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Actualités - OPINION

Tribune Priorité à la paix civile

Le Liban peut-il sortir de la crise dans laquelle il se débat depuis des décennies ? La réponse à cette question est aujourd’hui loin d’être évidente. La lutte que se livrent loyalistes et opposants, marquée par une violence verbale qui n’est pas sans rappeler les échanges d’accusations qui ponctuaient les différentes phases de la guerre, montre à l’évidence qu’aucune leçon n’a été réellement tirée des expériences passées. Depuis l’arrêt des combats, les conflits entre les Libanais, loin de se résorber, ont été ravivés, chrétiens et musulmans s’estimant à tour de rôle écartés du pouvoir, les premiers avant l’élection du général Émile Lahoud à la présidence de la République, les seconds après. Tout se passe comme si à la guerre civile «chaude» avait succédé une guerre civile «froide» susceptible, si l’évolution de la situation régionale s’y prête, de se transformer en guerre réelle. L’expérience de Rafic Hariri, Premier ministre de 1992 à 1998, est, à cet égard, révélatrice de la crise qui affecte la société libanaise. Son arrivée au pouvoir en octobre 1992, au lendemain d’élections législatives massivement boycottées par les chrétiens, avait été très bien accueillie par la majorité des Libanais, les chrétiens voyant dans sa nomination un désaveu implicite de la discrimination pratiquée à leur égard par le pouvoir, les musulmans percevant son arrivée comme un renouvellement de leur leadership traditionnel. Au lieu d’accorder la priorité à l’entente nationale et d’assurer la participation des Libanais à la reconstruction de leur pays – deux conditions indispensables pour mettre un terme définitif à la guerre et repenser l’avenir –, Hariri allait confisquer le pouvoir en promettant aux Libanais de reconstruire le pays et de leur assurer le bien-être économique et social auquel ils aspiraient. Le contresens était total. Hariri n’a pas compris les raisons de l’appui populaire dont il a, au départ, bénéficié et n’a pas saisi, par la suite, les motifs de l’opposition des Libanais à sa politique. L’arrivée du général Émile Lahoud à la tête de l’État n’a pas modifié la nature du problème. Au mot d’ordre de «reconstruction» lancé, par Hariri a succédé un slogan tout aussi réductionniste, celui de «la lutte contre la corruption». Une fois encore, le contresens est total : les Libanais sont de nouveau conviés à ne rien faire, si ce n’est à se conformer à la loi et attendre que le pouvoir nettoie les «écuries d’Augias» pour avoir enfin un État «propre». Le problème, dix ans après la signature de l’accord de Taëf, demeure entier. Tour à tour, chrétiens et musulmans expriment les mêmes craintes, se plaignent des mêmes injustices, souffrent des mêmes inquiétudes, leur discours est identique, leurs peurs et leurs appréhensions sont similaires. La seule différence, et elle est de taille, réside dans le fait que ce double discours ne s’exprime pas au même moment, mais se situe alternativement dans le temps : marginalisation chrétienne avec Hariri, peur d’une margination musulmane avec Lahoud. Le drame des Libanais se résume dans cette distanciation temporelle, ils ne sont pas, tous, au même moment dans le même camp, mais troquent leurs places à chaque nouvel acte de la pièce dont ils sont les acteurs souvent involontaires, passant successivement du rôle de «victimes» à celui de «persécuteurs». Comment sortir de la crise ? Il est évident que les solutions proposées par les uns et les autres – «lutte contre l’occupation syrienne» avec Aoun, «reconstruction» avec Hariri, «lutte contre la corruption» avec Lahoud – ne permettent pas, du fait de leur caractère réductionniste, de «refonder» le Liban sur une base stable. Il est temps de redonner la priorité à l’entente nationale et d’assurer la participation de tous les Libanais à la gestion de leurs affaires. La mise sur pied d’un État de droit n’est pas la première des priorités. La priorité absolue à l’heure actuelle est de préserver la paix civile. Pour cela, il faut s’atteler à la tâche de jeter les bases d’un consensus national. Ce consensus, dans l’état actuel des choses, concerne, tout d’abord, les communautés religieuses, car c’est de l’accord à instaurer entre elles que dépend l’avenir de la paix au Liban. Il est peut-être nécessaire de préciser, pour les adversaires du système confessionnel, que seule l’entente entre les communautés permettra de dégager progressivement l’État du carcan confessionnel qui l’étouffe. Les options laïcisantes et modernistes, qui sont certes légitimes, ne peuvent s’exprimer que dans un climat de paix civile. En période de tension, elles sont vidées de leur contenu et récupérées par les forces communautaires en présence. Pour exister, l’État devrait incarner ce consensus national. Autrement il perd sa dimension d’arbitre entre les individus et devient le principal objet de conflit entre eux. Et les Libanais se retrouveront, une nouvelle fois, forcés de se rabattre sur les appartenances de leur identité qu’ils considèrent avoir été la cause de leur exclusion. Elles deviennent, à partir de là, des identités de substitution auxquelles ils vont nécessairement tenter de donner une dimension nationale. L’identité nationale peut ainsi se muer en une identité communautaire, sociale, régionale, ethnique, linguistique, tribale ou autre. Il faut donc à tout prix briser le cycle de violence dans lequel le pays est engagé et chercher au plus tôt à engager le dialogue entre les Libanais. C’est la tâche prioritaire à laquelle devraient s’atteler le pouvoir et l’opposition plutôt que de se livrer à des surenchères prosyriennes dans l’espoir d’asséner un coup décisif à l’adversaire. Cette tâche est d’autant plus prioritaire que nous sommes à l’approche de changements régionaux importants auxquels nous ne sommes pas prêts à faire face.
Le Liban peut-il sortir de la crise dans laquelle il se débat depuis des décennies ? La réponse à cette question est aujourd’hui loin d’être évidente. La lutte que se livrent loyalistes et opposants, marquée par une violence verbale qui n’est pas sans rappeler les échanges d’accusations qui ponctuaient les différentes phases de la guerre, montre à l’évidence qu’aucune...