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Actualités - REPORTAGES

Familles politiques - Préserver le legs de père en fils Michel René Moawad, un jeune bey très progressiste

Ils ont reçu la politique en héritage comme d’autres l’argent ou l’amour. Fils ou petits-fils de responsables, ils se retrouvent pris dans la tourmente publique sans avoir réellement eu leur mot à dire. Et même si les structures libanaises ne sont pas totalement tribales, tout le monde – et en particulier leurs familles – attendent d’eux qu’ils reprennent le flambeau. Pour eux, il ne s’agit pas d’ambition personnelle, mais d’une sorte de fatalité. Ils doivent «préserver le legs familial». Certains assument dans un esprit d’ouverture, d’autres ont un désir de revanche et d’autres encore choisissent de vivre leurs passions, même si la politique n’est jamais bien loin. N’est-ce pas normal puisqu’en somme ils sont tombés dans cette marmite à leur naissance ? Son parcours n’a pas été facile, mais aujourd’hui, Michel René Moawad respire la sérénité. Il a réussi à surmonter colère, révolte et dégoût, à la suite de l’assassinat de son père le 22 novembre 1989 et de la façon dont l’État d’alors a traité l’affaire, pour se tourner résolument vers l’avenir, un avenir politique dans le sens large du terme. En le voyant simple et décontracté, on pense à tout sauf à un fils à papa (on pourrait aussi ajouter dans son cas un fils à maman) ou à un fils de bey. Pourtant, Michel Moawad a une autorité naturelle qui ne se manifeste pas d’emblée, s’imposant à son interlocuteur au fil d’une conversation toujours riche et profonde. Ce jeune homme de 27 ans, qui a fait ses études à l’étranger presque à contrecœur, revendique aujourd’hui son appartenance à «une grande famille» de Zghorta, son éducation à l’occidentale et ses aspirations à une société plus juste et épanouissante pour l’individu. Contrairement à certains leaders actuels qui assument mal les tiraillements entre une éducation moderne et des structures féodales, Michel Moawad a réussi à dépasser les conflits personnels et exprime aujourd’hui une vision claire de la situation. Ses réponses posées sont le fruit d’une longue réflexion et reflètent des convictions solidement ancrées. Mon père avait eu un pressentiment Si, depuis sa plus tendre enfance, la politique occupe l’essentiel des conversations familiales, il n’a pas vraiment eu le temps de penser à une carrière politique avant la mort de son père. Deux à trois mois avant son assassinat, ce dernier l’avait envoyé à Paris afin qu’il y passe son bac. «C’est comme s’il avait un pressentiment, raconte Michel. D’ailleurs, la veille de son élection à la présidence de la République, le 5 novembre 89, nous avons passé la soirée ensemble à l’hôtel Royal-Monceau. Il était pratiquement sûr d’être élu le lendemain, mais il m’a dit : “s’il m’arrive quelque chose, tu t’occuperas de ta mère et de ta sœur”». Dès l’annonce de l’assassinat, Michel rentre au Liban. Il y reste 20 jours, et c’est sur l’insistance de sa mère qu’il est retourné en France. «C’était dur de se retrouver seul à Paris, après une telle épreuve, dit-il, je voulais rester au Liban. Mais ma mère a exigé mon départ. Finalement, elle a eu raison car sans ce séjour à l’étranger, je n’aurais pas obtenu une telle formation et je serai passé à côté de beaucoup de choses». Après le bac, Michel passe deux années préparatoires en internat. Cela a été l’occasion pour lui de procéder à une introspection. «Au début, c’était le dégoût qui me submergeait. Ma famille n’était pas préparée à la guerre. Nous n’avons jamais eu une milice et mon père était un homme de dialogue, qui n’avait pas d’ennemis déclarés». L’assassinat d’un homme que rien ne prédestinait à une mort violente a été très déstabilisant pour le jeune Michel. Vint ensuite la façon dont le pouvoir libanais à l’époque a cherché à faire oublier l’élection de René Moawad, comme s’il s’était agi d’une petite parenthèse dans l’histoire du pays. «Vous n’imaginez pas combien ma mère a dû batailler pour obtenir qu’un jardin porte le nom de mon père…Tout cela a augmenté mon dégoût pour le Liban et à un moment j’ai songé à ne pas rentrer à Beyrouth». L’assassinat d’un projet Michel surmonte finalement ce sentiment en se disant qu’à travers son père, c’est tout un projet qu’on a voulu éliminer et , par conséquent, la meilleure riposte est de se battre afin de faire triompher ce projet. «C’est cela mon pari aujourd’hui. Si nous parvenons à faire adopter les principes que prônait mon père, nous aurons pris notre revanche politique». Le jeune homme est convaincu que les coupables du crime seront un jour identifiés «car ces choses-là finissent toujours par être connues». Mais cela ne l’empêche pas de s’indigner de la manière dont l’enquête officielle a été menée jusqu’à présent. «Certains nous ont suggéré de mener notre propre enquête, mais nous nous y sommes toujours refusés car si René Moawad a été tué c’est parce qu’il était président de la République. L’identification des coupables relève donc de la responsabilité de l’État». Selon lui, ce que voulait son père, c’est préserver un certain visage du Liban, celui des droits de l’homme, d’une démocratie plus active et plus élaborée, un État institutionnalisé qui puisse servir de terrain d’entente à toutes les parties. «C’est la seule façon dont je puisse concevoir le pays et je ne peux accepter l’idée que ce projet a été assassiné».Voir les choses de cette façon a aidé le jeune Michel à expliquer l’inexplicable, c’est-à-dire la mort violente et gratuite. Michel Moawad confie soudain : «Les circonstances n’ont pas été faciles pour moi au cours de ces dix dernières années». Mais par pudeur, il n’en dira pas plus. Il revient donc sur ce qui donne désormais un sens à sa lutte : les valeurs qu’incarnait son père. «Je le conçois comme l’héritier du chéhabisme, plus qu’une concrétisation de l’accord de Taëf. Mais, dans les deux cas, il faut oublier le conjoncturel pour s’en tenir à l’essentiel, l’aspiration à un État de droit basé sur des institutions. C’est d’ailleurs, à mon avis, le seul projet viable pour le Liban». Croit-il qu’on puisse réaliser un tel projet alors qu’au Liban-Nord, dont il est originaire, les structures féodales sont les plus puissantes ? «A-t-on proposé un autre modèle aux habitants de Zghorta ou d’ailleurs ?, répond Michel Moawad. Si un jeune de ma région veut aujourd’hui trouver un emploi, il est contraint de s’adresser aux filières familiales pour l’obtenir ainsi que pour protéger l’ensemble de ses droits». Selon lui, si dans les années 75, les jeunes ont adhéré massivement à des partis (quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur ces partis), c’est parce qu’ils y voyaient les moyens de s’exprimer tout en continuant à bénéficier d’une protection. «Le problème, dit-il, c’est qu’aujourd’hui les Libanais ne créent plus leur propre changement, se contentant d’attendre des circonstances qui, elles, produiraient le changement. Ils deviennent fatalistes. En fait, il y a une dichotomie entre ce que les gens veulent et ce qu’ils font». « Être fils de » est un démarrage mais ne suffit plus Michel Moawad pose un regard très critique sur le mandat précédent qui avait transformé le système en oligopole. «Quelques personnes se partageaient le contrôle du pays et comme il leur fallait financer le système, cela a donné lieu aux vols et autres partages des ressources. Les Libanais étaient mécontents mais prisonniers du système». Il y a quand même eu quelques tentatives pour amorcer un changement et Michel Moawad a activement participé à la campagne pour la tenue des élections municipales. «Le changement, ajoute-t-il, c’est d’ailleurs une somme de batailles gagnées…ou perdues. Ce qui compte c’est de se battre». Son défi, aujourd’hui, c’est de faire bouger les gens, de leur montrer qu’il y a une possibilité de changement. Comment peut-il concilier cette aspiration au changement et le fait qu’il est, au Nord, le fils du bey ? «Je suis un peu bey et beaucoup progressiste, lance-t-il avec humour. Je possède en tout cas plus d’atouts pour œuvrer en faveur du changement. Et si je suis aujourd’hui un acteur sur la scène publique, c’est parce que je suis le fils de René Moawad. Cela ne me gêne pas, j’en suis fier. Cela aurait pu être un complexe si je vous avais dit : je ne veux pas qu’on me juge comme le fils de …Je pense que je démarre avec un grand capital. Mon père m’a laissé un nom. On verra par la suite si je serai à la hauteur». Moawad précise ensuite : «Je crois que l’héritage politique est un bon démarrage, mais il ne suffit plus. La vie écarte rapidement ceux qui ne sont pas à la hauteur». Il n’a pas seulement un père célèbre, il a aussi une mère active, ne se sent-il pas écrasé par cette double présence ? «Pas du tout, répond-il catégoriquement. Avec ma mère, nous nous entendons comme une équipe de travail. Et je me sens totalement représenté par elle au Parlement». Michel Moawad ne compte pas présenter sa candidature aux prochaines législatives. «Je ne suis pas pressé. Je veux prendre du temps pour me construire et au cours de ces dernières années, je me suis beaucoup investi dans la fondation Moawad, j’ai élaboré des projets agricoles et industriels et je réorganise la machine électorale au Nord. En tout cas, je ne me considère pas en période d’attente…». Michel Moawad attend beaucoup de l’actuelle équipe au pouvoir. «Le président Lahoud a été la seule nomination de mon père (comme commandant en chef de l’armée) et le 22 novembre, il devait la lui annoncer officiellement à 16h. Il a été tué avant…».
Ils ont reçu la politique en héritage comme d’autres l’argent ou l’amour. Fils ou petits-fils de responsables, ils se retrouvent pris dans la tourmente publique sans avoir réellement eu leur mot à dire. Et même si les structures libanaises ne sont pas totalement tribales, tout le monde – et en particulier leurs familles – attendent d’eux qu’ils reprennent le...