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Actualités - OPINION

Tribune A l'écoute du changement

« La crise, c’est quand le vieux meurt et que le neuf hésite à naître ». Cette définition de la crise, que donne Antonio Gramsci, s’applique tout à fait à la situation libanaise. Le climat de «fin de règne» qui prédomine dans la région et au Liban est évident. Il suffit, pour le constater, de lire la presse. La tension qui en résulte est d’autant plus difficile à supporter que personne ne parvient encore à déceler ce que sera ce «neuf» qui tarde à voir le jour. Or de nombreux indices indiquant un changement en profondeur sont apparus au cours de cette période, mais ils ne sont pas encore perçus en tant que tels et n’ont pas, de ce fait, changé notre perception des choses. Parmi ces indices : 1- La «révolution dans la révolution» que connaît l’Iran depuis l’accession au pouvoir de Mohamed Khatami, soutenu principalement par les jeunes et les femmes. Les élections présidentielles de mai 1997 ont, en effet, montré que la société iranienne était une société bien vivante. Même les «conservateurs», adversaires de Khatami, ont fait preuve de beaucoup de clairvoyance en respectant le jeu démocratique. N’était-ce l’intervention du Guide de la révolution, les troubles de l’été dernier auraient pu très vite dégénérer en affrontements civils. L’expérience iranienne est riche d’enseignements pour l’ensemble des pays de la région où le changement démocratique est, le plus souvent, stoppé par le recours à la force. 2- L’apparition dans le monde arabe d’une revendication démocratique qui s’affirme de plus en plus. La qualité des débats qu’organise la chaîne de télévision Khalige a de quoi surprendre tant par la nature des sujets abordés que par la liberté accordée aux intervenants. En Égypte, les débats entre les différentes tendances sur des questions aussi diverses que la démocratie, la mondialisation, la participation, le rôle des femmes, la liberté religieuse montrent que la société a retrouvé un dynamisme qui lui avait longtemps fait défaut. Au Soudan, le dialogue, même «chaud», qui s’instaure entre les parties en conflit, est le résultat de pressions de la base. 3- La «démocratisation par le haut» des régimes arabes. Cette démarche a certes une portée limitée, mais elle révèle une volonté d’adaptation et pourrait être le prélude à une transition en douceur vers une démocratie plus réelle. La participation des femmes aux élections législatives au Qatar, le droit de vote qui vient de leur être reconnu à Koweit, la libéralisation du régime jordanien, les récentes mesures prises par le roi Mohamed VI du Maroc – la dernière en date étant le limogeage de son ministre de l’Intérieur, Driss Basri, que beaucoup considéraient comme «le véritable chef occulte du gouvernement» – la réconciliation entreprise par le régime algérien, l’octroi à la femme séoudienne du droit d’avoir une carte d’identité personnelle, etc. sont autant d’indications sur cette évolution qui commence à se dessiner. 4- La reprise de la négociation arabo-israélienne qui met un terme à une situation de «ni guerre ni paix» dont le coût s’est avéré extrêmement lourd. La conclusion d’une paix décente marquerait la fin du sionisme politique et permettrait aux Arabes de sortir de l’état de crispation dans lequel ils se trouvent depuis un demi-siècle. 5- L’appel à un «dialogue entre les cultures et les religions», lancé par le pape Jean-Paul II dans l’Exhortation adressée aux Libanais en mai 1997 et par le président iranien Khatami lors de sa récente visite à Rome, ouvre la voie à un changement dans la nature des rapports avec l’Occident. Cet appel, repris par le président Lahoud lors de son intervention au récent sommet de la francophonie, marque une volonté certaine de sortir de ce repliement sur soi qui a marqué la fin de ce siècle. Ces indices sont le signe d’un changement profond qui commence à se manifester dans l’ensemble de la région. Pourquoi les Libanais ne le perçoivent-ils pas ? Parce que leur pays est devenu, depuis un long moment déjà, un pays «virtuel» qui n’a plus de consistance réelle, à l’instar des transactions boursières qui n’ont plus besoin aujourd’hui pour se conclure que d’un simple écran d’ordinateur. Et dans un pays virtuel, le pouvoir ne peut être, lui aussi, que virtuel. Ceux qui l’exercent ne le détiennent pas, mais sont en état permanent de représentation. Les Libanais se trouvent ainsi réduits au statut de spectateurs d’une pièce dont le sujet est toujours le même, mais dont les acteurs – qui sont eux aussi toujours les mêmes – échangent régulièrement les rôles entre eux. Or la «vraie vie» est ailleurs. Le pays «virtuel» est stérile et monotone. Seule une redécouverte du pays «réel» – fait de gens réels qui pratiquent des activités réelles – pourrait permettre aux Libanais de sortir de leur torpeur.
« La crise, c’est quand le vieux meurt et que le neuf hésite à naître ». Cette définition de la crise, que donne Antonio Gramsci, s’applique tout à fait à la situation libanaise. Le climat de «fin de règne» qui prédomine dans la région et au Liban est évident. Il suffit, pour le constater, de lire la presse. La tension qui en résulte est d’autant plus difficile à...