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Actualités - REPORTAGES

Portrait - Le ministre a choisi l'économie pour comprendre les problèmes liés à la pauvreté Saïdi : reconstruire un pays où mes enfants et ceux des autres pourront vivre en sécurité (photo)

Parce qu’il a occupé pendant cinq ans le poste de premier vice-gouverneur de la Banque du Liban, Nasser Saïdi était, pour beaucoup de Libanais, l’homme qu’il fallait au ministère des Finances. Et lorsque les présidents Lahoud et Hoss lui confient le portefeuille de l’Économie, leur décision ne manque pas, à prime abord, d’étonner. Puis on se rend compte rapidement qu’à l’Économie, M. Saïdi est «l’homme qu’il faut à la place qu’il faut». Il suffit pour cela de jeter un coup d’œil sur le parcours professionnel du nouveau ministre… Nasser Saïdi a quinze ans quand il décide de devenir économiste. Un fait que beaucoup jugeront anodin détermine son choix : en visite au Nigeria où son père était installé, il constate que la note du dîner qu’il venait d’avoir avec son père, dans le restaurant de l’hôtel appartenant à ce dernier, représente la moitié du salaire du maître d’hôtel. Nasser Saïdi découvre alors la notion de la pauvreté dans toute son ampleur. S’il embrasse donc la carrière économique, c’est pour obtenir des réponses aux questions qu’il se pose. «Il fallait m’expliquer la pauvreté, la famine et l’inégalité dans la distribution des richesses et des revenus», dit-il. L’économie n’est pas, pour lui, une science rigide, un tas de théories qu’on met en pratique. Humaniste, Nasser Saïdi l’est sans doute. Les valeurs humaines, il les place au-dessus de tout. «Le capital humain est prioritaire», déclare-t-il. Et c’est parce qu’il croit profondément dans le potentiel de chaque individu qu’il désapprouve, personnellement, les allégeances politiques. Lui-même n’a jamais appartenu à un courant politique. «J’ai un esprit trop analyste et trop critique de l’autre. Je n’ai jamais aimé la démagogie. On ne peut pas abandonner toute la richesse qu’on a pour appartenir à un courant politique». Fondateur du premier bureau d’emploi estudiantin Nasser Saïdi a pourtant été un militant. À sa façon : militant contre la pauvreté et l’injustice sociale. Si son expérience au Nigeria l’a mis directement en contact avec ces deux notions, les cours de philosophie qu’il a suivis à la Sorbonne après avoir décroché son baccalauréat libanais et français à l’International College (IC) de Beyrouth achèvent de le persuader de s’orienter vers l’économie. Mais quand il évoque sa jeunesse, Nasser Saïdi ne se présente pas comme un militant mais comme un «anarchiste qui a des doutes et qui se pose des questions». Un anarchiste qui aurait bien aimé changer la face du monde. À l’époque où il poursuivait à l’AUB des études de sciences économiques, il a participé à de nombreuses manifestations estudiantines. Mais si elles sont utiles pour faire entendre la voix de ceux qui ont un point de vue à exprimer, les manifestations restent limitées comme moyen d’action. M. Saïdi l’a compris qui a décidé de contribuer plus efficacement au règlement des problèmes économiques liés au chômage, à l’emploi. En 1971, soit un an après son inscription à l’AUB, il fonde un mouvement estudiantin pas comme les autres. Il s’agit en fait d’un bureau d’emploi pour étudiants. Il aide ainsi ses camarades à trouver des emplois à temps partiel ou à plein temps. Le projet réussit et c’est, si l’on peut dire, le premier succès de Nasser Saïdi dans le monde des affaires. L’ambition du jeune étudiant ne s’arrête pas là. L’horizon libanais est un peu limité pour lui. Un BA d’économie de l’AUB en poche et pour approfondir ses connaissances, il va à Londres puis aux États-Unis décrocher des diplômes d’études en sciences économiques (M. Sc.de l’Université de Londres, un M.A et un Ph.D de l’Université de Rochester). Neuf années de sa vie – de 1970 à 1979 – seront ainsi consacrées aux études. Il se lance dans le même temps dans les recherches et l’enseignement – deux domaines qui contribuent à parfaire ses connaissances – dans les universités de Londres, de Rochester, de Chicago et de Genève. «À l’Université de Rochester, j’ai eu le privilège d’avoir pour collègues quatre prix Nobel d’économie, Lucas, Stigler, Miller et Becker», se souvient-il encore. A-t-il fini par trouver les réponses à ses questions ? Le sourire aux lèvres, le ministre répond calmement : «Pas tout à fait. Il est vrai que l’économie explique tout, même les facteurs économiques, mais disons qu’elle a apporté 70 % de réponses à mes questions». Son expérience ne s’arrête pas là. Dans les années 80, il fait presque le tour du monde : il est nommé conseiller de plusieurs banques centrales, en Europe, en Amérique centrale, en Amérique latine mais aussi au Liban (il est nommé en 1983 conseiller de cheikh Michel el-Khoury, alors gouverneur de la Banque du Liban). N’a-t-il pas eu assez d’être un globe-trotter ? «On ne se lasse jamais des déplacements car on va toujours à la découverte de nouvelles expériences. Je n’ai jamais donné deux cours deux fois. Je n’ai jamais pris le pli de la routine». Mais en même temps, Nasser Saïdi n’a jamais oublié ses racines libanaises. La guerre l’empêche de retourner au bercail mais ne parvient pas à le convaincre de s’installer définitivement en Occident. Aux États-Unis où il a passé huit ans, le ministre au look européen, est resté un étranger, un Libanais qui a toujours eu la nostalgie de son pays. Retour au bercail Quand il fonde une famille – il épouse en 1982 Safa Arab – il sait qu’il n’est pas question pour lui de rester en Occident. Safa et Nasser Saïdi ont aujourd’hui trois enfants Marya (15 ans), Tarek (12 ans) et Talal (9 ans), tous nés en Occident. «J’avais l’appréhension qu’ils ne deviennent des étrangers. Avant de m’établir au Liban, j’insistais chaque année pour qu’ils viennent passer leurs vacances au pays. Beaucoup de Libanais ont réussi à l’étranger. Mais malgré ce succès, on sent toujours qu’il y a un manque. On peut réussir sur le plan financier et professionnel, mais si on n’appartient pas à un pays, il y a quelque chose qui manquera toujours». En 1988, M. Saïdi revient au Liban pour rester au chevet de son père malade. Il pense rester dans le pays mais les hostilités reprennent et il repart de nouveau. Son père est entre-temps décédé. Il revient pour gérer les affaires familiales. C’est aussi, pour lui, l’occasion de faire profiter son pays natal de ses connaissances, du savoir accumulé pendant des années. Il est professeur d’économie à l’AUB, mais en même temps, il établit sa propre entreprise de conseil. Un an plus tard, il est nommé premier vice-gouverneur de la Banque du Liban. Il gardera ce poste jusqu’à sa nomination à la tête du ministère de l’Économie. Inutile de demander à Nasser Saïdi s’il a aujourd’hui des regrets. En retournant au Liban, n’a-t-il pas réalisé une promesse qu’il s’est faite depuis longtemps ? «Non, je n’ai pas de regrets. Je pense aux années à venir». Le ministre a du pain sur la planche. Il sait «qu’il y a beaucoup à faire sur le plan économique». Ce qu’il souhaite par-dessus tout, c’est de «reconstruire un Liban où mes enfants et ceux des autres pourront vivre en sécurité, assouvir leurs ambitions, sans discrimination ou contraintes ; un Liban où ils peuvent aussi se développer en êtres, complets dans une économie moderne au développement de laquelle toutes les régions du pays participeront».
Parce qu’il a occupé pendant cinq ans le poste de premier vice-gouverneur de la Banque du Liban, Nasser Saïdi était, pour beaucoup de Libanais, l’homme qu’il fallait au ministère des Finances. Et lorsque les présidents Lahoud et Hoss lui confient le portefeuille de l’Économie, leur décision ne manque pas, à prime abord, d’étonner. Puis on se rend compte rapidement...