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Actualités - REPORTAGES

Procès - La cour achève l'audition des avocats du brigadier Matar n'avait aucun mobile pour participer à l'assassinat de Karamé, affirment ses défenseurs

«Que diable allait-il faire dans cette galère ?». Après avoir entendu pendant deux longues soirées les plaidoiries de la défense de Khalil Matar, c’est la question qui était hier sur toutes les lèvres. D’autant que dans le cas du brigadier inculpé, il ne s’agit pas d’une simple image, la galère en question étant le hors-bord à partir duquel a été actionné le dispositif qui a tué Rachid Karamé le 1er juin 1987. Lancée par Me Badawi Abou Dib, cette phrase empruntée à Molière a été reprise par ses deux collègues, MM. Chaker Abou Sleimane et Rachad Salamé, chacun essayant d’y répondre à sa manière, dans l’unique objectif de démontrer l’innocence de leur client, devenu, selon eux, témoin malgré lui d’un crime dont il ignorait tout. La Cour de justice ayant finalement retenu, mardi soir, la proposition de Me Issam Karam de «diviser en deux le plaisir d’écouter Abou Dib», ce dernier a poursuivi hier la lecture de son extraordinaire plaidoirie. Aux sept heures de la veille, il a ajouté deux nouvelles heures, sans que sa voix ne faiblisse, même si, à la fin, il ne parvenait plus à marcher pour remettre une copie de son copieux texte à la cour. Ayant retenu la leçon, Me Chaker Abousleimane a préféré être concis et en moins d’une demi-heure, il a exposé son point de vue et relevé les principaux points susceptibles, à ses yeux, de montrer la faiblesse des charges retenues contre son client et donc de prouver son innocence. Par contre, Me Rachad Salamé a clairement exprimé la crainte d’être la victime de Me Badawi Abou Dib et donc de ne pas être bien suivi dans son exposé de plus de trois heures. Mais c’était mal connaître les membres de la cour, qui ne témoignent jamais du moindre signe de lassitude. Brisant ce qui est devenu une sorte de tradition dans ces audiences, Mme Sethrida Geagea n’était pas présente hier dans la salle du tribunal. Son mari, le chef des FL dissoutes, était donc seul pour écouter les avocats. Mais le procureur général Adnane Addoum était aussi seul, l’avocate générale Rabiha Ammache Kaddoura étant absente. Les trois avocats de Matar n’innocentent pas les Forces libanaises. Au contraire, ils adoptent le point de vue de l’acte d’accusation sur le plan de l’inculpation de la milice, mais s’insurgent contre le rôle attribué au brigadier. De plus, les avocats s’en prennent avec une grande courtoisie au procureur général, qui, dans son réquisitoire avait, consacré une centaine de pages au cas Matar avant de requérir contre ce dernier la peine capitale. D’ailleurs tout au long de ces deux dernières audiences, le procureur n’a cessé de prendre des notes, annonçant qu’il compte répondre car «les avocats manient à merveille l’art de jouer sur les mots». Entraîné malgré lui Selon ses avocats, Matar aurait donc été entraîné par le chef du service de sécurité des FL Ghassan Touma à bord du bateau sans connaître le but de l’opération. Touma lui avait simplement dit qu’il lui donnerait des éléments sur le plan des SR de l’armée pour tuer Karamé. Toujours selon les avocats, il ignorait même qu’il monterait à bord d’un bateau, ce triste lundi 1er juin 1987. De plus, son émetteur-récepteur Genav n’a été d’aucune utilité dans l’exécution de l’opération, puisque Touma et ses compagnons avaient tout préparé. Dans ce cas, la grande question est la suivante : Pourquoi Touma a-t-il emmené avec lui le brigadier, s’embarrassant délibérément d’un témoin inutile qui pourrait devenir gênant ? «Ne nous demandez pas d’expliquer cela, les criminels ont leur propre logique», s’écrie Abou Dib. Mais Me Abousleimane essaie de trouver une réponse logique. Selon lui, si Touma a emmené Matar à bord, ce n’est pas parce qu’il avait besoin de lui, mais parce qu’il voulait le prendre en otage et pouvoir ainsi contrôler la base de Halate, dans le cadre du conflit entre les FL et l’armée. Me Salamé va encore plus loin. Il affirme que Touma a non seulement emmené Matar avec lui, mais de plus, il l’a convaincu qu’il était impliqué dans ce crime afin de s’assurer de son silence. Au passage, il dresse de Touma le portrait d’un Machiavel moderne. Avec des mots simples, Me Abousleimane décortique les relations entre Matar et les FL, rappelant la situation qui prévalait à l’époque du drame lorsque les milices régnaient sur la population et sur l’Etat. Il évoque notamment la bataille de Halate entre l’armée et les FL, le 31 janvier 1989. Selon lui, Matar a résisté de son mieux, mais il ne pouvait faire plus à moins de se suicider et de sacrifier sa famille et celles de ses soldats. Devant les militaires de la moukafaha (en charge de la sécurité des audiences) soudain très intéressés, il raconte comment, avec Mgr Khalil Abinader et l’abbé Boulos Naaman, il avait sauvé de nuit et de justesse les commandos de l’armée encerclés à la base fortifiée d’Adma. «Si cette base s’était rendue, comment s’étonner que celle de Halate l’ait fait aussi ?». Matar, camarade de promotion de Michel Sleimane Abousleimane explique aussi que Matar n’avait aucun mobile pour tuer Karamé. Il avait une allégeance totale à l’armée. Il est même le camarade de promotion de l’actuel commandant en chef, le général Michel Sleimane. Politiquement, sa famille est chamouniste et il n’avait donc aucune raison pour saboter l’accord en gestation entre Karamé et Chamoun. Enfin, s’il avait réellement le goût du pouvoir, comme le dit l’acte d’accusation, en quoi la mort de Karamé pouvait le porter au sommet ? Me Abou Dib est encore plus précis à ce sujet. «Si vraiment, dit-il, le brigadier a pu un instant croire que les FL pourraient le propulser à la tête de l’armée, pourquoi dans ce cas aurait-il saboté les avions de la base de Halate, empêchant les miliciens de les utiliser pour bombarder le palais de Baabda où se trouvait le général Aoun ?». Tout en étant très littéraire, la plaidoirie de Me Salamé pose de nombreuses questions. L’avocat se demande notamment pourquoi Antoine Chidiac est-il dans le box des accusés, alors que le témoin à charge José Bakhos, qui a joué un rôle bien plus important dans l’exécution du plan est en liberté. Me Salamé évoque aussi les conditions dans lesquelles s’est déroulé l’interrogatoire de Matar à Yarzé, où il est resté trois jours sans dormir. Il conclut en affirmant que ce dossier est bâti sur des racontars bien plus que sur des éléments matériels. S’adressant aux juges, il s’écrie : «Votre conscience ne peut s’en contenter. Je vous demande donc d’innocenter le brigadier faute de preuves ou pour insuffisance de preuves ou, encore, dans le doute, mais innocentez-le».
«Que diable allait-il faire dans cette galère ?». Après avoir entendu pendant deux longues soirées les plaidoiries de la défense de Khalil Matar, c’est la question qui était hier sur toutes les lèvres. D’autant que dans le cas du brigadier inculpé, il ne s’agit pas d’une simple image, la galère en question étant le hors-bord à partir duquel a été actionné le...