vous amuse... «C’est amusant oui, mais c’est tragi-comique, ça fait peur, la situation économique fait peur, quant à la situation régionale...» Par rapport au premier semestre 2001, qu’est-ce qui attend le Liban ? Concernant le processus de réconciliation nationale, par exemple. «Aujourd’hui, on vous dira que n’importe quel gouvernement peut être un gouvernement d’union nationale. Sauf qu’il faudra seulement que les libertés soient respectées et que cessent les ingérences des services de renseignement». Lesquels ? «Ils sont très nombreux. Rappelez-vous ces “sources” lorsque Rafic Hariri a dit que Michel Aoun pouvait revenir... C’est ridicule». Il y a un pilote dans l’avion-Liban ? «Un pilote ? Il y a plusieurs pilotes ! Avec un pilote et un copilote ou un pilotage automatique, ça serait plus facile. Il y en a plusieurs». Donc ça ne marche pas... En parlant du général Aoun, le dialogue existe toujours entre le PSP et le CPL ? «Oui. Le dialogue est certes timide après tout ce qui s’est passé, mais il existe toujours, basé sur le respect des libertés». Une rencontre Joumblatt-Aoun est prévue à l’ordre du jour ? «Non. Pas pour l’instant. Attendons de voir comment évoluera son histoire. S’il était autorisé à revenir sans poursuites au Liban, oui, pourquoi pas...» Mais ce timing aujourd’hui, presque dix ans après son départ, comment l’expliquez-vous ? «C’est peut-être, de la part de Rafic Hariri, un geste de bonne volonté, du moins envers les chrétiens». « Pas changé d’un iota... » Parlons un peu de votre silence. Les Libanais ont énormément parlé de votre silence. Les Libanais, toutes confessions confondues, en vous évoquant, répétaient «que Dieu le garde». Comment expliquez-vous cela ? «J’ai décidé de me taire, j’ai pris un temps de pause, de réflexion, mais je n’ai pas changé de position». C’est ce que les Libanais ont envie d’entendre. Vous ne changez pas un iota à votre discours du 4 novembre dernier au Parlement ? «Rien. Ma position est toujours la même. L’appel téléphonique de Ghazi Kanaan, je pense que c’est une entame pour le dialogue. C’est bien, ça». Une entame pour le dialogue, ça veut dire que vous allez amender ce que vous aviez dit, tempérer, vous rétracter ? «Pas du tout. On dialoguera sur la base de mon discours au Parlement. Point». Au cours de votre interview, avant-hier, à nos collègues de la BBC, vous aviez évoqué le général Lahoud en des termes très fermes, sans ambiguïté aucune. Il est rare, au Liban, de s’en prendre de cette façon, et en le nommant, au chef de l’État. Vous essayez de faire quoi ? De crever l’abcès avant qu’il ne gangrène ? «Pas du tout. J’ai bien souhaité et je continue de le faire que le président Lahoud porte, maintenant, son uniforme civil. Il ne peut pas continuer comme cela à se méfier des politiciens. Il ne peut pas continuer comme cela à utiliser un coup la sécurité militaire, un coup la Sûreté générale et gouverner le pays». il peut changer ? «J’espère. Parce qu’on en a encore pour quatre ans et que le pays est au bord de la faillite économique. Et il y a de grands imprévus. Ça ne suffit pas de réclamer le rapatriement des Palestiniens et la libération des fermes de Chebaa. Il faut un dialogue interne, il faut fixer un calendrier». Lui seul est capable de jouer ce rôle de catalyseur, de rassembleur ? «Certainement». Par rapport à cet éventuel retour d’un certain nombre – on parle de 50 000 – de Palestiniens âgés de 70 ans en Israël, vous y croyez ? «C’est de la foutaise. Connaissant la mentalité des Israéliens, ces 50 000 Palestiniens partiront dans 50 ans. On parlait de cela dans le cadre d’un possible accord entre les deux. Aujourd’hui, cet accord est renvoyé aux calendes grecques». Vous êtes conscients de ce que les Libanais, tous les Libanais, attendent de vous, aujourd’hui ? C’est une grosse charge... «Tout ce que je peux vous dire, c’est que je maintiens ma thèse qu’un Liban fort, démocratique, stable, multiconfessionnel, pluraliste est un acquis tant pour le Liban que pour la Syrie. Il y a autre chose aussi. Voyez le statut spécial de Hong-Kong. Les Chinois ont dit : “Une seule Chine, deux politiques”. Ils ont vu l’avantage énorme, économique surtout, donc politique. Et puis le président Hafez el-Assad a toujours dit qu’il reconnaissait le Liban comme un pays indépendant». Vous êtes optimiste ? «Non. Ou alors à long terme». Une dernière chose : vous avez un message à faire passer aux jeunes, aux universitaires, c’est-à-dire aux seuls qui bougent, qui veulent faire bouger, et qui espèrent beaucoup de vous ? «Une nouvelle rencontre, avec eux, dans 2 ou 3 mois, peut-être, ça serait très intéressant, oui...».
Il y a parfois des silences assourdissants : on n’entend qu’eux. Et certains durent longtemps, trop longtemps si l’on en croit la rue libanaise, si l’on s’amuse à surprendre des conversations de comptoir, là où le peuple, toutes classes confondues, ose refaire le Liban, là où, en principe, aucun agent d’un quelconque «service de sécurité» ne viendra (les) écouter....