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Actualités - REPORTAGES

Eau - Le prochain siècle s'annonce sous le signe de la pénurie Le Liban n'exploite pas ses ressources naturelles(photos)

Les organisations internationales et organismes spécialisés sont formels : au rendez-vous du prochain siècle, un risque majeur de pénurie d’eau menace l’humanité. «La crise» est inscrite dans toutes les prévisions démographiques et climatiques. L’eau douce, considérée de tout temps comme un bien largement disponible et quasi gratuit (excepté en quelques zones désertiques traditionnelles), devient une matière première rare et convoitée, en raison de sa surexploitation par une humanité gourmande et dispendieuse. Au Liban, le problème de l’eau est une question vaste et complexe : les pénuries ne seront pas dues essentiellement à l’insuffisance des ressources mais à l’absence des techniciens et ingénieurs qualifiés pour assurer l’exploitation des réseaux, l’entretien des équipements et leur réparation en cas de panne. Pire : on ne connaît pas notre potentiel en eau ; nos ressources ne sont ni quantifiées, ni contrôlées, ni protégées. Et c’est la qualité de l’eau beaucoup plus que la quantité qui est en danger. Michel Majdalani, hydrogéologue, responsable du Bureau d’études techniques, a fait le point à ce sujet. Chez nous, l’eau est distribuée à la jauge, avec un débit moyen d’un mètre cube d’eau par jour. «Mais vu le mauvais calibrage des jauges et leur vétusté, les débits fournis sont très variables. Ils créent par conséquent des perturbations dans le réseau», explique M. Majdalani. Des eaux non quantifiées, non contrôlées La distribution de l’eau potable aux abonnés dépend en fait de plusieurs paramètres : — La disponibilité des ressources en eau. — La qualité de ces ressources. — La mise en place d’un réseau caractérisé par une capacité de transport proportionnelle aux besoins et par un pourcentage de fuites acceptables. — L’existence d’une capacité de stockage suffisante pour couvrir la consommation durant les heures de pointes. — La mise en place d’une structure qualifiée pour la gestion et la maintenance des réseaux et des équipements. — La définition d’une politique de tarification tenant compte des conditions socio-économiques de chaque région. — L’établissement d’un système de gestion moderne. Tout d’abord, «nos ressources en eau sont dilapidées et agressées», indique M. Majdalani. Et l’État n’a rien entrepris pour les quantifier. «On ne connaît pas aujourd’hui le volume d’eau extrait par les forages (privés et /ou publics) des nappes. On ne connaît pas le débit des rivières tout au long de leur parcours, ni les débits des sources…». Dernièrement, l’Office des eaux du Litani a entrepris ce type de mesures. Mais «l’insuffisance des moyens mis à sa disposition l’a empêché de mener sa tâche à fond», souligne le spécialiste. Il ajoute que «les études géologiques et d’hydrogéologie partielle établies par le ministère, dans le cadre de certains contrats, devraient être rassemblées, contrôlées et vérifiées de façon à éditer des cartes géologiques du pays au 1/20 000». M. Majdalani rappelle que, depuis l’édition des cartes de Dubertret dans les années 50, rien n’a été fait dans ce domaine. «Certaines institutions, comme celle des Amis d’Ibrahim Abdel Al veulent faire aboutir ce projet ; malheureusement elles manquent de moyens financiers», dit-il. Pour couvrir les besoins jusqu’à l’an 2020 Par ailleurs, aucune mesure n’est prise pour protéger les ressources contre la pollution. «Les eaux usées sont jetées dans les fosses à fond perdu ou dans les rivières. Les résidus pétroliers, dans les nappes. Et mieux encore, on puise dans ces nappes sans savoir au préalable leur potentiel». Alors, «comment peut-on affecter des ressources pour couvrir les besoins, quand ces ressources ne sont pas quantifiées, contrôlées et protégées ?», demande M. Majdalani. Mais, d’autre part, un vaste programme de réhabilitation et de développement du réseau a été lancé ces dernières années. Des centaines de millions de dollars ont été investis pour poser des canalisations, construire de nouveaux réservoirs de stockage et des stations de traitement d’eau potable. La consommation en eau domestique, par exemple, a augmenté de 60-80 litres/jour/habitant à 150 litres / jour / habitant. Et on estime qu’à la fin des travaux, prévue en l’an 2001, les pertes dans les réseaux estimées actuellement à 50-60 % seront ramenées à 35 %. Quant aux ressources en eau, elles pourront couvrir les besoins jusqu’à l’an 2020. «Mais cela ne suffit pas», dit M. Majdalani. «Il faut encore passer de la jauge au compteur et donc connecter les usagers aux nouvelles installations du système d’eau. Il faudrait surtout les exploiter correctement, c’est-à-dire en assurer la maintenance par des techniciens compétents, de façon à ce qu’ils ne tombent pas en panne quelques mois après leur mise en service». L’État doit également faire appel à de nouveaux investissements pour construire sur tout le territoire des réseaux de collecte des eaux usées et des barrages indispensables tels que celui de Chabrouh (pour le Kesrouan), du Bisri (pour Beyrouth), de Boqaata (pour le Metn) et de Koura el-Tahta ( pour le Akkar). «Mais tous ces projets ne serviront à rien s’ils ne sont pas exploités par des organismes compétents», insiste M. Majdalani. Manque de moyens financiers et techniques Mais voilà, «70 % des offices des eaux au Liban n’ont ni le personnel qualifié , ni les moyens techniques et financiers pour entreprendre des travaux élémentaires de maintenance», signale le spécialiste. Ainsi, dans certaines régions à revenu faible et où 10 % seulement des usagers payent leur facture d’eau, les offices ne sont même pas en mesure d’effectuer les travaux de réfection : fuite dans le réseau, pannes de pompes ou d’appareils de coloration, etc. Mieux encore, à Tripoli, où le gouvernement français a financé la construction et l’équipement de la station de traitement des eaux de la source de Dahr el-Aïn, l’Office des eaux n’a ni les ressources financières, ni les moyens techniques pour mettre en marche l’installation ou assurer l’entretien des équipements. Pour financer une telle opération, le ministère des Ressources hydrauliques a adressé une requête au CDR. Mais le CDR n’ayant pas de budget, l’affaire est aujourd’hui bloquée. «L’État a investi à travers la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement plus de 60 millions de dollars dans les forages, la construction des réservoirs et des stations de pompage, les conduits d’adduction, les réseaux de distribution… En bref, des projets d’eau permettant de couvrir les besoins de la région de Baalbeck et de Tripoli jusqu’à l’an 2020», relève M. Majdalani. «Mais il restait à effectuer les connexions des abonnés au réseau. Les offices des eaux n’ont pas les moyens financiers d’entreprendre ces travaux, chaque branchement étant évalué à quelque 200 dollars. Pour une ville comme Tripoli, si on compte en moyenne 50 000 abonnés, le budget requis serait de 10 millions de dollars. Pour la région de Baalbeck, il serait de 7 millions. Par extrapolation aux autres régions, les frais relatifs aux connexions atteindraient des chiffres astronomiques», indique le spécialiste. Certains organismes financiers sont prêts à investir dans l’opération. Mais ils imposent une condition : ne connecter au réseau que le consommateur solvable (celui qui ne paye pas, on ne lui donne pas de l’eau).Or, comme signalé plus haut, dans certaines régions, il y a seulement 10 % des abonnés qui payent leur facture. Faut-il pour autant priver le citoyen miséreux de cette denrée vitale ? «La seule façon de résoudre ce problème serait de définir une politique de tarification adéquate penant en considération les conditions socio-économiques des différentes régions», propose M. Majdalani. Autonomie requise «La mise en place d’une nouvelle structure administrative, qui travaillerait sur des bases commerciales et qui serait plus autonome et plus compétente, serait indispensable», ajoute-t-il. Pour cela, le ministère des Ressources hydrauliques a étudié avec la Banque mondiale les grandes lignes de la réforme. L’idée de base se résume ainsi : — Les ressources en eau sont la propriété de l’État. Leur utilisation devrait se faire sous licence accordée aux offices moyennant un paiement de frais de location. — La protection des ressources est la tâche de l’État. Tout pollueur devrait être pénalisé. — L’État doit aussi établir un plan d’affectation de ses ressources en eau, c’est-à-dire il doit évaluer son potentiel en eau et définir, pour chaque région, le débit de prélèvement. — Les Offices des eaux, au nombre de six, auront l’entière responsabilité de gérer l’exploitation de l’eau dans leur région. Leur travail sera guidé par une série de lois élaborées par le ministère qui définit la qualité d’eau potable à distribuer ; la qualité d’eau usée à rejeter en mer ou en rivière ; les travaux à réaliser ; les matériaux à utiliser, etc. Partage des eaux ? Les conseils d’administration des Offices devront établir une politique de tarification de l’eau potable, des eaux usées et des eaux d’irrigation sur base du coût réel et en prenant en considération les circonstances sociales. L’application de ce tarif est sujette à l’approbation préalable de la commission des finances et de la régulation au sein du ministère des Ressources hydrauliques et électriques. De même, avec un pourcentage limité de profit, il faudrait intéresser le secteur privé aux activités des offices d’exploitation, c’est-à-dire à l’exécution et à la maintenance des différents projets. En bref, transformer chaque office en organisme autonome fonctionnant comme une société commerciale. Au Liban, la course entre la maîtrise de la raréfaction de la ressource et les conséquences de sa pénurie possible va être engagée. Entre-temps, une rumeur fait état d’un projet sur le partage de l’exploitation des eaux : les eaux usées dépendront du ministère des Municipalités. Les eaux pour l’irrigation seront gérées par l’Agriculture. Les eaux potables et domestiques, par les Ressources hydrauliques et électriques. «Une telle répartition entraînerait de graves problèmes au niveau de la coordination et de l’exploitation», indique M. Michel Majdalani. «Prenons à titre d’exemple la station de Tripoli qui traite tout à la fois les eaux usées de la ville de Tripoli, du caza de Zghorta, de Syr el-Dinniyé et d’une partie de Koura. Quelle municipalité aura la responsabilité de cette opération ? Quelle municipalité entretiendra les collecteurs qui acheminent les eaux usées à cette station ? Si les eaux traitées sont utilisées pour l’irrigation, par quel procédé administratif seront-elles gérées ? Quel ministère établira le plan directeur national des eaux au Liban, et celui de l’affectation des ressources ?» Autant de questions complexes que pose M. Majdalani. Le problème est que cette opération peut entraîner des conflits de prérogatives entre les différents ministères. «Nous ne pourrons que déplorer cette politique», dit-il. «Il est de notre devoir, nous Libanais, de contribuer à la reconstruction du pays en donnant notre avis. L’établissement d’une réforme institutionnelle réclame la mise en place de personnes qualifiées, compétentes, courageuses et surtout dynamiques et désintéressées. Il est temps que le secteur de l’eau soit pensé avec maturité et compétence», conclut Michel Majdalani.
Les organisations internationales et organismes spécialisés sont formels : au rendez-vous du prochain siècle, un risque majeur de pénurie d’eau menace l’humanité. «La crise» est inscrite dans toutes les prévisions démographiques et climatiques. L’eau douce, considérée de tout temps comme un bien largement disponible et quasi gratuit (excepté en quelques zones...