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Actualités - REPORTAGES

La tribu Guiragossian : quatre générations d'artistes

L’histoire commence au début du siècle. Elle se poursuit encore, inscrite sur d’immenses toiles pleines de mots de toutes les couleurs. Si les visages ont changé, les noms sont restés les mêmes car le talent a suivi les générations. C’est l’histoire d’une famille d’artistes fous passionnés de peinture, de musique, s’investissant dans toute expression de l’âme. Le nom-phare, le personnage central de cette saga est Paul Guiragossian, une référence dans le domaine de l’art. Pour atteindre de tels sommets, il faut avoir grandi, ou mieux encore être né, dans une ambiance de culte du beau. C’est bien le cas de Paul et de tous les Emmanuel, Jean-Paul et autre Guiragossian : de père en fils, de fils en petit-fils… D’abord, il y avait le grand-père de Paul, Nazareth. Du plus loin qu’on s’en souvienne, c’est lui qui donna le ton, la note Guiragossian. Né au début de notre siècle et mort vers 1880, il fut le précurseur. Premier peintre de la tribu, il exerce son talent dans les églises d’Arménie. De passion, l’iconographie et les miniatures deviennent un métier. Les églises ont été détruites, emportant avec elles les traces de son œuvre. Nazareth eut un fils, Emmanuel, né en 1853. Le père de Paul était un passionné de musique, il possédait une très belle voix d’opéra et maniait tous les instruments à corde, avec une prédilection pour le violoncelle. Il passa ses premières années à Istanbul, où il fit ses études scolaires et universitaires. Pour vivre, il fabriquait du cognac arménien dans les couvents, qu’il vendait ensuite. Pour son propre bonheur, il chantait dans les églises. Emmanuel n’a pas eu la vie facile. De petites guerres en guerre mondiale, il pratique tous les métiers; de fuites en exodes, il se retrouve à Jérusalem et de petites misères en grandes souffrances, il perd la vue. Paul verra le jour en 1927, à Jérusalem, loin du regard de son père. Emmanuel continue pourtant de chanter partout, dans les fêtes, dans les maisons. Un soir de l’hiver 1940, rentrant seul d’une réunion familiale qu’il animait de sa voix de ténor, il tombe dans un trou que recouvrait la neige. On le retrouvera le lendemain matin, gelé. De Jérusalem à Beyrouth Paul, l’enfant rebelle, l’artiste fou, connaît avec sa mère les premières difficultés de la vie. Une mère remarquable, qui se battra pour le placer dans les meilleures écoles étrangères de Jérusalem. À sept ans, il copie une œuvre de Raphaël intitulée La Maturité : petit chef-d’œuvre d’un petit garçon qui pensait que «tout cela était parfaitement normal». À 15 ans, il obtient une bourse pour l’Europe. Il préfèrera le Liban, ses paysages, ses couleurs. La peinture devient son pain quotidien, sa rage, sa raison d’être et d’avancer. Véritable autodidacte, il découvre le milieu intellectuel de Hamra et se lie d’amitié avec le poète et essayiste Salah Statié, qui est fasciné par le talent de ce jeune homme. Il enseigne la peinture, vend des toiles à des personnes avisées, charmées par son travail. En 1953, Paul trouve sa Juliette, jeune peintre de 17 ans, et l’épouse. La même année, il organise sa première exposition personnelle dans un café, “La Palette”. En 1955, il participe à une exposition collective à l’Unesco et gagne le premier prix avec une toile gigantesque. L’année suivante, il y expose une petite toile, décroche deux prix et une bourse pour l’Italie. À 27 ans, il entre à l’Académie de Florence et acquiert un style définitivement marqué. Sa carrière démarre et viennent alors le succès, les décorations et hommages, les petits bonheurs. Paul G. impose au Liban un style nouveau, particulier, avec des silhouettes qui finissent par hanter les esprits. Il sera décoré six fois et aura six enfants dont un décédé en bas âge. Et l’histoire continue, ou plutôt elle recommence, dans un univers coloré où domine la musique classique, le tout animé par l’énergie du père. Emmanuel, Jean-Paul et les autres… D’abord, d’abord il y a eu Emmanuel, l’aîné du nouveau clan. Jusqu’à l’âge de 14 ans, il n’avait jamais touché à la peinture, mais jouait magnifiquement… du violoncelle. Après huit ans de conservatoire et mettant à profit l’absence de son père, parti aux USA pour quatre mois, Emmanuel le révolté peint un autoportrait qu’il accroche à la place de celui de son père. Premier contact avec la peinture, premiers émois. Emmanuel participe à son tour à de nombreux concours, décroche à son tour des premiers prix et une bourse pour l’Allemagne. Il y vivra cinq ans pour revenir au Liban avec un doctorat d’anatomie artistique et une formation complète. Son style est personnel, libéré de la personnalité et de l’influence du père. Véritable touche-à-tout, il enseigne l’art plastique dans différentes facultés, organise de nombreuses expositions personnelles et fonde l’atelier Emagoss. Voler de ses propres ailes ne l’empêchera pas d’être, jusqu’au bout, la béquille de son père, amputé d’une jambe à la suite d’un accident. En 1982, il publie, avec la collaboration de Joseph Tarrab, un livre consacré à Paul Guiragossian. Celui-ci nous quitte en 1993, laissant, éparpillés, des pans de son talent dans chacun de ses enfants. Après Emmanuel, il y eut Sylva, aujourd’hui «gardienne de la mémoire» de sa famille et responsable de la galerie et du musée Paul Guiragossian, Araxi, ballerine dès ses premiers pas, et puis Jean-Paul. Enfant prodige, le petit Jean-Paul griffonne à quatre ans un portrait de la reine Farida, épouse du roi Farouk, de passage chez ses parents. «Moi aussi, je suis artiste, lui dira-t-il, mais mes prix sont moins chers que ceux de mon père !». Plus tard, il partira à Vienne étudier la peinture, et au Canada se spécialiser en couleurs et paysages. Intellectuel, protecteur de la nature et de tout ce qui respire, véritable citoyen du monde, Jean-Paul a exposé à Rome et Berlin. Il poursuit aujourd’hui son aventure. Quant à la toute dernière Guiragossian, Manuela, elle a été la «faiblesse» de Paul. À l’âge de deux ans, elle chantait déjà. À cinq ans, elle faisait des bandes dessinées, adaptant à sa façon les personnages et les histoires. À six ans, elle prenait des cours de piano pour, quelques années plus tard, composer ses propres mélodies. Sa peinture à elle, c’est l’animation, un art qu’elle approfondit actuellement à la Disney University, en Californie. «Nous sommes nés, diront les enfants en chœur, dans un environnement artistique, notre père nous a aidés sans pour autant nous influencer». Dans quelques années sans doute, les petits Paul, Emmanuel ou Nazareth viendront, à leur tour, continuer la saga, ajoutant de nouvelles histoires à leur livre d’images…
L’histoire commence au début du siècle. Elle se poursuit encore, inscrite sur d’immenses toiles pleines de mots de toutes les couleurs. Si les visages ont changé, les noms sont restés les mêmes car le talent a suivi les générations. C’est l’histoire d’une famille d’artistes fous passionnés de peinture, de musique, s’investissant dans toute expression de l’âme. Le...