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Actualités - CHRONOLOGIE

Affaire Barsoumian - Les avocats de l'ancien ministre en appellent au Parlement La bataille de procédure n'est pas terminée

L’ancien ministre de l’Industrie et du pétrole Chahé Barsoumian est-il la victime d’une «erreur juridique flagrante», du moins quant à la forme prise par son procès ? C’est ce qu’avancent ses avocats Mes Badaoui Abou Dib et Akram Azouri, qui ont transmis au bureau de la Chambre des députés un mémorandum dans lequel ils soutiennent que la justice ordinaire est incompétente pour le mettre en accusation et le juger, et que seul le Parlement est compétent pour lui demander des comptes. Il ressort en fait, de l’argumentation soutenue par Mes Abou Dib et Azouri, que le Parlement a non seulement le droit, mais le devoir d’intervenir dans cette affaire. Pour les crimes dont il se serait rendu coupable durant l’exercice de ses fonctions ministérielles, M. Barsoumian se trouve en détention à la prison de Roumieh, sur ordre du premier juge d’instruction de Beyrouth, depuis le 9 mars 1999. L’ancien ministre est notamment accusé d’avoir revendu du pétrole brut sous le label résidu pétrolier et d’avoir adjugé des importations de pétrole à des tarifs supérieurs au cours normaux, avec la complicité du président d’une compagnie pétrolière privée, Nagi Azar, qui est également emprisonné. Par la rigueur et la richesse de son argumentation, le mémorandum prouve que la bataille de procédure qui a marqué la mise en accusation et l’incarcération de l’ancien ministre n’est pas terminée, et que le Parlement a un mot à dire, si ce n’est de droit, du moins de justice. Le mémorandum relève en effet que la Cour de cassation qui a condamné M. Barsoumian a indirectement ouvert la voie à la Chambre des députés à exciper, même tardivement, de sa compétence, en affirmant que les actes reprochés à l’ancien ministre ont été commis dans l’exercice de ses fonctions ministérielles. Un arrêt de la Cour de cassation Le mémorandum démonte point par point un jugement de la Cour de cassation datant du 24 mars 1999. La Cour avait été saisie par les avocats d’une requête demandant la révocation, pour les motifs suivants, d’un premier jugement de la cour d’appel ayant condamné M. Barsoumian : –Violation de l’article 70 de la Constitution accordant à la Haute cour de justice la prérogative de poursuivre présidents et ministres en justice. –Violation de l’article 79 de la loi réglementant le métier d’avocat, interdisant l’interrogatoire d’un avocat sans avis préalable de l’Ordre, sauf cas de flagrant délit. –Violation de l’article 104 du code de procédure pénale, car le juge d’instruction avait décerné son mandat d’arrêt avant de consulter le procureur général. Dans son arrêt en date du 24 mars, souligne le mémorandum, la Cour de cassation, troisième chambre, avait reçu la requête des avocats de M. Barsoumian dans la forme, mais l’avait rejetée quant au fond. Elle avait en particulier rejeté les exceptions 2 et 3 soulevées par les avocats, sans motiver sa décision. Quant au premier moyen soulevant l’incompétence des tribunaux ordinaires pour connaître des crimes attribués à un ancien ministre dans l’exercice direct de ses fonctions, la Cour de cassation, et contrairement à ce qu’en avaient jugé le premier juge d’instruction et la chambre des mises en accusation, avait estimé que les faits reprochés à M. Barsoumian se placent dans la catégorie des actes relevant de l’exercice de ses devoirs d’agent public, et donc sont directement liés à l’exercice de ses fonctions ministérielles. Toutefois, la Cour, contrairement aux dispositions des articles 70 et 71 de la Constitution et de jurisprudence française dans ce domaine, avait étendu à ces actes la compétence de la justice ordinaire, empiétant ainsi sur les droits du Parlement à exercer ces poursuites pénales contre un ministre accusé d’avoir enfreint les devoirs de sa charge. « Erreur juridique flagrante » Le mémorandum a considéré que ces affirmations sont contradictoires, et relèvent de deux logiques juridiques incompatibles, et que la Cour de cassation a donc commis, une «erreur juridique flagrante». Le mémorandum considère en particulier qu’il y a eu empiètement sur les droits du Parlement, et que les articles 70 et 71 de la Constitution sont clairs à ce sujet : ils attribuent au Parlement la prérogative de poursuivre le ministre ou le président, quant à la forme, et à la Haute cour celui de le juger sur le fond. Sur la forme, le droit de mise en accusation dévolu au Parlement, le mémorandum avance plusieurs arguments : Il commence par affirmer que les compétences du Parlement et des tribunaux ordinaires ne sont pas concurrentielles, et que «la compétence du Parlement est exclusive, du fait qu’elle est définie par un article de la Constitution (article 70) qu’il est impossible de violer». Le Parlement a donc la possibilité d’exercer cette prérogative à tout moment, tant que la charge ne tombe pas sous la prescription, «et ceci est vrai même si la justice pénale s’est saisie de l’affaire d’une façon illégale». «Il est également possible de demander au Parlement, par une requête transmise à son bureau, d’intervenir pour dessaisir la justice ordinaire de ce dossier, et de donner aux textes constitutionnels leur véritable interprétation», avance le mémorandum. Pour les avocats de M. Barsoumian, quand l’article 70 précise que «la Chambre des députés est en mesure de mettre en accusation pour haute trahison ou pour manquement grave aux devoirs de leur charge le président du Conseil et les ministres», il définit une compétence discrétionnaire que le Parlement exerce à la lumière de son appréciation des actes du ministre et des circonstances qui l’entourent. Mais l’article 70 ne signifie nullement que cette mise en accusation «n’est pas exclusivement du ressort du Parlement». Le mémorandum se base notamment, pour avancer cet argument, sur un jugement de la chambre de mise en accusation (non publié) datant du 18 décembre 1989. Il se base aussi sur une jurisprudence française qui affirme que «lorsque les conditions fixées par le nouvel article 68-1 de la Constitution sont réunies, la compétence de la Cour de justice de la République à l’égard des membres du gouvernement est exclusive de celle de tout autre juridiction» (Jurisclasseur de procédure pénale, «Cour de justice de la République»). La compétence de la Haute cour Et le mémorandum de poursuivre sur ce point en citant un jugement de la Cour de cassation criminelle datant du 7 mai 1963 : «Statuant sur la compétence de la Haute cour de Justice en des termes qui peuvent être transposés à celle de la Cour de justice de la République, la Cour de cassation a, à diverses reprises, énoncé : que ces dispositions, qui excluent pour le ministère public et les particuliers la possibilité de mettre en mouvement l’action publique et d’en saisir la juridiction répressive de droit commun, sont d’ordre général et absolu ; qu’elles s’appliquent sans distinction à toutes les infractions criminelles ou délictuelles dont aurait pu se rendre coupable un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions». Par ailleurs, pour mieux mettre son argumentation en évidence, le mémorandum insiste sur l’incompétence de la justice ordinaire dans l’interprétation des textes constitutionnels. En cas de conflit entre un texte de loi ordinaire et un texte constitutionnel, souligne-t-il, c’est toujours le texte constitutionnel qui doit être retenu, sans compter que toute interprétation de la Constitution par un tribunal ordinaire est une violation inadmissible du principe de la séparation des pouvoirs. Et le mémorandum de citer, à l’appui de cette argumentation, le passage suivant de l’ouvrage de Desportes et Le Guhenec sur le droit pénal : «L’impossibilité pour le juge pénal d’interpréter les lois constitutionnelles a été proclamée très tôt et rappelées à maintes reprises par la chambre criminelle. Deux arguments sont traditionnellement avancés pour justifier cette réserve. D’une part le principe de la séparation des pouvoirs interdit au juge d’empiéter sur le pouvoir législatif. D’autre part, l’institution de la Constitution de 1958 d’une juridiction spécialement chargée d’examiner la constitutionnalité des lois exclut la compétence de toute juridiction». Par ailleurs, le mémorandum avance à l’appui du point de vue qu’il défend le principe de l’opportunité des poursuites, pour infirmer l’argument de la Cour de cassation affirmant que la justice ordinaire a le droit d’entamer des poursuites si le Parlement ne fait pas usage de ses attributions en la matière. Le mémorandum souligne en particulier, à ce sujet, que ni la Constitution, ni la justice ordinaire n’avancent de règles pour trancher dans un conflit de compétence qui surgirait entre le Parlement et la justice ordinaire, ce qui signifie que le législateur n’a pas considéré nécessaire l’existence d’un tel texte, ayant clairement attribué au Parlement cette prérogative. Sur le fond Ayant ainsi établi le droit du Parlement de mettre en accusation le Premier ministre et les ministres, quant à la forme, le mémorandum relève ensuite que c’est la Haute cour de justice (articles 70 et 71 de la Constitution), qui détient exclusivement le droit de les juger, si les actes qui leur sont reprochés résultent directement de l’exercice de leurs fonctions. Ce faisant, le mémorandum s’attaque à l’argumentation de la Cour de cassation, qui compare les textes des articles 60 et 70 de la Constitution relatifs aux poursuites éventuelles du chef de l’État dans le premier cas (article 60), et du Premier ministre et des ministres dans le second (article 70). En comparant ces articles, et pour justifier la compétence des tribunaux ordinaires dans l’affaire Barsoumian, la Cour de cassation affirme que l’article 60 spécifie que «le président de la République (…) ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés», alors que l’article 70 utilise une autre phrase pour affirmer que «la Chambre des députés est en mesure de mettre en accusation (…) le président du Conseil et les ministres». Exposant le point de vue de la Cour de cassation, le mémorandum souligne qu’elle utilise cette différence dans le phrasé pour affirmer que la mise en accusation du président de la République par la Chambre est exclusive, alors qu’elle est seulement possible dans le cas des présidents du Conseil et des ministres, ce qui ouvre la voie à la possibilité d’une mise en accusation par la justice ordinaire. Quatre causes de confusion Toutefois, selon le mémorandum, la Cour de cassation a commis là une confusion entre le droit d’accusation et le droit de jugement. Alors que les articles 60 et 70 se distinguent quant au droit de mise en accusation respectivement du président de la République d’une part et du président du Conseil et des ministres de l’autre, ils se rejoignent sur le droit de jugement, qui est du ressort exclusif du Parlement. (Pour les délits de droit commun comme pour la violation de la Constitution et la haute trahison, le chef de l’État ne peut être mis en accusation que par la Chambre. Mais cette exclusivité est absente dans le cas du président du Conseil et des ministres, qui peuvent être mis en accusation par la justice ordinaire pour les délits de droit commun). Selon le mémorandum, donc, la confusion de la Cour de cassation est attribuable à quatre causes : la déformation de l’intention du législateur exprimée dans les articles 60 et 70 de la Constitution, la confusion entre droit de poursuites et droit de jugement, une interprétation erronée de la jurisprudence française et l’ignorance de la jurisprudence contemporaine par la privation de M. Barsoumian de sa qualité de ministre. À l’appui de ce point de vue, le mémorandum cite le grand pénaliste français Pierre Chambon qui, dans un commentaire datant de 1986, affirme : «les termes des Constitutions successives se perpétuant, on pourrait, à la rigueur, relever ceci : les règles de poursuite et de jugement dont bénéficie le Président de la République sont, par références, applicables aux ministres, or, l’article 68 alinéa 1er de la Constitution précise que le Président de la République ne peut être mis en accusation que par les deux Assemblées, tandis que plus loin ce texte indique qu’il est jugé par la Haute cour, rédaction non restrictive qui laisserait place au droit commun. Dès lors on pourrait songer à en déduire que les ministres peuvent être concurremment déférés devant les juges ordinaires. Mais cet argument prouverait trop, car si l’on applique cette solution au jugement des ministres, il faut l’appliquer aussi au jugement du président de la République, ce que personne ne prétend». Le mémorandum ajoute que la Cour de cassation a faussement attribué au juriste Pierre Engene un avis émis en réalité par le député français Ribot, selon lequel les tribunaux de droit commun peuvent connaître des crimes et délits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, cet avis d’un parlementaire est contredit par la jurisprudence française contemporaine, qui affirme que les dispositions constitutionnelles restrictives «s’appliquent à toutes les infractions criminelles et délictuelles dont aurait pu se rendre coupable un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions» et «excluent, pour le ministère public et les particuliers, la possibilité de mettre en mouvement l’action publique et d’en saisir les juridictions répressives de droit commun» (Cass. Crim. 28 mai 1986 JCP 1987).
L’ancien ministre de l’Industrie et du pétrole Chahé Barsoumian est-il la victime d’une «erreur juridique flagrante», du moins quant à la forme prise par son procès ? C’est ce qu’avancent ses avocats Mes Badaoui Abou Dib et Akram Azouri, qui ont transmis au bureau de la Chambre des députés un mémorandum dans lequel ils soutiennent que la justice ordinaire est incompétente pour...