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Actualités - REPORTAGES

Société - Du Kurdistan turc au pays d'accueil, un long et douloureux exil Les kurdes du Liban : une non intégration vécue avec amertume(photos)

La communauté kurde au Liban compte plus de cent mille personnes. Certains (vingt-cinq mille) ont la nationalité libanaise, d’autres sont «en attente», puisqu’ils sont détenteurs de documents portant la mention «nationalité sous étude». Petits artisans, marchands de légumes ou entrepreneurs, les Kurdes du Liban habitent pour la plupart Beyrouth (Basta, Aïcha Bakkar, Barbir, Zokak el-Blatt) et la Békaa (Bar Élias, Khiyara). Ceux qui vivent dans le pays depuis plus d’un demi-siècle ressentent avec amertume que la société libanaise ne les jamais adoptés. L’exode massif des Kurdes vers le Liban a commencé durant les années vingt, à l’issue du traité de Sèvres (1920), qui a tracé entre autres les frontières entre la Turquie, la Syrie et l’Irak. Une clause du traité prévoyait l’autonomie du Kurdistan. Clause passée sous silence durant le traité de Lausanne (1923). Convention qui a remplacé le traité de Sèvres, notamment sur le tracé des frontières turques. Les Kurdes qui ont quitté leur terre natale, à la première moitié du siècle, pour s’établir au Liban sont en majorité originaires du Kurdistan turc. «Actuellement en Turquie, pour nous dépouiller de notre identité, ils nous appellent les Turcs de la montagne», racontent ceux (et ils sont nombreux) qui entretiennent encore des liens avec leur terre d’origine. Ils ont fui, pauvres et sans le sou, ayant pour tout bagage leur culture (musique, danse, contes et langue) qu’ils ont réussie à préserver malgré les années d’exil. Abou Khaled, qui a un peu plus de soixante-dix ans, est né à Beyrouth. Son père a quitté Mardin (chef-lieu de province dans le Kurdistan, sur le plateau qui sépare le Tigre de l’Euphrate) pour Alep et ensuite pour Beyrouth. Abou Khaled, qui a élevé six enfants (deux garçons et quatre filles), s’est rendu une seule fois dans sa ville d’origine. «J’avais alors cinq ans, dit-il, je ne saurais plus reconnaître l’endroit». Bénéficiant de la nationalité libanaise depuis longtemps, Abou Khaled, employé de chantier, a réussi à rejoindre plusieurs syndicats. «J’ai fait un métier ingrat, mais j’ai voulu appartenir à la société libanaise», dit-il. Et d’ajouter que «beaucoup de Kurdes ont tenté de s’intégrer à la société du pays ; ils ont fait des études, créé des entreprises, effectué leur service militaire mais jusqu’à présent aucun n’a réussi à entrer au Parlement ou à devenir président d’un conseil municipal ou même moukhtar». Être reconnus comme ethnie Les propos d’Abou Khaled sont repris par tous les Kurdes établis au Liban depuis plus d’un demi-siècle. Ils blâment un peu le gouvernement libanais qui les reconnaît en tant qu’électeurs et qu’élus sunnites (rite majoritaire chez les Kurdes qui comptent des minorités chiite, chrétienne, et mazdéenne) sans prendre en considération leur particularité ethnique, particularité qui pose problème ailleurs, notamment dans les pays qui forment la zone du Kurdistan. Au Liban, bien qu’aucune école kurde n’ait jamais vu le jour, la communauté préserve ses caractéristiques, et ceci avec l’apprentissage de la langue qui se fait à la maison, les plats culinaires, les fêtes nationales (le nuroz fêté le 21 mars) et les liens très forts qui existent entre les membres de la communauté. M. Riyad Chébo, membre du parti libano-kurde, Reskari, explique ces liens par le fait que les Kurdes, contrairement à plusieurs minorités originaires de l’Irak et de la Turquie et qui ont trouvé refuge au Liban, appartiennent à des tribus qui prônent le sens de la solidarité et l’entraide entre les membres de la communauté. Hajjé Khansaa Hassoun déclare à ce propos qu’à la mort de son époux, elle a cédé l’unique parcelle de terrain à son beau-frère sans prendre en considération les lois de succession. «Mon mari avait déjà donné sa parole», explique-t-elle. Khansaa, qui est mère de treize enfants, vit actuellement dans un appartement à proximité de Basta. Avant la guerre du Liban, elle habitait Nabaa. À l’issue des premiers événements, elle s’installe avec sa famille à Jnah. L’appartement qu’elle occupe actuellement a été acheté grâce à l’argent envoyé par ses fils qui travaillent en Allemagne. Beaucoup de Kurdes du Liban ont, en effet, émigré durant la guerre du Liban vers l’Allemagne, le Danemark et la Suède. «Ici, ils n’avaient aucune chance de trouver un emploi, trois de mes fils ont quitté, comme la plupart des Kurdes du Liban, pour l’Europe», indique Khansaa. Et, mettant l’accent sur son appartenance libanaise, elle ajoute : «Comme tous les Libanais, mes fils ont voulu une maison qui leur appartienne». «Ils n’ont pas économisé de l’argent pour acheter un appartement à Mardin (région turque dont la famille est originaire) mais bel et bien à Beyrouth», poursuit-t-elle. Chez tous les Kurdes détenteurs de la nationalité libanaise, on entend les mêmes propos teintés d’amertume : «Nous voulons être considérés comme des citoyens à part entière ; car bien que nos origines sont ailleurs, c’est le Liban que nous avons adopté depuis longtemps comme terre d’exil», soulignent-ils.
La communauté kurde au Liban compte plus de cent mille personnes. Certains (vingt-cinq mille) ont la nationalité libanaise, d’autres sont «en attente», puisqu’ils sont détenteurs de documents portant la mention «nationalité sous étude». Petits artisans, marchands de légumes ou entrepreneurs, les Kurdes du Liban habitent pour la plupart Beyrouth (Basta, Aïcha Bakkar,...