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Actualités - OPINION

Tribune Une justice tous-temps

Le péché originel est sans aucun doute une invention de génie. Naguère encore privilège de l’Église catholique, elle fait maintenant jurisprudence de la manière la plus opportune. Grâce à elle, plus personne ne pourrait être soupçonné de jalousie ou de rancune en pourchassant son prochain, puisque, sauf l’exception immaculée qui confirme la règle et qui ne se répétera jamais, tout individu vivant est appelé à reconnaître et à confesser les fautes dont il s’est rendu coupable avant sa naissance. Pas la peine d’enquêter, d’interroger, d’inculper : tout le monde est contrevenant par définition. Bien entendu, la faute est plus ou moins grave selon le nom qu’on porte, la famille à laquelle on appartient, les amis qu’on fréquente, les parents proches ou lointains que l’on compte. Mais le principe est égalitaire. Il n’est pas conséquent guère question, pour qui que ce soit, d’échapper à cette loi de nature si merveilleusement mise en évidence par la Genèse. Chacun, n’en doutons pas, aura son tour dans cette poursuite implacable de la Justice. Si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain. Mais, on le sait, une loi n’est jamais tout à fait statique ; elle évolue avec les nécessités de chaque époque ; elle engendre de nouvelles notions juridiques dont les sociétés modernes peuvent faire leur profit. De ces notions nouvelles, on peut retenir au moins deux qui se sont révélées, quoiqu’un peu avant-gardistes, particulièrement intéressantes et appropriées. La première est celle de «faute rétroactive». Une faute rétroactive est une faute commise par quelqu’un à un moment où elle n’était pas encore une faute ; mais comme tout acte humain est nécessairement entaché de sa tare originelle, il porte en lui, dès son accomplissement, une illégalité immanente qui expose inévitablement son auteur à des poursuites correctives lorsque la déviation antérieurement innocente devient postérieurement coupable. Voilà pour régler avec efficience et légalité les cas des crimes, délits, infractions, etc., perpétrés avant d’acquérir leur nouvelle qualification. Mais comment punir les fautes à venir . Malgré la difficulté du problème, des juristes avisés l’ont résolu en créant une notion également inspirée de la Genèse, c’est celle du «châtiment anticipatif», du genre du châtiment infligé à Adam et Ève pour les adultères potentiels qu’ils n’ont pas pu commettre, faute de partenaires disponibles. N’ont-ils pas, en effet, été chassés du paradis pour avoir succombé au péché de chair, alors qu’ils n’étaient encore, si l’on peut dire, que des époux légitimes et en quelque sorte inéluctables ? On peut mesurer l’immense intérêt d’une telle législation encore rarement appliquée, si elle venait à être adoptée communément dans les sociétés perverties du monde actuel. Grâce à ces nouveaux concepts, la justice, dans sa pleine acception, pourra être exercée de manière plus impartiale et plus sûre. Espérons que nos hommes de loi pourront tirer avantage de cette évolution du droit, pour purger définitivement le pays de ses miasmes, pestilences et autres impuretés ; et le ramener au temps paradisiaque où il était le modèle de moralité et de vertu dont nous nous réclamons à juste titre.
Le péché originel est sans aucun doute une invention de génie. Naguère encore privilège de l’Église catholique, elle fait maintenant jurisprudence de la manière la plus opportune. Grâce à elle, plus personne ne pourrait être soupçonné de jalousie ou de rancune en pourchassant son prochain, puisque, sauf l’exception immaculée qui confirme la règle et qui ne se...