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Actualités - OPINION

Tribune Liban-Syrie : peut-on parvenir à un compromis historique ?

À la veille de changements qui s’annoncent décisifs dans la région, peut-on espérer parvenir à un «compromis historique» avec la Syrie et faire ainsi l’économie de secousses à venir? La réponse est loin d’être évidente, car les relations entre les deux pays ont été marquées, depuis l’indépendance, par une tension quasi permanente. À la position syrienne qui a toujours implicitement considéré l’entité libanaise comme un fait colonial, a fait écho une politique libanaise faite de méfiance et d’hostilité. Les grandes étapes de ces relations tumultueuses sont connues. Notons au passage la rupture de l’Union douanière (mars 1950) – considérée par le Premier ministre syrien, Khaled Azem, comme «une source de profits et d’avantages incalcuables pour l’économie syrienne» –, la visite en Turquie du président Chamoun alors même que les relations syro-turques étaient marquées par une forte tension, les nombreuses incursions frontalières syriennes, le refus du Liban d’adhérer à un pacte militaire avec la Syrie, etc. Dans une conférence prononcée au Cénacle libanais le 8 mai 1957, soit juste un an avant que n’éclate «la guerre de 1958», Arnold Toynbee affirmait d’une manière prémonitoire : «Comme Israël, le Liban n’est pas viable s’il se trouve dans un état permanent d’hostilité envers ses voisins à l’Est. En ce moment, la diplomatie libanaise déploie une grande activité en nouant des relations amicales avec les pays arabes lointains – par exemple l’Arabie séoudite et le Soudan. Évidemment cette politique est excellente, mais je me permettrai de dire qu’à mon avis elle ne touche pas au problème capital. Ce problème, c’est celui des relations entre le Liban et la Syrie, qui est votre voisin immédiat. Si les relations syro-libanaises deviennent hostiles, le Liban sera étouffé». L’avertissement de Toynbee n’est pas pris en considération. La rupture entre les deux pays intervient à la suite de l’adhésion du Liban à la «doctrine Eisenhower» et du soutien de la Syrie à l’opposition libanaise. Aucune leçon n’est tirée des événements de 1958. La rencontre historique entre les présidents Chéhab et Nasser, le 26 mars 1959, à la frontière libano-syrienne, permet certes de calmer le jeu, mais pour un court moment. Une nouvelle accalmie intervient avec l’accession au pouvoir du président Hafez el-Assad et la formation, en décembre 1970, d’une commission conjointe libano-syrienne. Mais les relations vont se détériorer très vite à cause du conflit qui va opposer le gouvernement libanais à la Résistance palestinienne. L’intervention syrienne au Liban après le début de la guerre libanaise n’apporte pas de solution au problème, car, dès le début, les Syriens, estimant que leur présence au Liban représentait pour eux une carte de pression et d’échange dans leur politique régionale et internationale, l’ont utilisée sans prendre en considération l’intérêt des Libanais. Ces derniers n’ont plus été considérés que comme des instruments au service d’une politique dans l’élaboration de laquelle ils n’avaient aucun rôle à jouer. L’accord de Taëf a tenté de dépasser cet antagonisme pour jeter les bases d’une nouvelle relation avec la Syrie. La partie libanaise a rempli sa part du contrat en instaurant des «relations privilégiées» avec la Syrie, tournant ainsi une page d’histoire. La partie syrienne, elle, est restée figée dans une attitude crispée que les changements survenus ne justifient plus. Il faut se rendre à l’évidence : si le Liban a eu besoin, pour sortir de sa crise, de procéder à d’importantes modifications structurelles, la Syrie avec laquelle il est lié par un traité d’amitié et de coopération, ne peut plus, elle, persévérer plus longtemps sur les bases qui ont servi de fondements à sa politique. La fin de la guerre froide, la chute des régimes totalitaires, l’effondrement de l’Irak, l’émergence d’un nouvel ordre mondial, la revendication démocratique qui secoue le monde, la négociation israélo-arabe sont autant de facteurs qu’il faut désormais prendre en considération. La Syrie a impérativement besoin de procéder aux changements que nécessite son adaptation au monde moderne. Le pouvoir syrien en pressent d’ailleurs la nécessité, comme en témoignent les dernières déclarations faites par les responsables syriens, mais sa démarche reste hésitante à cause des risques que tout changement entraîne. L’exemple de l’Algérie qui a basculé dans la violence, celui de la Russie, prisonnière de ses mafias, celui encore de la Yougoslavie qui a littéralement explosé expliquent, certes, ces hésitations, mais l’immobilisme n’a jamais représenté une solution et ne fait généralement qu’aggraver le problème. Le Liban avait vocation, au lendemain de Taëf, d’aider la Syrie à opérer cette transition en douceur et à éviter les secousses qui pourraient remettre en cause la stabilité de ce pays. Or c’est exactement le contraire qui s’est passé. Au lieu de «libaniser» le régime syrien, en l’ouvrant à la modernité, nos dirigeants ont cherché – par manque de lucidité ? – à «syrianiser» le Liban, commettant ainsi un contre-sens historique que Libanais et Syriens, embarqués sur une même galère, risquent de payer cher. Il est peut-être temps de remettre les pendules à l’heure. Cela demande beaucoup d’intelligence et de maturité, à la fois de la part des Libanais et des Syriens. Peut-être pourrons-nous ainsi éviter de faire les frais de nouvelles aventures.
À la veille de changements qui s’annoncent décisifs dans la région, peut-on espérer parvenir à un «compromis historique» avec la Syrie et faire ainsi l’économie de secousses à venir? La réponse est loin d’être évidente, car les relations entre les deux pays ont été marquées, depuis l’indépendance, par une tension quasi permanente. À la position syrienne qui a toujours...