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Actualités - REPORTAGES

Procès Karamé - La cour achève l'audition des témoins Un pilote et un technicien laissent l'assistance sur sa faim(photo)

Malgré les facéties du courant électrique et les multiples questions des diverses parties, le président Mounir Honein a réussi son pari d’achever hier l’audition des témoins dans le procès Karamé. Il est vrai que des 13 initialement prévus, six seulement ont été entendus, les autres ayant été renvoyés chez eux avec l’accord du parquet, de la défense et de la partie civile. Si les points obscurs sont encore nombreux, en raison notamment des déclarations contradictoires, l’ensemble des témoins ont mis en évidence les failles au sein de l’institution militaire à la fin des années 80, divisée, tiraillée entre les diverses milices et n’appliquant pas strictement les règlements. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été jusqu’à présent impossible de trancher le mystère de l’émetteur Genav et d’identifier la personne qui a choisi l’hélicoptère Puma 906 pour le transport du Premier ministre Rachid Karamé de Tripoli à Beyrouth, le 1er juin 1987. En principe, le vendredi 12 février, la cour devrait recevoir du commandement de l’armée des documents officiels qui ont été réclamés par la défense et par la partie civile et qui pourraient être déterminants pour le cours du procès. Entre-temps, deux témoins ont marqué l’audience d’hier, l’inattendu commandant Abdel Rahmane Abdel Razzak et l’aspirant Ibrahim Dagher, qui en 1994 avait été à trois reprises soumis au détecteur de mensonges. Cherchez et vous trouverez À ceux qui s’étonnaient de la convocation du commandant Abdel Razzak, le président Honein a lancé un lapidaire : «Cherchez et vous trouverez son nom dans les pièces du dossier». Pourtant, selon Me Badawi Abou Dib (avocat du brigadier Matar), il n’avait jamais été cité. Convoqué sur base du pouvoir discrétionnaire de la cour, le commandant Abdel Rahmane Abdel Razzak a créé la surprise en affirmant que la fréquence utilisée à la base de Kleyate a toujours été de 123,1. Selon le brigadier Matar, en 1987, cette fréquence était celle de la base de Halate dont il était le commandant. Le commandant Abdel Razzak, pilote d’hélicoptères et actuellement adjoint opérationnel à la base de Kleyate, a aussi déclaré que Charlie Alfa-Kilo est un point situé à Ras Chekaa, qui délimite la fin de l’espace aérien de la base de Kleyate. Par conséquent, selon lui, lorsqu’ils l’atteignent, les pilotes changent automatiquement la fréquence de leur poste radio. Ces deux points sont d’une importance capitale car ils permettent de préciser le véritable rôle du Genav qu’avait emporté le brigadier Matar à bord du bateau où se trouvaient aussi le chef du service de sécurité des FL, Ghassan Touma, et ses compagnons le 1er juin 1987. Si les propos du témoin sont vrais, Matar aurait pu, grâce à son poste Genav, entendre le pilote de l’hélicoptère Puma 906 quitter la fréquence de Kleyate. Étant pilote lui-même, il aurait pu deviner qu’il se trouvait alors au point Charlie Alfa- Kilo, permettant à Touma et à ses compagnons de localiser avec précision l’hélicoptère piégé pour savoir à quel moment actionner la radio commande. Mais le brigadier Matar et ses avocats ont rapidement réagi, jetant le discrédit sur les propos du témoin. Le brigadier a même laissé entendre devant la cour que l’officier Abdel Razzak avait servi sous ses ordres à Kleyate et qu’un conflit était né entre eux qui avait poussé le brigadier à réclamer le remplacement de son subordonné. Interrogé par Me Abou Dib, Abdel Razzak a toutefois nié avoir eu un conflit avec Matar et il a ajouté qu’il ne dépendait pas directement de lui. Un conflit personnel Ce qui est en tout cas sûr, c’est que le commandant Abdel Razzak a contredit les déclarations des témoins de la défense de Matar qui avaient généralement affirmé que la fréquence 123,1 était celle de la base de Halate en 1987. Abdel Razzak a encore affirmé à la cour qu’il y avait des registres à la base de Kleyate remontant au moins à l’année 1985 et dans lesquels les fréquences de la base sont notées. Il a souligné que c’est sur ces registres qu’il s’est basé pour dire que la fréquence d’approche à Kleyate a toujours été 123,1. La cour a aussi entendu le brigadier à la retraite Omar Makzoumi, ancien directeur des FSI, et les commandants Zahi Daoud et Edmond Homsy. Ces deux derniers, eux-mêmes pilotes, ne se sont pas rappelés avec précision du code Charlie-Alfa-Kilo, mais tout en ne se souvenant pas de la fréquence de Kleyate, ils ont précisé que l’une de celles utilisées à Halate était la 123,1. Le capitaine Mahmoud Omar a provoqué les rires de la salle en répondant avec une absence totale de précision, comme si tout ce qui se passait n’était qu’une vaste plaisanterie. Selon lui, à la base d’Adma où il était en poste, rien ne fonctionnait selon les règlements, aucune consigne de sécurité n’était respectée et tout allait plutôt à la dérive. Vint enfin le tour de l’aspirant Ibrahim Dagher. Responsable d’une équipe de techniciens à la base d’Adma, il avait surpervisé la préparation du Puma 906, le jour du drame, mais contrairement à ce qui était prévu, il n’est pas monté à son bord, préférant se rendre à Chypre à bord du Puma 909. Il était donc le suspect idéal et en 1987, il avait été emprisonné pendant un mois avant d’être relâché faute de preuves. En 1994, lorsque l’enquête a repris, il a été à trois reprises soumis au détecteur de mensonges, sans que l’on puisse affirmer qu’il a tu la vérité. Poings fermés dans le dos, l’aspirant a répondu à toutes les questions avec une certaine méfiance. Selon lui, la mission de Tripoli a été confiée au Puma 906 le matin même du drame. En général, les opérations aériennes centrales à Yarzé annoncent les missions aux opérations de la base. Celles-ci demandent au département technique s’il a des hélicoptères prêts au décollage avant de distribuer les missions. Mais en réalité, il n’y avait que quatre hélicoptères à la base dont trois dotés de réservoirs supplémentaires pour les trajets vers Chypre et un normal pour les trajets internes. Il arrivait toutefois que l’on utilise les hélicoptères dotés de réservoirs supplémentaires pour les trajets internes. Le 1er juin 1987, le 908 a été envoyé à Kleyate pour ramener des soldats, le 909 s’est rendu à Chypre. Seul le 906 était disponible et c’est lui qui a été préparé pour la mission de Tripoli. Selon l’aspirant, l’inspection réglementaire effectuée avant les vols ne permet pas de fouiller derrière les parois internes, où avait été dissimulée la charge. Il affirme qu’il était parti pour Chypre parce que ces missions sont plus rentables et le technicien qui devait le faire se trouvait encore au stade municipal de Jounieh au moment du décollage. Beaucoup de choses ont été encore dites, faisant alterner l’espoir et l’accablement, la révolte et la fébrilité chez les inculpés. Mais en quittant la salle glaciale du tribunal hier soir, tout le monde était plutôt soulagé. Car, après plus d’un an d’audiences, on commence enfin à entrevoir une issue à ce procès.
Malgré les facéties du courant électrique et les multiples questions des diverses parties, le président Mounir Honein a réussi son pari d’achever hier l’audition des témoins dans le procès Karamé. Il est vrai que des 13 initialement prévus, six seulement ont été entendus, les autres ayant été renvoyés chez eux avec l’accord du parquet, de la défense et de la partie civile. ...