Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Les dix ans de Taëf Un document imparfait et , de plus, mal appliqué

En pleine guerre, quand rien n’allait plus, et sauf quand il y avait trop de boum-boum, les Libanais n’oubliaient jamais de commémorer l’indépendance, le 22 novembre. Comme un regret et un espoir en même temps. C’est à peu près ce qui se passe avec Taëf dont le gouvernement veut célébrer les dix ans. Étrange idée quand on songe que ces accords sont en réalité restés lettre morte dans nombre de clauses capitales. La prétendue application que l’on en a fait, tronquée et discriminatoire, a créé un pays sans entente. Peut-être que le rituel d’anniversaire dont on veut entourer Taëf permettra de mieux réaliser les malformations dont souffre cet enfant, pour en entamer le traitement clinique. Même les partisans, même les artisans de Taëf en conviennent : ces accords ont été essentiellement conçus pour mettre fin à l’état de guerre au Liban. Le reste était du rafistolage approximatif qu’il faudrait ensuite renégocier et peaufiner. Or, ce travail de finition n’a jamais été accompli. D’où une érosion, une dégradation qui conduisent beaucoup de parties à estimer que le traité est devenu irrécupérable, qu’il faut en faire table rase pour élaborer un autre pacte national. Dès le départ, les protagonistes dans leur majorité ont indiqué qu’ils acceptaient les accords conclus comme un pis-aller pour faire taire le canon. Le texte avait été voté le 5 novembre 1989 à une majorité de 55 voix, réserves émises par 3 députés, retrait de 3 autres et abstention d’un parlementaire, M. Hassan Rifahi. Dix ans plus tard, où en est-on? Taëf, c’est indéniable, a sauvé le Liban des affres de la guerre et d’une destruction annoncée. Mais cela au prix, également indubitable, du pouvoir de décision sinon de la souveraineté nationale. C’est-à-dire au prix d’une mise sous tutelle mentionnée dans le document à travers le paraphe des puissances garantes. Les accords étaient théoriquement l’œuvre d’un comité tripartite arabe, mais résultaient de tractations menées tambour battant par plusieurs parties, les députés eux-mêmes, M. Rafic Hariri, la délégation syrienne et les Américains qui pour l’occasion avaient transféré en Arabie séoudite tout leur staff de Beyrouth. Ces diplomates se sont montrés sinon les plus actifs du moins les plus pressants. Ils ne cessaient de répéter aux députés libanais que c’était à prendre ou à laisser, qu’il fallait accepter les conditions posées ou assumer la responsabilité de la poursuite de la guerre libanaise. Donc c’est au son des sirènes d’ambulance que ce traité d’urgence, fait de bric et de broc, a été conçu et conclu. Simple chiffon de papier en définitive, il aura néanmoins servi à donner largement satisfaction à une fraction déterminée, aux dépens d’une autre, réduite au rôle de paria. Aucun Cabinet d’entente nationale n’a été formé sous la présente république, comme l’exigent pourtant expressément les accords de Taëf. L’intégration dans les forces régulières des éléments des anciennes milices s’est révélée pratiquement monochrome. Le Conseil des ministres qui devait détenir le pouvoir exécutif a été évincé par le système de la troïka. Les querelles persistantes entre présidents ont ainsi aggravé considérablement les difficultés économiques du pays. Au lieu des 108 députés prévus par Taëf, on a fabriqué une Chambre de 128 membres. On a voulu en 1991 nommer des parlementaires. Puis l’année d’après, en lieu et place des élections municipales préparées de longue date par le ministère de l’Intérieur, on a imposé de force des élections législatives. En foulant aux pieds encore une fois Taëf : au lieu de prendre le mohafazat comme base de circonscriptions, ainsi que le recommande ce document, on a adopté une formule hybride, en disloquant le Mont-Liban. Malgré un boycott général représentant, selon les chiffres officiels, quelque 86 % de l’électorat, on a validé ce scrutin de 1992. Et on l’a répété en 1996, malgré la condamnation émise par le Conseil constitutionnel créé entre-temps. Avec le même résultat global, dénoncé par Bkerké : un tiers au moins des députés chrétiens sont en fait de simples porteurs d’eau chez des leaders mahométans et ne représentent pas leur camp nominal. Les excès, les bavures des dernières années sont innombrables. Dans le domaine des médias, une bataille douteuse a mené précédemment à l’élimination de certaines entreprises, que le gouvernement actuel réhabilite. Plus grave sans doute reste le problème, toujours en suspens malgré l’énormité des dépenses effectuées, du retour des déplacés. Il y a aussi la question du redéploiement syrien sur la Békaa qui aurait dû aux termes de Taëf intervenir en septembre 1992 et qui a été gelé à la demande des autorités libanaises elles-mêmes. Alors pour l’anniversaire de Taëf, il faudrait peut-être qu’on le remette au berceau. Afin que les fées se penchent de nouveau sur lui pour gommer ses imperfections.
En pleine guerre, quand rien n’allait plus, et sauf quand il y avait trop de boum-boum, les Libanais n’oubliaient jamais de commémorer l’indépendance, le 22 novembre. Comme un regret et un espoir en même temps. C’est à peu près ce qui se passe avec Taëf dont le gouvernement veut célébrer les dix ans. Étrange idée quand on songe que ces accords sont en réalité restés lettre...