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Actualités - REPORTAGES

REPORTAGE - Jezzine, deux mois après le retrait de l'ALS Le calme inquiet des lendemains de tempête

Deux mois après le retrait de l’Armée du Liban-Sud de Jezzine, la région connaît ce calme précaire, ponctué d’inquiétude, qui caractérise les lendemains de tempête et que seule une normalisation effective peut effacer. La population de cette région, tout en croyant à sa chance, continue quand même de se poser nombre de questions quant à la nature de cette paix à laquelle elle a eu droit. Preuve en est les commentaires de tous ceux que l’on rencontre, notamment dans les cafés populaires qui ont repris du service ou sur les places publiques des villages. Les habitants vous posent une série de questions sur cette étrange situation qu’ils vivent. La région ne semble pas avoir renoué avec l’ancienne tradition des vacances scolaires que les familles venaient passer au «village». Il semble qu’elle devra encore attendre pour cela. Les visites effectuées aux différentes localités ont confirmé cette réalité : les maisons qui étaient restées fermées tout au long des années précédentes le sont toujours, à l’exception de quelques-unes qui sont rouvertes le temps d’un week-end. Bien que l’été soit déjà avancé, les calicots annonçant les traditionnelles festivités accompagnant les fêtes des saints patrons des villages n’ont pas encore fait leur apparition. Les épiceries et autres petits commerces continuent à s’approvisionner au même rythme qu’avant. Certains commerçants affirment même que leur chiffre d’affaires a légèrement baissé maintenant qu’a disparu l’apport représenté par les salaires des miliciens, sans que de nouvelles rentrées ne viennent s’y substituer. Une administration toujours présente Les bureaux des différentes administrations continuent de fonctionner au ralenti, presque au même rythme qu’avant le retour de la région dans le giron de l’État : les FSI sont là, mais les agents se font discrets et leur nombre, très réduit, les oblige à adopter un profil bas. Ils se sont quand même livrés dès leur arrivée à deux actes d’autorité : une de leurs patrouilles a fait le tour des localités pour avertir patrons et propriétaires de chantier qu’ils ont à se conformer à la loi sous peine de se voir dresser des contraventions. Ils ont fait de même pour le commerce du charbon de bois : accompagnés de gardes forestiers, les FSI ont notifié toutes les personnes concernées qu’elles n’ont plus le droit de couper le moindre arbre ni même de procéder à l’élagage sous peine de se voir déférer devant les tribunaux. Signe aussi du retour de l’État : la disparition totale des différents produits de contrebande, notamment les spiritueux et les cigarettes. Les bureaux des autres administrations, eux aussi, ne semblent pas crouler sous le travail : au bureau de l’état civil, il n’y a pas vraiment foule et le travail n’a pas augmenté. Le ministère de l’Intérieur, contrairement à ses directives intéressant les autres régions, n’a pas encore autorisé le bureau de Jezzine à relancer les formalités pour les nouvelles cartes d’identité. La grimace du moukhtar qui nous rapporte cette information en dit long sur le sentiment des habitants face à ces nombreuses exceptions dont leur région fait l’objet et qui ressemblent fort à une «mise en quarantaine». Même l’armée n’est pas de la fête : les calicots qu’on voit déjà partout dans les rues de la capitale et dans les autres régions libanaises à l’occasion de la élébration du 1er août n’ont pas fait leur apparition sur les routes de la région et sur les places des villages. Le bureau de la Sûreté générale qui jouxte celui de l’état civil est aussi calme qu’à l’accoutumée : aucune fièvre et des agents toujours discrets mais néanmoins avenants, toujours prêts à rendre service ou à informer. Au bureau de la direction générale de l’urbanisme, créée à Jezzine en 1992, les demandeurs de nouveaux permis de construire ne se bousculent pas. Les routes La réhabilitation des routes n’est pas aussi rapide que les habitants l’auraient espéré : sur le tronçon Bater-Jezzine, le seul passage autorisé qui a relié durant des années cette région au reste du Liban, il n’y a pas trace de la moindre équipe de travail. Et Dieu sait si ce tronçon a besoin d’être réaménagé… La route Jezzine-Kfarhouné, dernier village en direction du Sud avant la zone dite de sécurité, a été réhabilitée après avoir été longtemps délaissée. Actuellement, l’équipe d’un entrepreneur de travaux publics s’attaque au tronçon Jezzine-Kfarfalous (la route principale qui relie la région à Saïda) où les voitures sont soumises à rudes épreuves. Inutile de parler des routes intérieures, dont certaines ressemblent à des pistes pour cascadeurs. Une vision cauchemardesque, complétée par celle des interminables allers et venues des poids lourds qui viennent se ravitailler en sable pour les besoins des chantiers de Saïda et de ses environs. Ce commerce du sable s’imposait déjà durant les années passées, et il semble que l’environnement et les routes continueront longtemps encore à subir ses méfaits. Aides de l’État Après le ballet des officiels, la population a espéré voir venir des aides de toute nature. Or, ce n’est nullement le cas. Les crédits qui ont été alloués en Conseil des ministres en signe d’encouragement et de soutien aux habitants de la région ne se sont pas encore concrétisés. De nombreux fonctionnaires, représentant différentes administrations centrales ou régionales, ont effectué des tournées d’inspection. Ils ont effectué d’interminables enquêtes et rempli de nombreux formulaires, mais rien de concret encore. La population met l’accent sur cette réalité amère, non pas par méchanceté, mais plutôt par lassitude, juste pour rappeler que, encouragement ou pas, libération ou pas, le pays reste égal à lui-même : passé les premiers jours d’euphorie, la routine reprend le dessus et les promesses sont rapidement oubliées. Commencée bien avant la libération, la mise au point d’un plan d’urbanisme au profit de certains villages se poursuit. Actuellement, ce projet, exécuté par un bureau d’études privé, en est à sa seconde phase : les autorités locales en discutent l’avant-dernière. Une fois ce travail terminé, les nouveaux permis de construire devront être conformes à ce plan directeur. Aides privées Mais si la population de la région se montre critique à l’égard des administrations officielles, cela ne signifie pas qu’elle est plus tendre à l’égard des représentants des pays amis, qui s’étaient montrés «très attentifs» à leurs demandes. Les représentants des différentes ambassades européennes sont arrivés dans la région en rangs dispersés. Il semble qu’ils aient laissé auprès de leurs interlocuteurs locaux une impression de cafouillage. «Ils ne savent pas très bien quoi nous proposer, malgré toute leur bonne volonté qui est évidente», nous ont dit les responsables des formations populaires en charge de ce dossier. Seuls les Américains ont rapidement réagi : à travers leur USAid, ils ont débloqué 500 000 dollars dont ils ont confié la gestion à la Mercy Corp. International. Effectivement, chaque mardi matin, Mme Hiam Chédid, représentante de la société, vient sur place pour rencontrer les représentants des différents organismes populaires avec qui elle est en contact pour dresser avec eux le bilan des travaux engagés et établir les plans des travaux à exécuter. Actuellement, cette société s’est chargée de nettoyer et de réaménager le lit de la source de Jezzine, un cours d’eau qui traverse toute la localité. À Bkassine, les travaux portent sur un ensemble de routes vicinales, desservant les différentes oliveraies du village. Exécuté depuis plus d’une dizaine d’années, à l’initiative des habitants de la localité, ce réseau de routes avait besoin d’extension et de réfection. À Aray, le programme d’aide prévoit la réfection des grandes canalisations d’eau servant à l’irrigation des innombrables vergers. Et c’est un projet identique qui est en train d’être exécuté à Aïn Mejdalayan, le village le plus haut perché de la région. L’aide américaine concerne actuellement ces quatre villages uniquement. D’après les responsables qui coopèrent avec ce programme, il semble que la région de Jezzine va avoir sa place dans le nouvel exercice budgétaire que l’agence prépare pour septembre prochain. Reste enfin la douloureuse question des enfants de la région, les anciens miliciens de l’ALS qui se sont rendus aux autorités et qui sont détenus à la prison de Roumieh. Sans compter l’épineuse et inquiétante question du ce vide sécuritaire. Ces deux problèmes transparaissent en filigrane dans tous les entretiens que nous avons eus avec les notables de Jezzine. Les choses ne sont pas, sur ce plan, aussi simples qu’on le croit, et ces deux dossiers cruciaux méritent qu’on y revienne plus longuement. Louis HONEÏNÉLa région ne semble pas avoir renoué avec l’ancienne tradition des vacances scolaires que les familles venaient passer au «village». Il semble qu’elle devra encore attendre pour cela. Les visites effectuées aux différentes localités ont confirmé cette réalité : les maisons qui étaient restées fermées tout au long des années précédentes le sont toujours, à l’exception de quelques-unes qui sont rouvertes le temps d’un week-end. Bien que l’été soit déjà avancé, les calicots annonçant les traditionnelles festivités accompagnant les fêtes des saints patrons des villages n’ont pas encore fait leur apparition. Les épiceries et autres petits commerces continuent à s’approvisionner au même rythme qu’avant. Certains commerçants affirment même que leur chiffre d’affaires a légèrement baissé maintenant qu’a disparu l’apport représenté par les salaires des miliciens, sans que de nouvelles rentrées ne viennent s’y substituer. Une administration toujours présente Les bureaux des différentes administrations continuent de fonctionner au ralenti, presque au même rythme qu’avant le retour de la région dans le giron de l’État : les FSI sont là, mais les agents se font discrets et leur nombre, très réduit, les oblige à adopter un profil bas. Ils se sont quand même livrés dès leur arrivée à deux actes d’autorité : une de leurs patrouilles a fait le tour des localités pour avertir patrons et propriétaires de chantier qu’ils ont à se conformer à la loi sous peine de se voir dresser des contraventions. Ils ont fait de même pour le commerce du charbon de bois : accompagnés de gardes forestiers, les FSI ont notifié toutes les personnes concernées qu’elles n’ont plus le droit de couper le moindre arbre ni même de procéder à l’élagage sous peine de se voir déférer devant les tribunaux. Signe aussi du retour de l’État : la disparition totale des différents produits de contrebande, notamment les spiritueux et les cigarettes. Les bureaux des autres administrations, eux aussi, ne semblent pas crouler sous le travail : au bureau de l’état civil, il n’y a pas vraiment foule et le travail n’a pas augmenté. Le ministère de l’Intérieur, contrairement à ses directives intéressant les autres régions, n’a pas encore autorisé le bureau de Jezzine à relancer les formalités pour les nouvelles cartes d’identité. La grimace du moukhtar qui nous rapporte cette information en dit long sur le sentiment des habitants face à ces nombreuses exceptions dont leur région fait l’objet et qui ressemblent fort à une «mise en quarantaine». Même l’armée n’est pas de la fête : les calicots qu’on voit déjà partout dans les rues de la capitale et dans les autres régions libanaises à l’occasion de la élébration du 1er août n’ont pas fait leur apparition sur les routes de la région et sur les places des villages. Le bureau de la Sûreté générale qui jouxte celui de l’état civil est aussi calme qu’à l’accoutumée : aucune fièvre et des agents toujours discrets mais néanmoins avenants, toujours prêts à rendre service ou à informer. Au bureau de la direction générale de l’urbanisme, créée à Jezzine en 1992, les demandeurs de nouveaux permis de construire ne se bousculent pas. Les routes La réhabilitation des routes n’est pas aussi rapide que les habitants l’auraient espéré : sur le tronçon Bater-Jezzine, le seul passage autorisé qui a relié durant des années cette région au reste du Liban, il n’y a pas trace de la moindre équipe de travail. Et Dieu sait si ce tronçon a besoin d’être réaménagé… La route Jezzine-Kfarhouné, dernier village en direction du Sud avant la zone dite de sécurité, a été réhabilitée après avoir été longtemps délaissée. Actuellement, l’équipe d’un entrepreneur de travaux publics s’attaque au tronçon Jezzine-Kfarfalous (la route principale qui relie la région à Saïda) où les voitures sont soumises à rudes épreuves. Inutile de parler des routes intérieures, dont certaines ressemblent à des pistes pour cascadeurs. Une vision cauchemardesque, complétée par celle des interminables allers et venues des poids lourds qui viennent se ravitailler en sable pour les besoins des chantiers de Saïda et de ses environs. Ce commerce du sable s’imposait déjà durant les années passées, et il semble que l’environnement et les routes continueront longtemps encore à subir ses méfaits. Aides de l’État Après le ballet des officiels, la population a espéré voir venir des aides de toute nature. Or, ce n’est nullement le cas. Les crédits qui ont été alloués en Conseil des ministres en signe d’encouragement et de soutien aux habitants de la région ne se sont pas encore concrétisés. De nombreux fonctionnaires, représentant différentes administrations centrales ou régionales, ont effectué des tournées d’inspection. Ils ont effectué d’interminables enquêtes et rempli de nombreux formulaires, mais rien de concret encore. La population met l’accent sur cette réalité amère, non pas par méchanceté, mais plutôt par lassitude, juste pour rappeler que, encouragement ou pas, libération ou pas, le pays reste égal à lui-même : passé les premiers jours d’euphorie, la routine reprend le dessus et les promesses sont rapidement oubliées. Commencée bien avant la libération, la mise au point d’un plan d’urbanisme au profit de certains villages se poursuit. Actuellement, ce projet, exécuté par un bureau d’études privé, en est à sa seconde phase : les autorités locales en discutent l’avant-dernière. Une fois ce travail terminé, les nouveaux permis de construire devront être conformes à ce plan directeur. Aides privées Mais si la population de la région se montre critique à l’égard des administrations officielles, cela ne signifie pas qu’elle est plus tendre à l’égard des représentants des pays amis, qui s’étaient montrés «très attentifs» à leurs demandes. Les représentants des différentes ambassades européennes sont arrivés dans la région en rangs dispersés. Il semble qu’ils aient laissé auprès de leurs interlocuteurs locaux une impression de cafouillage. «Ils ne savent pas très bien quoi nous proposer, malgré toute leur bonne volonté qui est évidente», nous ont dit les responsables des formations populaires en charge de ce dossier. Seuls les Américains ont rapidement réagi : à travers leur USAid, ils ont débloqué 500 000 dollars dont ils ont confié la gestion à la Mercy Corp. International. Effectivement, chaque mardi matin, Mme Hiam Chédid, représentante de la société, vient sur place pour rencontrer les représentants des différents organismes populaires avec qui elle est en contact pour dresser avec eux le bilan des travaux engagés et établir les plans des travaux à exécuter. Actuellement, cette société s’est chargée de nettoyer et de réaménager le lit de la source de Jezzine, un cours d’eau qui traverse toute la localité. À Bkassine, les travaux portent sur un ensemble de routes vicinales, desservant les différentes oliveraies du village. Exécuté depuis plus d’une dizaine d’années, à l’initiative des habitants de la localité, ce réseau de routes avait besoin d’extension et de réfection. À Aray, le programme d’aide prévoit la réfection des grandes canalisations d’eau servant à l’irrigation des innombrables vergers. Et c’est un projet identique qui est en train d’être exécuté à Aïn Mejdalayan, le village le plus haut perché de la région. L’aide américaine concerne actuellement ces quatre villages uniquement. D’après les responsables qui coopèrent avec ce programme, il semble que la région de Jezzine va avoir sa place dans le nouvel exercice budgétaire que l’agence prépare pour septembre prochain. Reste enfin la douloureuse question des enfants de la région, les anciens miliciens de l’ALS qui se sont rendus aux autorités et qui sont détenus à la prison de Roumieh. Sans compter l’épineuse et inquiétante question du ce vide sécuritaire. Ces deux problèmes transparaissent en filigrane dans tous les entretiens que nous avons eus avec les notables de Jezzine. Les choses ne sont pas, sur ce plan, aussi simples qu’on le croit, et ces deux dossiers cruciaux méritent qu’on y revienne plus longuement.
Deux mois après le retrait de l’Armée du Liban-Sud de Jezzine, la région connaît ce calme précaire, ponctué d’inquiétude, qui caractérise les lendemains de tempête et que seule une normalisation effective peut effacer. La population de cette région, tout en croyant à sa chance, continue quand même de se poser nombre de questions quant à la nature de cette paix à laquelle elle a...