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Actualités - ANALYSE

Décryptages

De toutes les surprises survenues aux funérailles du roi Hussein de Jordanie, une seule aura surtout marqué les Libanais : l’absence du président Émile Lahoud. Ni l’assemblage hétéroclite et souvent bizarre des grands de ce monde, ni la présence inattendue du président Hafez el-Assad, ni l’étonnante constatation de la place importante qu’occupait le monarque disparu dans la bataille électorale en Israël, n’auront autant délié les langues que l’effacement dont a fait preuve le Liban. La ville grouille de commentaires sur cette erreur politique et protocolaire monumentale qui, de surcroît, n’a fait l’objet d’aucune explication officielle. Dans les salons, dans les cafés, dans la rue, on parle de bévue, et parfois d’imprévoyance. Certains prennent un malin plaisir à enfoncer le clou. D’autres veulent tout simplement comprendre. Certes, l’immense manifestation de solidarité avec la Jordanie orpheline et la grande affection exprimée par le monde entier pour la famille royale peuvent paraître aux yeux d’aucuns particulièrement exagérées. Hussein de Jordanie n’a pas seulement été un «petit roi» au parcours exceptionnel. Il avait aussi un autre visage moins attachant que l’on fait semblant d’oublier parce que les impératifs du moment nous obligent à renier une partie de notre histoire. Fidèle à l’héritage de son grand-père, le monarque disparu l’a été jusqu’au bout. Comme Abdallah Ier, accusé d’avoir «bradé la Palestine» en ordonnant à sa Légion arabe de cesser les hostilités lors de la guerre de 1948, en acceptant de facto le plan de partage, en menant des négociations secrètes avec Golda Meïr dans l’espoir d’étendre sa domination sur la Cisjordanie, alors que les organisations sionistes s’appliquaient à vider le pays de sa population arabe, Hussein n’a jamais rompu ses liens avec Israël ces trois dernières décennies. Certains historiens l’accusent même d’avoir informé les Israéliens de l’intention de la Syrie et de l’Égypte de lancer la guerre d’octobre 1973. Hussein fut aussi un dirigeant autoritaire qui a décrété pendant 40 ans l’état d’urgence, qui a interdit le multipartisme et qui a instauré un régime policier. Aux yeux de nombreux Libanais, le monarque est responsable, même d’une manière indirecte, d’une partie de leurs malheurs pour avoir chassé en 1970 les organisations palestiniennes lesquelles ont trouvé refuge au Liban. On lui reproche également d’avoir encouragé certains hommes politiques libanais à régler par les armes le problème de la présence des Palestiniens, un conseil qui a donné les résultats que nous savons. On le voit bien, les raisons d’admirer ou de détester Hussein de Jordanie existent. Mais aucune d’elles ne peut justifier l’absence du président Lahoud aux funérailles. S’il ne fallait consoler que ceux qu’on aime, on serait déchargé de la moitié des obligations sociales et protocolaires. Parce que les sources officielles fournissent les explications avec parcimonie, certains ont cru comprendre que le général Lahoud a décidé de ne pas se rendre en Jordanie pour éviter un vide constitutionnel en l’absence du chef du gouvernement Sélim Hoss, en voyage en Arabie séoudite. Cette interprétation est aussi farfelue qu’incroyable. De quoi a-t-on peur ? D’un coup d’État, d’une paralysie des institutions ? Toute la classe politique israélienne s’est rendue à Amman sans pour autant craindre que l’État hébreu aille à la dérive en son absence. Il en est de même pour le président el-Assad. La troisième explication, celle de l’erreur de jugement, est la plus plausible. Les dirigeants libanais ont tenté de déchiffrer les intentions syriennes, sans se concerter directement avec Damas pour rompre avec les habitudes de l’ancien régime. Mais la lecture était défectueuse. Ayant anticipé une représentation syrienne d’importance moyenne aux funérailles, ils ont décidé de dépêcher le ministre Michel Murr. Résultat, le Liban avait la délégation la moins représentative du monde arabe, et peut-être du monde tout court. La présence d’Émile Lahoud à Amman aurait été sans doute bénéfique pour le Liban. Elle aurait permis au chef de l’État d’exposer le point de vue libanais concernant les développements régionaux lors d’éventuelles rencontres avec les dirigeants des pays impliqués dans le processus de paix, chose que le président Assad n’a pas oublié de faire. Apparemment, le président Émile Lahoud multiplie ces derniers jours les actions injustifiées. Outre son absence aux funérailles du roi Hussein, il annonçait lundi à ses visiteurs qu’il se trouve à égale distance des opposants et des loyalistes. Étrange attitude venant d’un homme qui affirmait, il y a quelques jours encore en plein Conseil des ministres, soutenir totalement le gouvernement et son chef. Comment expliquer la déclaration du président Lahoud, sinon qu’il s’agit d’une volonté de se démarquer d’une équipe qui n’a toujours pas réussi à démarrer en force deux mois après sa formation ? Le chef de l’État est visiblement conscient que les hésitations et les revirements du gouvernement entament, plus tôt que prévu, le crédit dont il jouit auprès de la population. Mais adopter une position de neutralité, comme celle d’un arbitre au-dessus de la mêlée, n’est peut-être pas le bon remède à ce problème. Cette attitude risque d’être interprétée, aussi bien par les détracteurs que par les partisans, comme un pas en arrière, ou alors une fuite en avant. Dans les deux cas, le crédit du président Lahoud en pâtira. Il risque fort de se retrouver enfermé dans un cercle vicieux où chaque erreur est aggravée par une maladresse. Au bout d’un certain temps, le président pourrait se voir condamné à gérer l’héritage de l’ancien régime sans pouvoir concrétiser les promesses de changement tenues au début de son mandat. Il est trop tôt pour dresser un bilan de l’action du nouveau régime. Mais on peut d’ores et déjà faire des constatations. L’intégrité, la rectitude et l’honnêteté sont certes des qualités louables, voire indispensables chez une personne occupant les fonctions suprêmes. Mais elles ne sont pas suffisantes pour réussir une réforme. Parce que gouverner c’est aussi, et c’est surtout, prévoir.
De toutes les surprises survenues aux funérailles du roi Hussein de Jordanie, une seule aura surtout marqué les Libanais : l’absence du président Émile Lahoud. Ni l’assemblage hétéroclite et souvent bizarre des grands de ce monde, ni la présence inattendue du président Hafez el-Assad, ni l’étonnante constatation de la place importante qu’occupait le monarque disparu dans la...