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Actualités - REPORTAGES

Patrimoine - Cri d'alarme des archéologues Les vestiges de la cité phénicienne dans le centre-ville menacés de disparition (photos)

Fouiller c’est bien, conserver c’est encore mieux. Si les fouilles des sites archéologiques sont vitales pour reconstituer l’histoire d’un pays et mettre au jour ses trésors, conserver les vestiges est encore plus important. Ces témoins du passé sont fragiles. Voire, très fragiles. Les exposer aux intempéries sans aucune précaution engendre leur destruction rapide. Tel est le cas du site de la ville phénicienne de Beyrouth. Lors des années de fouilles, une peur bleue hantait de nombreux archéologues : celle de voir le site enseveli par les bulldozers. Mais il a été sauvegardé. Actuellement, cependant, cette même peur a changé de forme. Aujourd’hui, d’aucuns appréhendent de voir les vestiges de cette ville phénicienne antique anéantis du fait qu’ils n’ont pas été consolidés ou restaurés depuis plus de cinq ans, date de la suspension des fouilles sur ce site. «Certains murs du site risquent de s’écrouler avec les grandes averses», explique le Dr Hussein Sayegh, archéologue, directeur des fouilles sur le chantier. Malheureusement, ce ne sont pas les quelques murs du site qui sont menacés, mais tout le quartier phénicien. Ce même quartier dont on criait l’importance sur tous les toits il y a juste cinq ans. N’est-il pas l’une des plus grandes découvertes au centre-ville de Beyrouth et au Liban en général ? Ce site de la ville phénicienne est l’unique monument civil datant de la période perse dans toute la Phénicie orientale. Le plan urbanistique de la ville s’étend le long de plusieurs artères principales et le long de rues perpendiculaires qui les croisent. Un bloc d’habitations est situé à chaque croisement. «La mise au jour de ce site est une première dans l’histoire de l’archéologie phénicienne, explique le Dr Sayegh. Sa découverte a remis en question les théories historiques sur l’organisation des villes. Car on croyait que ce modèle urbanistique datait de l’époque hellénistique, or il semble que les habitants de cette époque se soient basés sur les plans phéniciens», poursuit-il. En fait, le comité scientifique de l’Unesco a demandé, à plusieurs reprises, la sauvegarde du site en raison de sa rareté et de son importance. Il a été conservé mais tout en étant amputé. Des 3 500 mètres carrés, on n’en a gardé que 1 200. «Du grand quartier phénicien mis au jour, on n’a sauvegardé que le noyau, là où se trouvaient les plus grandes maisons et quelques magasins», affirme le Dr Sagyeh. Malheureusement, le visiteur ne peut se rendre compte de l’organisation de la ville ni se faire une idée du réseau des rues principales qui pouvaient atteindre une largeur de 2 mètres et demi (dimensions énormes pour l’époque) car le deuxième bord de la route ne figure pas dans le plan de sauvegarde. Aujourd’hui, tout le site se remarque à peine. Il est entouré de trois côtés par d’énormes constructions en béton. Et ce n’est pas la pire des choses qui lui soit arrivée. «Pendant la construction des immeubles entourant le site, ce dernier a servi de dépotoir et de lieux d’aisance aux ouvriers, indique le Dr Sami Masri, archéologue et architecte conservateur. Il était complètement délaissé, sans gardiens. Les ouvriers s’en sont servis durant la construction des immeubles pour fixer les poteaux qui soutiennent les murs en béton», poursuit-il. Et ce n’est pas tout. On s’est servi des murs de l’époque perse comme échelle pour les maçons. Certains ont même été couverts de béton. Et quand il y avait un surplus de ciment dans les camions malaxeurs, on n’hésitait pas à le vider dans les chambres des maisons phéniciennes. Ainsi, certaines salles de l’époque perse ont un sol en béton ! Hélas, le gâchis ne s’arrête pas là. Dans certains murs, les grands blocs de pierre manquent. Ils ont été utilisés dans les nouvelles constructions. Ainsi, les ouvriers ont tout simplement retiré des pierres datant de plus de 3 000 ans d’un site classé pour les coincer dans un mur en béton ! «L’unique bétyle (pierre sacrée considérée comme la demeure des dieux chez les Sémites), découvert sur le site, a disparu», déplore le Dr Sayegh. Ce témoin de la religion des habitants de la côte de cette époque, gît-il aujourd’hui sous des tonnes de béton ? Difficile de répondre. L’herbe et la mousse Cependant, il est important de préciser que tous ces dégâts ne peuvent êtres décelés que par les archéologues. Ces derniers savent chercher dans l’herbe l’emplacement des murs. Actuellement, la ville phénicienne ressemble plus à un champ qu’à un monument classé. «L’herbe est très nuisible à la pierre. Elle couvre le sol des maisons et certains murs sont fissurés par les racines des arbustes qui y poussent», relève le Dr Sami Masri. Ajoutons que la mousse qui pousse sur les pierres est un excellent capteur d’humidité. Elle causera, par conséquent, l’éclatement du support des pierres. «Après les fouilles, le Dr Sayegh a essayé de conserver certains des murs à l’aide d’une mince couche de béton mélangée à une grande quantité de sable de montagne, souligne le Dr Masri, C’était efficace, et cela a aidé les murs à résister et à rester debout. On peut facilement détacher ces couches protectrices sans pour autant abîmer les murs. Mais toute la partie nonconservée du site est actuellement menacée. Aux premières averses, les pierres de certains murs vont tomber». Ces derniers sont fragiles car leur base est faite de briques et ils sont construits avec des galets de mer joints par un mortier. Quand ce dernier s’effrite, les murs s’écroulent. Qui blâmer dans cette affaire ? Le site est sans gardiens. Il est entouré d’une clôture en fil de fer et une petite porte en métal y donne accès. Mais cette clôture ne constitue pas une véritable protection car elle tombe en lambeaux, et tout le monde peut pénétrer sur le site. La Direction générale des antiquités aurait dû prendre des décisions pour la sauvegarde du site. Elle aurait dû également fixer des budgets pour son entretien. Mais visiblement, son intérêt était dirigé vers d’autres lieux. Il faut intervenir d’urgence «Sauver ce qui reste du site est encore possible à condition d’intervenir sans tarder, indique le Dr Masri. Pour que cette tentative réussisse, il faut nettoyer le site puis le désherber afin de mieux détecter les dégâts au niveau du sol et des murs. Par la suite, il faut refaire les relevés architecturaux pour actualiser les informations concernant le site. La seule méthode qui nous permet de cerner les dégâts est de comparer les plans récents à ceux des fouilles». Et de poursuivre : «Ensuite, il faut préparer un mortier ayant la même texture que l’ancien. Il servira à reboucher les lézardes des murs et à rejoindre les pierres». La dernière étape consiste à aménager le site pour qu’il accueille les touristes. Le circuit ne devrait pas nuire au site qui nécessite un entretien continu. Tout ce travail doit être assuré par une équipe d’archéologues sous la supervision d’architectes conservateurs. Pour le moment, c’est plus qu’une nécessité, c’est une urgence. Du moins si on veut vraiment conserver le site. Et si les décisions prises lors des fouilles sont toujours valables. «Jusqu’à présent, rien ne permet d’assurer que la ville phénicienne sera conservée, même si les décisions prises il y a des années portent à le croire», déplore le Dr Sayegh. A-t-on laissé le site tomber en ruine afin de prendre pour prétexte le fait qu’il ne vaut plus la peine d’être conservé, ce qui permettrait de l’enlever par la suite sans pour autant déclencher des réactions violentes de la part des archéologues et des historiens ? Espérons que, pour une fois, la noble cause des parkings ne l’emportera pas sur l’histoire d’une nation. Et que la DGA pourra reprendre le site en main et lui assurer la consolidation nécessaire ainsi qu’un entretien continu. Et un gardien pour maintenir l’ordre.
Fouiller c’est bien, conserver c’est encore mieux. Si les fouilles des sites archéologiques sont vitales pour reconstituer l’histoire d’un pays et mettre au jour ses trésors, conserver les vestiges est encore plus important. Ces témoins du passé sont fragiles. Voire, très fragiles. Les exposer aux intempéries sans aucune précaution engendre leur destruction rapide. Tel est le cas...