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Actualités - REPORTAGES

Environnement - A l'occasion de la Journée mondiale, l'Orient Le Jour soulève le problème des déchets Décharges sanitaires : le pour et le contre

On célèbre aujourd’hui la journée mondiale de l’environnement. Dans quel pays peut-on le faire mieux qu’au Liban, où les agressions contre le patrimoine naturel se poursuivent sans retenue et sans vergogne, malgré les cris d’alarme des experts écologiques et des amoureux de la nature ? Peut-être est-ce le moment rêvé pour rappeler aux responsables de ce désastre que l’environnement c’est, après tout, le cadre où nous vivons tous, et que le détruire, c’est dégrader irréversiblement nos conditions de vie... Les questions écologiques qui posent problème actuellement au Liban sont aussi nombreuses que complexes. Mais il en est une qui provoque tout particulièrement des litiges et soulève les passions, parce qu’elle concerne chacun de nous. Il s’agit des déchets ménagers, qui ont formé des montagnes et maculé nos plus beaux sites naturels, et qui ne font toujours pas l’objet d’une politique claire, neuf ans après le fin de la guerre. Certes, l’État, ou plus précisément le Conseil de développement et de reconstruction (CDR), a conçu un projet de décharges sanitaires (avec une couche isolante) qui devraient remplacer à terme les dépotoirs sauvages. Un contrat a été signé à ce sujet avec la Banque mondiale (BM) pour un prêt de 55 millions de dollars. Mais il est inutile de dire que le projet ne fait pas l’unanimité. De nombreux experts écologiques, présidents de municipalité et même responsables officiels, dévoilent les dangers environnementaux de telles décharges dans un pays à la superficie aussi réduite et aux cours d’eau aussi nombreux. À l’occasion de la journée de l’environnement, L’Orient-Le Jour expose de nouveau les arguments des deux parties. Si les décharges sanitaires doivent sans doute être la partie la plus importante de la politique de traitement des déchets au Liban pour les quelques prochaines années, ne faudrait-il pas savoir à quoi s’attendre ? Plan à l’étude Le dernier rapport du CDR, datant de mars 1999, décrit en ces termes le «Solid Waste and Environment Management Project» (SWEMP), pour ce qui concerne les décharges contrôlées : «Sont actuellement en préparation les études, les plans ainsi que les études de faisabilité de chacune des zones géographiques qui font l’objet du projet SWEMP en ce qui concerne l’aménagement de décharges contrôlées et la fourniture des équipements nécessaires à la collecte et au traitement des déchets. Les études doivent être achevées avant l’an 2000». Le projet des décharges est donc bien entamé. Les études préalables ont été financées par la BM. D’autre part, une étude de faisabilité de la fermeture des décharges sauvages (pour les répertorier et trouver un moyen de les réhabiliter) a été achevée. Une autre étude de faisabilité de l’extraction de l’énergie des déchets est en cours. Pour ce qui est des décharges, leurs avantages et les raisons de leur choix avaient été évoqués par Shérif Arif, responsable du projet au sein de la BM, dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour le 24 février 1999. Selon lui, les décharges contrôlées sont le moyen le plus employé actuellement dans le monde. Ce serait une solution économique et efficace pour le Liban, car le pays n’est pas encore doté d’un système de tri à la source et de recyclage qui pourrait lui permettre d’adopter une technique plus sophistiquée. Interrogé sur les risques écologiques, notamment sur les cours d’eau, M. Arif déclare que la BM ne finance aucun projet sans effectuer à la base une étude d’impact. Celle qui a été faite pour le Liban, a-t-il ajouté, a permis de s’assurer que les sites choisis ne présentent aucun danger sur l’environnement. Les déchets seront mixés avec de la terre et, plus tard, un jardin sera planté sur la décharge recouverte. Quant au compostage (transformation des déchets organiques en fixateur de sol), M.Arif a déclaré qu’il fallait lui trouver un marché, ce qui n’est pas évident. Le sujet a été discuté de nouveau lors d’un séminaire organisé par le CDR et la BM. Les représentants de cette dernière institution ont insisté sur la valeur économique des décharges, dont le coût global par tonne serait de 20 à 30 dollars. Mais, apparemment, tout le monde n’est pas de leur avis. Au Koura, une des décharges prévues n’a jamais vu le jour. L’opposition des présidents de municipalité, effrayés par les conséquences sur l’environnement de la région, a eu raison du projet. Des pourparlers pour trouver une alternative sont toujours en cours. En attendant, une décharge contrôlée a été terminée à Zahlé, mais elle n’a pas encore été utilisée. Le nombre exact des décharges n’est pas définitivement fixé. Les décharges : plus cher, moins rentable et... plus risqué ? Les opposants à une installation définitive de décharges contrôlées au Liban sont nombreux. Leurs arguments : les terrains sont rares et chers, très peu d’entre eux répondent aux critères qui leur permettent de recevoir des décharges sans risques écologiques. Pour ce qui est du coût, ces experts demandent aujourd’hui qu’on y inclut les frais qui résultent de la pollution et de la réhabilitation des décharges quelque deux décennies après leur fermeture. Alors, disent-ils, le prix à payer sera beaucoup plus cher. Les dangers les plus évidents, d’après les experts, sont écologiques. «Les décharges sont en principe dotées d’une membrane géologique qui est supposée être isolante», explique Fifi Kallab, consultante en environnement et en socio-économie. «Or, nous ne disposons pas du recul nécessaire pour savoir quelles matières peuvent avec le temps et la pression percer cette membrane, la dissoudre... De telles infiltrations peuvent causer une pollution des sols et des nappes phréatiques». Deux autres grands problèmes peuvent résulter des décharges : le liquide qui en sort (les lexiviats) et les gaz qui s’en dégagent. «Les décharges contiennent des tuyaux perforés qui acheminent le liquide vers des cuves», dit Mme Kallab. «Ce liquide contient aussi les déchets dangereux puisque ceux-ci ne sont pas triés au Liban. Il est donc très dangereux s’il atteint le sol, alors que son traitement coûte cher. Quant au gaz méthane qui se dégage de la décharge, il devrait en principe être acheminé et puis vendu. Mais comme un tel système n’existe pas au Liban, on va se retrouver avec des émanations de gaz qui va être brûlé (c’est la méthode la moins chère). Il va causer une pollution nuisible pour la santé des gens, surtout que le méthane est un gaz inodore et incolore». D’ailleurs, ajoute-t-elle, même si le pompage est très performant, il y aura toujours une quantité de gaz qui restera dans la décharge, donc des risques d’explosion. Mme Kallab évoque un dernier problème : puisque les déchets seront mixés avec de la terre, d’où va-t-on obtenir ces quantités de sable dans un pays rocheux comme le Liban ? C’est le contribuable qui va payer Par ailleurs, l’argument principal avancé par le CDR et la BM pour l’adoption des décharges est qu’elles sont plus économiques. Est-ce vraiment le cas ? «Quand on parle de coût, il ne faut pas oublier le coût environnemental et sanitaire qu’on va payer», fait remarquer M.Naji Kodeih, expert au ministère de l’Environnement mais aussi militant écologique. «Il y a des détails qui n’ont pas été pris en compte dans l’exposé du CDR et de la BM. Le coût de la gestion de la décharge signifie le traitement des lexiviats, le traitement des gaz et odeurs, la surveillance continue pour une gestion saine et le coût de la réhabilitation de la décharge après l’arrêt de son fonctionnement. Je crois que si l’on introduit tous ces critères, le prix à payer sera beaucoup plus cher». De plus, M.Kodeih fait remarquer que les terrains aptes à accueillir une décharge sont extrêmement rares au Liban. Respecte-t-on tous les critères requis dans les choix des terrains au Liban ? Au Koura, les présidents de municipalité se sont plaints du fait que la décharge prévue devait se trouver juste au-dessus d’un cours d’eau (celui de Jaradi, 5 millions de mètres cubes d’eau par jour) qui alimente plusieurs régions... D’autre part, il a été dit que les frais d’installations des décharges seront supportés par l’État et non par les municipalités. «Mais c’est finalement le contribuable qui paye dans les deux cas !», souligne M.Kodeih. Pour sa part, Mme Kallab fait remarquer que, «selon le contrat, les municipalités doivent s’acquitter de 30 % des frais d’installation et de tous ceux de l’entretien, ce qui est énorme». Pour une plus grande rentabilité Pour ce qui est des alternatives possibles, les experts s’accordent à dire que les décharges sont nécessaires dans n’importe quelle stratégie adoptée, mais l’important est de déterminer ce qu’on va y enfouir. «Les personnes favorables aux décharges avancent l’argument qu’il n’y a pas de système de tri à la source au Liban», rappelle M. Kodeih. «Mais rien de sérieux n’a été fait dans ce sens en dix ans. Toutes les tentatives ont été vouées à l’échec parce qu’elles n’étaient pas assez suivies ou qu’elles ne s’accordaient pas avec les intérêts des uns et des autres. Si le tri fait l’objet d’une décision politique, pourquoi devrait-il échouer ?» Or 60 % des déchets au Liban sont organiques. «Ce sont des déchets qui se décomposent tout seuls», dit Mme Kallab. «Pourquoi les mettre dans une décharge ? La solution qui s’impose est celle du compostage. Mais je serais favorable à un enrichissement du compost avec la boue des eaux usées, afin d’obtenir de l’engrais. Les installations coûtent plus cher à la base mais elles sont plus rentables avec le temps». Comment répondent-ils à l’argument selon lequel le marché pour le compost n’est pas disponible ? «C’est un faux problème», insiste M. Kodeih. «Si on obtient un produit de bonne qualité, il pourra être écoulé dans le marché des pépinières. Après tout, on importe du compost vendu à 4 000 livres le sac ! D’autre part, si notre produit ne sert que comme fixateur de sol, il est quand même très recherché. Toutes les terres arides et en risque de désertification peuvent être enrichies avec. Tout au moins, il ne produit aucun risque de pollution !» M. Kodeih évoque un dernier argument économique : si l’on envoie 60 % de moins de déchets aux décharges, on pourrait en profiter beaucoup plus longtemps. Si l’on ajoute les produits qui peuvent être recyclés, la proportion sera bien moindre. Répartir des décharges sur tout le territoire libanais, en vue d’y envoyer 100 % des déchets, c’est un saut dans l’inconnu d’après beaucoup d’environnementalistes au Liban. Le Dr Youssef Tok, responsable du projet de tri à la source et de recyclage à Bécharré, résume ainsi la situation : «On enfouit nos déchets. On ne les voit plus. Et on ne sait pas quelles surprises ils nous réservent».
On célèbre aujourd’hui la journée mondiale de l’environnement. Dans quel pays peut-on le faire mieux qu’au Liban, où les agressions contre le patrimoine naturel se poursuivent sans retenue et sans vergogne, malgré les cris d’alarme des experts écologiques et des amoureux de la nature ? Peut-être est-ce le moment rêvé pour rappeler aux responsables de ce désastre que...