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Actualités - REPORTAGES

Livre - Il a signé hier l"Histoire de la faculté d'ingénierie" à l'Esib Jean Ducruet : l'appartenance c'est aussi la mémoire (photos)

«Il ne peut pas y avoir de sentiment d’appartenance à une institution ou à un pays si on n’en connaît pas l’histoire et si on ne la fait pas sienne. Il n’y a pas d’appartenance sans mémoire, c’est pourquoi il est important d’écrire l’histoire des institutions». Ce sont les propos de Jean Ducruet, s.j., qui n’est plus à présenter. Depuis 45 ans, il vit dans un Liban qu’il a appris à connaître, à aimer, à soutenir. Il a formé une partie de sa jeunesse et créé des temples du savoir dans toutes les régions du pays durant les périodes les plus sombres de la guerre. Considérant que l’histoire de l’université est, dans une large mesure, celle des professions auxquelles elle prépare et partant celle du pays, il s’attelle depuis des années à rédiger l’histoire des différentes facultés de l’USJ. Pour que la mémoire demeure. Après les «Livre d’or des facultés de sciences médicales et infirmières (1992), celui du droit, sciences politiques et économiques (1995)», hier, il se consacre à l’Esib, cette faculté qui a accompagné la construction du pays. Quatrième volume de la série sur l’histoire de l’USJ, ce dernier concerne une faculté qui regroupe plusieurs institutions qui la composent aujourd’hui ou qui l’ont composée: l’École supérieure de technologie industrielle et celle d’ingénieurs agroalimentaires de Kfarfalous détruites en 1985 d’abord, puis l’École supérieure d’ingénieurs, l’Institut national de la communication et de l’information et l’École supérieure d’ingénieurs d’agronomie méditerranéenne. Un ouvrage de quelque 500 pages illustré de photographies et basé sur des documents d’archives, les correspondances, les communiqués. Une première partie retrace l’histoire mouvementée de l’institution, l’évolution de ses statuts, de ses programmes d’enseignement, de ses effectifs d’étudiants et de leur répartition par nationalité, sexe, communautés. La seconde partie constitue un «Livre d’or» proprement dit : administration et direction, corps enseignant, promotion de diplômés, personnel administratif. Ainsi, on apprend qu’au cours des premières périodes, alors que les autres pays arabes ne disposaient pas d’institution préparant à ces diplômes, les étudiants venaient de Syrie, d’Égypte, d’Iran, de Jérusalem, de Turquie, d’Arménie. Le prospectus de 1913 annonçant l’ouverture d’une École préparatoire précisait qu’elle recevrait «les Orientaux et les Européens». Ainsi on voit dans les promotions des diplômés de nationalités aussi diverses qu’ australienne, russe, polonaise, argentine, bulgare. On apprend également que la première promotion comportant une fille remonte à 1947, avec Mariam Solomon. À la différence de celle d’un collège, l’histoire d’une université est dans une large mesure celle aussi d’une profession et même d’un pays . On y trouve l’évolution de l’enseignement et de la recherche, l’histoire des statuts. Ceux de l’École d’ingénieurs dans ce cas ont beaucoup changé avec l’histoire du pays, reflétant des crises sérieuses. C’est aussi l’histoire des programmes, des uns constants, d’autres éphémères répondant soit à des conjonctures disparues soit à des choix infructueux. «Quand l’histoire d’une profession est assez longue, c’est celle du pays qu’on peut y lire. Il y a des changements profonds, mais aussi des ruptures qui ont été faites». C’est également l’évolution des effectifs d’étudiants avec leur croissance mais aussi leur composition. Comparaisons On apprend, par exemple, que M. Paul Huvelin, professeur de droit à l’Université de Lyon (dont la rue de l’USJ porte le nom), est le principal artisan de la fondation tant de l’École de droit que de celle des ingénieurs. Que ces deux institutions doivent leur réussite à la collaboration de l’Université de Lyon et de la Compagnie de Jésus. Que l’État français a été, un moment, intéressé par la formule, que les périodes houleuses entre les partenaires n’ont pas manqué. On découvre aussi que les doutes sur l’emploi ont retardé la création de l’École d’ingénieurs jusqu’à la Première Guerre mondiale. La période d’entre les deux guerres et celle de la construction du pays, la période Chéhab et l’actuelle ont modifié ou développé les programmes en fonction des besoins du pays. «J’étais étonné de voir créer une école d’ingénieurs 20 ans après celle de médecine. En 1913, il n’y avait qu’une école préparatoire. À l’époque, il n’y avait pas d’État et on se demandait à quoi serviraient des ingénieurs. Il n’y a eu du travail qu’avec la création d’un État». Les premières promotions n’étaient pas nombreuses, et on voit aussitôt dans quels domaines ont pratiqué les uns et les autres : le port de Beyrouth, la compagnie des chemins de fer, les services techniques ou d’exécution des travaux publics, les services hydrauliques et aussi certaines municipalités. L’histoire de l’ingénierie au Liban est mise en valeur par comparaison avec les pays voisins. Sa spécificité tient au fait que la promotion d’ingénieurs au Liban n’est pas liée à une politique de développement mise en œuvre par l’État. Elle ne devance pas l’industrialisation, que la construction et les travaux publics demeurent presque exclusivement son domaine d’activité. Enfin, la profession est fortement marquée par un individualisme qu’expliquent en partie la faible dimension du pays et celle, jusqu’à une date récente, des commandes de la clientèle privée. Ainsi, Jean Ducruet établit des comparaisons entre les préoccupations des ingénieurs libanais, syriens ou égyptiens, montrant la différence d’option. «La faculté d’ingénieurs, dit-il, «a collé au pays. Au Liban, ils sont dans la construction pour la plupart. Il n’y a pas d’industrialisation comme en Syrie. En Égypte il y a eu le barrage, l’industrie du fer, de l’acier. L’État est le patron avec un corps d’ingénieurs à ses ordres». Quant au niveau et au sérieux des programmes et des études, pour l’auteur, l’USJ et l’AUB avec des structures différentes toutefois restent en tête. « Cependant, il y a chez les diplômés de l’USJ une sorte d’individualisme poussé inexistant presque chez leurs collègues de l’AUB. Les premiers cherchent toujours à s’installer à leur compte. Les seconds s’intègrent aux grosses entreprises et émigrent davantage. Il existe une sorte de différence de culture en raison de la clientèle. Ce ne sont là que des impressions, reconnaît cependant Jean Ducruet, car il n’y a pas que l’université qui entre en jeu, il y a aussi les facteurs de la langue, du milieu. Et il est difficile d’en être absolument sûr». Souffle nouveau Le récit de l’histoire de l’ingénierie au Liban ne laisse pas grand place à l’autosatisfaction. Dans un chapitre intitulé L’ingénieur, l’État et le développement, Ducruet relève qu’on ne peut parler des ingénieurs de la fonction publique comme d’un «corps technique de l’État», non pas par faute d’ingénieurs compétents mais plutôt faute d’un État assumant le développement du pays. «L’ingénieur et l’industrialisation», un chapitre de l’ouvrage qui s’achève sur une réflexion du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprises libanais : «Si le parc industriel vieillit, si les chefs d’entreprise sont moroses, si le financement est limité, si les salaires sont bas, si les exportations plafonnent et si l’investissement est insuffisant, c’est parce que l’esprit industriel a besoin d’un souffle nouveau…». Ducruet n’oublie pas d’évoquer l’expansion anarchique de la construction et livre aux ingénieurs cette remarque d’un directeur général de l’Urbanisme : «La liberté a un sens très particulier au Liban. Nous recevons tous les jours des architectes et des ingénieurs qui viennent demander le changement des règlements et même des lois de la construction. Ils préparent leurs projets comme ils le désirent». Dans le cadre de la rubrique sur L’ingénieur et les ressources hydrauliques, l’ouvrage rappelle l’importance pour le Liban d’utiliser rationnellement les ressources en eau, objet de conflit entre les peuples évoquant, à l’intention des jeunes du Centre scientifique de l’eau et de l’environnement, l’œuvre d’Ibrahim Abd el-Al qui est loin d’être achevée.
«Il ne peut pas y avoir de sentiment d’appartenance à une institution ou à un pays si on n’en connaît pas l’histoire et si on ne la fait pas sienne. Il n’y a pas d’appartenance sans mémoire, c’est pourquoi il est important d’écrire l’histoire des institutions». Ce sont les propos de Jean Ducruet, s.j., qui n’est plus à présenter. Depuis 45 ans, il vit dans...