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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Jezzine depuis hier dans le giron de la légalité Dans la ville libérée, l'espoir renaît(photo)

Depuis des années, Jezzine attend cet instant. Oubliée de toute solution, exclue géographiquement de la résolution 425, coincée entre zone libre et zone occupée – ce qui lui valait beaucoup de suspicion des deux côtés – la bourgade a passé hier sa première nuit de liberté, dans un mélange de soulagement et d’expectative. Pour la première fois depuis plus de 14 ans, la place principale est pleine de monde même après la tombée de la nuit et les enfants brandissant des drapeaux libanais jouent devant la municipalité. Déjà, les portraits du président Émile Lahoud ornent les devantures des épiceries…Jezzine a retrouvé le Liban et le Liban a retrouvé Jezzine. Et maintenant ? Soudain, cette question ne semble plus aussi dramatique. Dans la ville désertée par les miliciens, il y a désormais de la place pour l’espoir. Cela fait deux nuits que Jezzine ne dort pas, mais quelle différence entre la nuit de mercredi et celle de jeudi ! La veille, les habitants étaient terrés dans leurs maisons, n’osant pas allumer les lumières et essayant de deviner à travers les tirs et les explosions le trajet des miliciens de l’ALS en train de se retirer. Hier, au contraire, les heures passent sans que les habitants ne s’en rendent compte. Ils veulent trinquer et s’amuser en attendant la levée du jour et l’arrivée éventuelle de nouveaux éléments des FSI qui doivent épauler la trentaine déjà en poste à Jezzine. D’ailleurs, au cours de ces 14 années, ceux-ci étaient devenus si discrets que les habitants avaient oublié qu’il y en avait autant. «En fait, déclare Jean, le nombre est peu important. Ce qui compte c’est la décision politique. Et elle semble être en faveur de Jezzine». Une nuit d’enfer en guise d’adieu Jezzine, qui se réveille aujourd’hui d’un long cauchemar, n’arrive pas encore vraiment à croire à ce qui lui arrive. Sur toutes les lèvres, un même récit «tout au long de la journée de mercredi, nous avions senti que les miliciens se barricadaient à Jezzine, la ville grouillait de véhicules militaires. Vers 19h, une quinzaine de camions sont arrivés de Dhour Aramta (le barrage délimitant la frontière de la zone occupée). Lorsqu’ils se sont garés devant la caserne, nous avons compris que ce sera pour la nuit. On s’est terré dans nos maisons, comme on le fait chaque soir, sur ordre de l’ALS depuis l’attaque contre Allouche, il y a plus d’un mois. Cela a commencé par des bruits de chargement, puis par des tirs de mitraillettes. Ce fut ensuite le vrombissement des moteurs et le grincement des lourdes chaînes des blindés. Vers minuit, le retrait a réellement commencé, sans baroud d’honneur mais avec un feu d’enfer pour couvrir le départ. Les miliciens ont été contraints de précipiter leur retrait en raison du harcèlement dont ils ont fait l’objet au cours des derniers jours… À quatre heures du matin, les deux derniers blindés, postés devant la statue de la Vierge à l’entrée de la ville, sont partis sur une route nouvellement aménagée, en direction de Dhour Aramta. Ils ont laissé derrière eux tout le matériel qu’ils n’ont pu emmener faute d’hommes et ils l’ont dynamité…». Les habitants sont alors sortis dans les rues et le spectacle, racontent-ils, était impressionnant : des routes à l’asphalte marqué par le passage des blindés, des barrages déserts et de la fumée s’échappant des collines où se situaient les positions de l’ALS : la caserne (ancien orphelinat construit par le patriarche Méouchy), l’artillerie à Aïn Toghra et à Kroum el-Arz, le centre d’écoutes derrière le nouveau sérail. Ces lieux si longtemps interdits deviennent aussitôt une sorte de pèlerinage. Par dizaines, les habitants de Jezzine montent vers la caserne déserte, où seul un chien bâtard erre comme une âme en peine, ses maîtres ne l’ayant pas emmené avec eux. Les miliciens n’ont pratiquement rien laissé derrière eux, juste quelques rangers et des inscriptions sur les murs comme dans une ultime tentative de se justifier. Le silence des lieux est angoissant, heureusement que les enfants se mettent à lancer des cris, tout excités d’être là et d’être réveillés à une heure aussi matinale… Dans la ville, les visiteurs commencent à affluer. Parmi les premiers arrivés, le caïmacam de Jezzine, Nabih Hammoud, accueilli comme le premier symbole de la légalité, puis ce sont les habitants des localités évacuées par l’ALS, certains n’ayant plus mis les pieds chez eux depuis 14 ans. Des drapeaux ramenés d’urgence de Beyrouth Les accolades se prolongent et l’émotion est si grande que les questions ne parviennent pas à être formulées. Mais c’est surtout lorsque le drapeau libanais est planté au sommet de la municipalité que les habitants réalisent ce qui vient de se passer. Déjà, les FSI de Jezzine effectuent leurs premières rondes et le président du club sportif de la localité, Izzat Asmar, remarque qu’il n’a pas assez de drapeaux pour permettre aux enfants d’exprimer leur joie. Il décide aussitôt de se rendre à Beyrouth pour en amener une grande quantité. Izzat tient toutefois à ce que les manifestations de liesse restent discrètes, afin de ménager le moral des miliciens restés à Jezzine. Avant le retrait, il y avait encore 173 membres de l’ALS à Jezzine, 83 se sont repliés vers Marjeyoun et 90 ont choisi de se mettre à la disposition de l’État libanais. À ces 90, se sont joint 113 anciens miliciens et désormais, 203 personnes attendent dans la crainte que leur sort soit décidé. Tous les habitants se sentent concernés par leur situation. Car s’ils détestaient d’avoir à rendre des comptes à une milice hostile à l’État, ils se sentent redevables des sacrifices qu’elle a consentis en 1985, pour stopper la vague d’exode qui gagnait les villages à l’est de Saïda. De plus, selon Tanios, ceux qui sont restés sur place avaient des fonctions mineures au sein de l’ALS. «Tous les responsables de sécurité sont partis», dit-il. Tanios ajoute que lorsque les miliciens étaient originaires la région, il n’y avait pas trop de problèmes. Mais il y a quelques mois, de nombreux jeunes recherchés par l’État se sont installés à Jezzine et ont essayé d’y imposer leur loi. «Heureusement, ils sont partis vers Marjeyoun», affirme Tanios. De son côté, Afif raconte que des contacts sont entrepris avec ceux qui se sont repliés vers Marjeyoun afin qu’ils reviennent se mettre à la disposition de l’État. «Ils ont été mal reçus là bas et les maisons qu’on leur avait promises se sont avérées des étables. Ils songent donc sérieusement à revenir. D’autant que tout le monde est convaincu que le retrait de Jezzine ne restera pas isolé. Au contraire, c’est un grand processus qui a été déclenché. Alors il vaut mieux prendre le train en marche, plutôt que de le rater…» Quel sera le sort de ces 203 personnes, qui seront peut-être demain 210, 300 ou plus ? La question plane dans l’air de Jezzine et donne une certaine tension à l’atmosphère. Tous les notables de la localité multiplient les contacts pour tenter de trouver une solution équitable. Certains le font discrètement comme les députés Samir Azar et Sleimane Kanaan, d’autres bruyamment. Ce qui est sûr, c’est qu’une réunion s’est tenue hier au couvent de Machmouché, sous la présidence du père Boulos Khawand. Il a été convenu que les miliciens doivent se mettre à la disposition de l’État à Jezzine car seules les forces légales peuvent prendre la responsabilité de les escorter à Beyrouth. Le scénario sera donc le suivant : lorsque les FSI s’installeront au sérail, les miliciens commenceront à se rendre un par un, dans la plus grande discrétion afin de ménager leur dignité au barrage de Kfarfalous ou à celui de Bater (tenus par l’armée libanaise). Il y aura d’abord ceux qui sont déjà condamnés ou recherchés par la justice libanaise et ensuite les autres qui veulent blanchir leur dossier et mener désormais une vie à l’abri d’une éventuelle délation… Ils seront ensuite acheminés en plusieurs groupes vers Beyrouth où ils seront déférés devant le tribunal militaire afin d’y être jugés individuellement. La loi sera donc appliquée et les 203 personnes n’échapperont apparemment pas aux procès. Une fois le scénario connu, les notaires de Jezzine n’ont plus chômé. Les 203 miliciens ont aussitôt cherché à faire des mandats aux avocats qui ont spontanément offert de les défendre. Ils espèrent ainsi mettre toutes les chances de leur côté, mais en attendant d’être définitivement fixés sur leur sort, ils se font discrets, essayant de cacher leur amertume et profitant au maximum de leurs familles. «Ce qu’il faut, c’est faire vite, pour abréger l’épuisant suspense», déclare Georges qui espère que les juges tiendront compte du fait qu’il n’a jamais mené d’attaque ou d’agression. Chez eux, la tension est palpable, mais dans la rue, c’est une toute autre ambiance. Jezzine revient à la vie et les propriétaires des nombreux restaurants fermés depuis des années entrevoient déjà les prémices d’une saison florissante. »Nous avions presque oublié que l’on pouvait se promener après la tombée de la nuit, traîner au café le soir ou tout simplement rêvasser sur sa terrasse en écoutant les oiseaux» lance Gergès. La première nuit de la liberté tombe sur Jezzine et la ville en savoure chaque seconde, laissant à plus tard les questions sans réponses. «De toute façon, déclare le vieux Francis, rien ne peut être pire que ce que nous avons déjà vécu».
Depuis des années, Jezzine attend cet instant. Oubliée de toute solution, exclue géographiquement de la résolution 425, coincée entre zone libre et zone occupée – ce qui lui valait beaucoup de suspicion des deux côtés – la bourgade a passé hier sa première nuit de liberté, dans un mélange de soulagement et d’expectative. Pour la première fois depuis plus de 14 ans, la place...