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Actualités - REPORTAGES

Enquête - Le chef de Esbet Ansar deux fois condamné à mort et toujours insaisissable Entre Abou Mahjane et la justice, un contentieux qui s'alourdit(photo)

Son nom revient souvent ces derniers temps dès qu’on évoque la terrible tuerie de Saïda. Si aucun indice sérieux ne permet aujourd’hui d’accuser Abou Mahjane de l’assassinat des quatre magistrats, il n’en est pas moins impliqué dans de nombreuses affaires, dont le hold up manqué de Damour et la liquidation de deux caporaux des FSI toujours à Saïda, en octobre dernier. Condamné deux fois à mort par la Cour de justice, «l’émir de Esbet Ansar» comme l’appellent ses disciples, est devenu l’image de l’impunité pour une justice qui se cherche et pour des citoyens désireux de croire malgré tout en une loi au-dessus de tous. En regardant mourir les trois condamnés qui criaient «Allah Akbar», le président de la Cour de justice à l’époque, M. Philippe Khairallah s’était contenté de tirer nerveusement de sa poche un bonbon à la menthe, seul signe extérieur d’émotion. L’homme qui avec ses assesseurs avait prononcé la sentence de mort n’a pas voulu déléguer à sa place un autre magistrat, assumant jusqu’au bout la responsabilité de la décision. A ses côtés, l’avocat général près la Cour de cassation Amine Bou Nassar est bien moins imperturbable. Il trouve la scène insoutenable, mais il fait des efforts pour se contrôler et évite de regarder les pendus. Dehors, la rue sunnite est en effervescence et l’impressionnant déploiement de forces de l’ordre ne parvient pas à étouffer les cris de la foule. La condamnation avait été jugée à l’époque excessive : trois pendaisons pour les auteurs de l’assassinat du chef des Ahbache, cheikh Nizar Halabi, sans compter la condamnation à mort par défaut à l’encontre d’Abou Mahjane, chef du groupe extrémiste «Esbet Ansar». Mais, soucieuse de ne pas «rééditer au Liban l’expérience algérienne», la Cour avait préféré être ferme, espérant donner une leçon à tous ceux qui seraient tentés de suivre cette voie. «Au Liban, il y a un code pénal et il s’applique à tout le monde» : tel était le principe qui avait dicté aux juges leur sentence. Pourtant, la cour et le Liban tout entier n’en avaient pas encore fini avec Abou Mahjane et son groupe. Reconstitution filmée C’est en 1994 que les Libanais font connaissance avec Abdel Karim Saadi, alias Abou Mahjane. Ils ne le savent pas encore, mais cet homme jouera un grand rôle dans les années suivantes. Le 31 août 1995, alors que Beyrouth commémore la disparition de l’imam Moussa Sadr, le chef de l’association sunnite Ahbache est assassiné devant son domicile, à Tarik Jédidé. L’association n’était certes pas très populaire à cause de multiples provocations dans les mosquées et entre ses hommes et ceux de la Jamaa islamiya (le groupe sunnite rival), les incidents se multipliaient, mais à Beyrouth, la nouvelle provoque un choc. D’autant que les Ahbache bénéficient, dit-on, de l’appui occulte des Syriens. Les soupçons se tournent vers la Jamaa, mais aucun indice ne vient les confirmer. Il faudra attendre un an pour qu’à la suite d’un accident de voiture à Tripoli, la police judiciaire découvre une piste qui la mènera vers «Esbet Ansar». Les armes et les munitions trouvées dans le coffre de la voiture du conducteur blessé permettent aux autorités de remonter jusqu’aux membres d’un groupe extrémiste qui opère par cellules secrètes et indépendantes à Tripoli, Beyrouth et Saïda. De fil en aiguille et d’arrestation en interrogatoire, les services de renseignements de l’armée parviennent à identifier les auteurs du crime, à obtenir des aveux complets et à procéder même à une reconstitution filmée. Projeté lors du procès devant la Cour de justice, ce film fera sensation. Car sur les conseils de leurs avocats, les 17 inculpés avaient choisi de nier devant le tribunal les faits qui leur sont imputés. Mais devant la caméra, ils font le signe de la victoire et affichent des mines victorieuses. Le Liban découvrira ainsi des jeunes gens fanatiques jusqu’au crime, heureux d’avoir «débarrassé l’islam de celui qui le souillait», soucieux de protéger leur chef, Abou Mahjane, présenté comme une figure charismatique, qui enseigne l’islam et mène ses adeptes sur le chemin de la félicité. La Cour aura beaucoup de mal à éviter que ce procès ne se transforme en débat religieux, pour savoir si le Coran autorise ou non l’assassinat, dans des buts religieux. Et pour justifier leur action, les inculpés ont invoqué une «bénédiction» du mufti d’Arabie séoudite. Les ramifications de ce groupe, qui s’inscrit dans le courant salafite (les sunnites qui veulent appliquer le Coran à la lettre), ont été la grande révélation de ce procès. Révélation que la Cour a tenté de minimiser, voulant éviter les polémiques religieuses pour ne songer qu’à l’application du Code pénal. Le 24 mars 1997, Khaled Hamed, Mounir Abboud et Ahmed Kasm ont été pendus dans la cour de la prison de Roumié. Mais le mouvement «Esbet Ansar» était loin d’être éradiqué. Au contraire, bien à l’abri dans le camp palestinien de Aïn Héloué, Abou Mahjane a poursuivi ses prêches et sa politique de recrutement dans les mosquées. Après une formation accélérée dans le camp, ses disciples rejoignaient Tripoli et à Beyrouth, où ils étaient chargés de former des cellules clandestines. C’est d’ailleurs les membres de l’une de ces cellules qui ont tenté d’assassiner le mufti du Liban-Nord, cheikh Taha Sabounji en tirant sur sa chambre à coucher, ainsi que le représentant des Ahbache au Nord, Taha Naji. Après leurs aveux complets lors de l’enquête préliminaire, les inculpés n’avaient pas pris la peine cette fois de nier les actes qui leur étaient imputés devant la Cour de justice, préférant minimiser leur importance. Considérant que le crime n’a pas eu réellement lieu, les juges avaient opté pour la clémence, condamnant toutefois à la peine de mort l’insaisissable Abou Mahjane. Plus de questions que de réponses L’homme n’est visiblement pas effrayé et poursuit sa lutte armée pour un islam pur et dur, bénéficiant d’une sorte d’impunité totale dans la forteresse qu’est devenu le camp de Aïn el-Héloué. «L’émir d’Esbet Ansar» continue à envoyer ses hommes attaquer des débits de boissons à Saïda et à Tripoli. Certains se font arrêter et sont déférés devant le parquet militaire, d’autres se cachent dans les quartiers intégristes de Beyrouth et de Tripoli. A l’automne dernier, les agressions changent de nature. Plusieurs chauffeurs de taxi musulmans sont tués et leurs cadavres jetés dans les zones dites chrétiennes, dans le but évident de susciter des dissensions confessionnelles. Là aussi, c’est tout à fait par hasard que le parquet militaire découvre les coupables et alors qu’il commence à suivre la piste «Esbet Ansar», il est dessaisi du dossier, qu’est déféré devant les tribunaux civils. Mais l’enquête se poursuit et elle pourrait une fois de plus aboutir à Abou Mahjane. A la même époque deux caporaux des FSI, Nizar Aridi et Mourched Abou Saleh sont assassinés à Saïda. Les coupables sont identifiés et pour les autorités, leur appartenance à «Esbet Ansar» ne fait aucun doute. Ils étaient toutefois intouchables puisque barricadés à Aïn el-Héloué. Il a fallu le récent hold up manqué de Damour pour que les policiers leur mettent la main dessus. L’un d’eux, Hassan Chéhabi (Palestinien), est tué alors qu’il tente de s’enfuir. Son compagnon, Nasr Mohammed Abou Sayyam est encore à l’hôpital sous bonne garde. L’examen des empreintes et des armes utilisées lors du hold-up et du double assassinat montre une parfaite concordance… Les autorités espèrent obtenir de nouveaux aveux du blessé, notamment au sujet de l’assassinat des magistrats. Aujourd’hui, si cette enquête n’est pas encore parvenue à des certitudes, la piste Abou Mahjane semble quand même se préciser. Surtout depuis qu’on a retrouvé le corps de Samir Zeyné dans un cimetière à Tripoli. Samir Zeyné, frère de Fouad, membre de «Esbet Ansar» et condamné à huit ans de détention pour tentative d’assassinat du mufti Sabounji, s’était rendu la veille de sa mort auprès de son frère en prison. Il lui aurait annoncé l’assassinat des quatre magistrats, provoquant une explosion de joie chez Fouad et ses compagnons. Le lendemain, son cadavre était retrouvé par la police qui avait été alertée par un coup de fil anonyme. Une perquisition chez lui aurait permis de retrouver des armes similaires à celles utilisées par les membres d’«Esbet Ansar», bien qu’en principe, Samir Zeyné ne partageait pas les convictions de son frère… L’enquête se poursuit dans la plus grande discrétion et pour l’instant, il y a encore plus de questions que de réponses. Mais ce qui est sûr, c’est qu’entre Abou Mahjane et la justice, c’est une longue histoire de rendez-vous manqués. Condamné deux fois à mort par défaut, l’homme reste un défi permanent au pouvoir judiciaire.
Son nom revient souvent ces derniers temps dès qu’on évoque la terrible tuerie de Saïda. Si aucun indice sérieux ne permet aujourd’hui d’accuser Abou Mahjane de l’assassinat des quatre magistrats, il n’en est pas moins impliqué dans de nombreuses affaires, dont le hold up manqué de Damour et la liquidation de deux caporaux des FSI toujours à Saïda, en octobre dernier....