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Actualités - ANALYSE

D'un général à l'autre ...

Signe des temps, le premier anniversaire de l’accession du général Émile Lahoud à la présidence de la République a coïncidé avec l’organisation, cette année, d’une cérémonie sans précédent pour commémorer l’anniversaire du décès du président Fouad Chéhab, il y a 26 ans. Cette commémoration passait jusqu’à présent pratiquement inaperçue. Est-ce un pur hasard si elle a pris une ampleur inégalée à l’ombre du mandat actuel ? Une question qui revêt une signification particulière si l’on établit un parallèle entre le régime de celui qui fut le fondateur de l’armée libanaise et le régime du président Lahoud. Une telle comparaison s’impose à plus d’un titre. Non pas parce que les deux hommes sont issus de la Grande Muette, mais plutôt parce que les circonstances de leur mandat respectif présentent quelques points de similitude. Et par le fait même, il serait fructueux de tirer des leçons de l’expérience du sexennat Chéhab. Lorsque celui-ci est arrivé au pouvoir, en 1958, le pays sortait d’une guerre civile meurtrière. Le Liban était alors soumis au poids d’une puissance régionale omnipotente (l’Égypte) conduite par un leader arabe charismatique et pratiquement incontournable (Nasser). Les événements de 1958 avaient été provoqués en réaction à la politique étrangère du président Camille Chamoun, jugée trop pro-occidentale. Pour Nasser – engagé dans le conflit avec Israël et dans une lutte contre «l’impérialisme américain» – il était donc vital de pousser le Liban à rectifier le tir. Le président Chéhab avait accepté de jouer le jeu, tout en préservant certaines limites susceptibles de sauvegarder la spécificité libanaise. Pour consacrer son alignement sur la politique étrangère de l’Égypte sans pour autant bafouer les réalités locales, il a tenu à ne rencontrer Nasser qu’à la frontière avec la Syrie, et non pas au Caire ou à Damas (ou même à Beyrouth). * * * En contrepartie de cet alignement sur Le Caire, le président Chéhab avait pris soin de se réserver une large marge de manœuvre dans sa gestion des affaires internes. Il a ainsi pris conscience rapidement de la nécessité de résorber le mécontentement de la rue chrétienne qui avait perçu son élection comme une défaite politique pour les chrétiens. D’où la formation, au début du mandat, du gouvernement quadripartite comprenant deux ténors maronites, Pierre Gemayel et Raymond Eddé, dont la légitimité populaire ne pouvait être contestée. Durant tout son mandat, le président Chéhab avait su préserver cet équilibre judicieux entre les pôles politiques chrétiens et mahométans. Le contexte régional et, surtout, international de la fin des années 50 diffère sensiblement, à l’évidence, de la conjoncture présente. Mais en schématisant, il est quand même possible de dégager sur ce plan certaines similitudes. D’une manière quelque peu analogue aux conséquences de l’ouverture de Fouad Chéhab en direction de Nasser en 1958, l’alignement actuel du pouvoir et de la (nouvelle) classe politique sur la Syrie a contribué dans une large mesure à consacrer la fin des combats au Liban. Reste à réussir, au plan interne, un pari semblable à celui gagné par le président Chéhab. Le général Lahoud devrait pouvoir ainsi mettre à profit le capital de confiance qu’il a réussi à se forger auprès du régime syrien pour s’octroyer une marge de manœuvre dans la gestion des affaires libanaises. Et, du même coup, tenter de fonder les liens avec Damas sur un climat de confiance réelle et sur le respect des intérêts mutuels bien compris, allant au-delà d’un simple rapport de force ou de «relations privilégiées» qui restent limitées à une classe politique dont la seule légitimité est qu’elle a accepté – bon gré, mal gré – de rentrer dans les rangs. Au niveau strictement libanais, la question est de savoir si le président Lahoud est parvenu à la même conclusion que le président Chéhab au début de son mandat, à savoir la nécessité d’assurer une couverture chrétienne au régime. Car sans une représentation équilibrée des composantes socio-communautaires du pays, il ne saurait y avoir une véritable stabilité interne et une paix civile incontestée. D’où l’extrême importance – et la gravité – du débat actuel sur le découpage des circonscriptions électorales. * * * Mais indépendamment des impératifs politiques locaux, un autre trait commun se dégage des deux régimes Lahoud et Chéhab : le souci de mettre sur pied des institutions étatiques efficaces et d’enclencher un programme de développement global et intégré, notamment dans les régions périphériques. Tout le monde se souvient sur ce plan de la célèbre mission Irfed conduite par le père Lebret qui a élaboré, entre 1959 et 1961, la première étude scientifique sur la situation sociale et économique du pays. Et nul n’ignore aussi que le Liban doit au président Chéhab la fondation de la charpente d’un État moderne par le biais de la création d’une série d’organismes censés canaliser et gérer d’une manière rationnelle les affaires publiques. C’est ainsi que l’on a assisté progressivement, au début des années 60, à la naissance, entre autres, de la Banque centrale, de la Caisse nationale de sécurité sociale, du Plan vert, du Conseil national du tourisme, du Conseil exécutif des grands projets, sans compter les organismes de contrôle, tels que le Conseil de la fonction publique, l’Inspection centrale et la Cour des comptes. Ce sont ces mêmes organismes de contrôle que le président Lahoud a réactivé dès le début de son mandat afin de freiner le déclin de l’administration étatique. Ces efforts de modernisation et de réactivation de l’appareil de l’État ainsi que les programmes de développement équilibré, qui s’inscrivent dans la lignée de la mission Irfed, se heurtent aujourd’hui à un système institutionnel miné à la base et aux débordements d’une classe politique dont le clientélisme dépasse toutes les bornes. C’est ce même problème qui a été soulevé il y a près de trente ans par le président Chéhab dans le communiqué qu’il publia en 1970 pour annoncer qu’il ne désirait pas se porter candidat à la présidence de la République : «Les institutions politiques libanaises et les principes traditionnellement suivis en matière politique ne constituent plus un instrument valable pour hisser le Liban au niveau des exigences de 1970 dans les différents domaines. Nos institutions sont dépassées par les systèmes modernes en plusieurs points ayant trait au renforcement de l’efficacité du pouvoir (…). Le pays n’est pas encore préparé, ni prêt, pour accepter les transformations auxquelles je ne peux envisager de recourir autrement que dans le cadre de la légalité et des libertés démocratiques». Des propos qui gardent toute leur valeur symbolique trente ans plus tard. Et qui reflètent à quel point le Liban n’a toujours pas réussi à atteindre un état d’équilibre stable au double plan politique et constitutionnel.
Signe des temps, le premier anniversaire de l’accession du général Émile Lahoud à la présidence de la République a coïncidé avec l’organisation, cette année, d’une cérémonie sans précédent pour commémorer l’anniversaire du décès du président Fouad Chéhab, il y a 26 ans. Cette commémoration passait jusqu’à présent pratiquement inaperçue. Est-ce un pur...