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Actualités - REPORTAGE

300 jeunes de la diaspora se sont retrouvés au Camp des Emigrés Des barrières linguistiques, mais un dénominateur commun : l'attachement au pays d'origine(photos)

Trois cents jeunes émigrés libanais, venus de 25 pays de la diaspora, ont terminé leur séjour à l’école internationale Charlie Saad de Choueifate, dans le cadre d’un camp organisé par le ministère des Emigrés du 17 au 24 juillet. Venus d’Afrique, d’Amérique latine, des Etats-Unis, de l’Australie, du Canada, de l’Europe et du Moyen-Orient, ces jeunes n’ont rien en commun à part, comme ils le déclarent, «le sang libanais qui coule dans nos veines et le Liban que nous portons dans le cœur». Issus pour la plupart de la troisième génération d’émigrés, ils ont adopté la langue et le mode de vie du pays hôte en gardant quelques traditions libanaises: jouer de la derbaké, danser la dabké, manger tabboulé, hommos et kebbé... et un sentiment d’appartenance qui les mobilise et les incite à faire des milliers de kilomètres pour voir au moins une fois leur terre d’origine. Le village de Choueifate témoigne de la présence du camp d’émigrés dans la localité. Pour arriver à l’école internationale Charlie Saad, c’est très simple, il faut suivre les banderoles souhaitant «la bienvenue aux fils du Liban établis à l’étranger». Les portraits du président Hraoui, qui a assisté à l’inauguration du camp, et d’autres aussi, notamment ceux de M. Talal Arslane, ministre des Emigrés, et de son père, grande figure de l’indépendance, l’émir Majid, sont accrochés à des fils tout au long des rues. L’école internationale Charlie Saad vaste de 70 mille m2 accueille trois cents émigrés, mais aussi une centaine de personnes mises à la disposition des participants par le ministère des Emigrés: des moniteurs bénévoles ou des attachés à l’émigration transformés pour l’occasion en moniteurs, traducteurs, cinq médecins, une équipe de la Croix-Rouge, des membres des FSI, des guides touristiques, des chauffeurs de bus... Tous les jours, trois repas pour 400 personnes sont servis dans la cantine. Les jeunes sont installés dans des dortoirs, chaque continent bénéficiant d’une section. Pour les régions lointaines, le nombre de participants étant élevé ( 20 Brésiliens, 32 Argentins, 30 Australiens...) chaque pays bénéficie à lui seul d’une section. Les filles et les garçons dorment dans des dortoirs séparés. «Ça se passe ainsi dans tous les camps», précise un moniteur bénévole. Et d’ajouter: «Au cours de la journée, filles et garçons sont tout le temps ensemble. Ils peuvent ainsi parler aux autres Libanais de la diaspora et à toute l’équipe locale qui s’occupe d’eux». C’est ce que tentent de faire Edouardo Bitar et Rogerio Merheb, deux cousins brésiliens de la troisième génération d’émigrés. Ils essaient de dialoguer avec une secrétaire de l’école. Edouardo lance en arabe «Je suis brésilien» la secrétaire corrige: «Je suis libanais». Il s’exclame «j’oublie toujours». Edouardo, 23 ans, gestionnaire, vit a Sao Paolo. Pour sa première visite au Liban il, se rendra après le camp à Ras Baalbeck (village de son père) et à Kfarzabad (village de sa mère). Ses parents, tous les deux fils d’émigrés libanais, se sont mariés au Brésil. Bien qu’il ne maîtrise pas l’arabe Edouardo tient à s’exprimer dans sa langue maternelle. Il cherche ses mots et formule des phrases, un cocktail de mots arabes, français, anglais et portugais. Il évoque la diaspora libanaise du Brésil: «Les Libanais entretiennent de très bonnes relations ensemble, comme si nous étions tous cousins». Ils ont gardé les traditions culinaires et «lisent aussi dans le marc du café», dit-il. Emilio Makhlouf, 19 ans, étudiant en droit au Venezuela, fait partie des 10 % des participants au camp qui n’ont plus de la famille au Liban. Il a été accueilli à l’aéroport de Beyrouth par les attachés à l’émigration du ministère. La seule famille proche qui lui restait au Liban est partie au Costa Rica il y a une quinzaine d’années. Il sait pourtant qu’il «doit avoir trois grands-oncles et une grand-tante vivant toujours quelque part au Liban». Il est arrivé du Venezuela muni de quelques numéros de téléphone appartenant à des amis de son père établis à Zghorta. Il téléphone tous les jours: «ça sonne mais personne ne répond». Ses oncles du Liban, il ne les a jamais vus. Depuis la mort de ses grands-parents au Venezuela, les lettres de la branche libanaise de la famille sont devenues rares pour disparaître complètement. Emilio, qui est arrivé avec sa sœur et sa cousine, compte prolonger son séjour au Liban. S’il a le temps, il ira dans son village natal de Bkaa Kafra, mais «on m’a dit que c’est loin et il n’y a personne pour nous accompagner», explique-t-il. Charbel Saba, 26 ans, a quitté le Liban pour Sydney quand il avait un an. Charbel s’exprime en arabe avec un accent du Nord, le cas de la plupart des Australiens présents au camp. Son père originaire de Hadchite obligeait toute la famille à parler arabe à la maison. Il déclare se sentir comme en Australie. Charbel est mécanicien, spécialisé dans les voitures allemandes. «C’est ainsi que je rencontre beaucoup de Libanais car tous ceux qui viennent du Liban achètent des Mercedes et des BMW». Ces Libanais qui s’établissent nouvellement en Australie «parlent surtout de la mauvaise situation économique du pays», dit-il. L’armée brésilienne à Beyrouth... Le ministère des Emigrés organise ces camps afin de «promouvoir les relations entre le Liban résident et le Liban émigré» en souhaitant que ce dernier puisse aider le pays d’origine à l’avenir. Que feront donc les participants au camp pour le Liban? Ceux du continent européen, qui n’ont pas complètement coupé les ponts avec le Liban, déclarent «être prêts à revenir si vraiment on a besoin de nous». Les autres (Amérique et Australie), plus éloignés, répondent «tout ce que nous avons, notre sang et notre cœur». Laure Jarouch, Ohio, 17 ans lycéenne, propose «autant d’argent qu’ils veulent» et explique «mes parents sont très riches, ils possèdent des entreprises dans plusieurs Etats». Edouardo, le Brésilien, réfléchit et décide «si le Liban a besoin de mon aide, j’enverrai toute l’armée brésilienne à Beyrouth». D’autres ont estimé que la question était trop difficile et n’ont pas répondu. Les participants au camp ne parviennent pas à expliquer ce qui les pousse à venir passer des vacances au Liban. Ils ne parviennent pas non plus à définir le sentiment d’appartenance à un pays dont ils ne possèdent pas la nationalité. Les groupes d’Amérique latine (Argentine, Venezuela, Colombie) qui ne connaissent pas l’arabe déclarent tous: «L’important n’est pas de parler la langue mais de porter le Liban dans le cœur». Emilio le Vénézuélien se sent insulté quand on lui pose une telle question. Lui qui n’a plus aucune famille au Liban déclare: «Je suis originaire du même village que Saint Charbel, cela suffit pour sentir mon appartenance libanaise». David Abdallah, 21 ans étudiant en génie informatique, argentin de la troisième génération d’émigrés, souligne qu’il se sent «plus argentin que libanais» mais qu’il a grandi avec «le sentiment d’appartenir à une civilisation qui a une culture propre». Dans la conversation des groupes appartenant aux pays hispaniques on perçoit des mots libanais «kebbé, hommos, tabboulé, dabké et derbaké». Ils disent que «dans les pays hôtes ils se distinguent des autres communautés par les plats libanais, la danse traditionnelle..., et le nombre élevé d’enfants». Racines familiales Les Argentins viennent pour la plupart de la province de Mendoza qui ressemble selon les organisateurs du camp à «une région libanaise implantée en Argentine». Tous les participants ont des prénoms espagnols et des noms libanais déformés: Mussi (Moussa), Tom (Tohmé), Cham (Chammas). Pablo Cham, issu de la quatrième génération d’émigrés, porte un cèdre en or autour du cou: «Ma mère m’a offert le bijou pour qu’il soit toujours près de mon cœur», indique-t-il. Issam Béchara, de Melbourne 20 ans, étudiant en génie, 3e génération, montre fièrement un cèdre tatoué sur l’épaule avec l’inscription (en anglais) amour, confiance et fierté. Jose Louis Korrea, 21 ans étudiant en droit de Mendoza, père Argentin et mère appartenant à la deuxième génération d’émigrés, note «qu’il peut remonter dans les origines de sa famille libanaise jusqu’au 17e siècle. Nos grands-parents nous ont tout expliqué. Pour moi le Liban c’est l’histoire familiale». Alanjandro Mussi 30 ans, Argentin de la troisième génération, est tellement engagé dans ses racines familiales que quand on lui demande d’où il vient, il répond «Mteileb». D’autres indiquent quatre villages d’origine: ceux de leurs deux grands-pères et deux grands-mères. Jorgé Lina Abboud, 24 ans étudiante en modélisme à Mendoza, évoque fièrement son aïeul «qui est l’émigré libanais numéro quatre-vingt dix en Argentine». Des visas libanais Tous les participants au camp expliquent leur appartenance au Liban par «le sang qui coule dans nos veines». Ce sang cependant ne suffit pas pour qu’ils bénéficient de la nationalité libanaise. En effet beaucoup d’entre eux, notamment ceux originaires des deux Amériques, possèdent uniquement la nationalité du pays hôte. Jorge Louis explique qu’en «Argentine un pays vaste de 2 780 000 m2, il n’existe qu’une seule représentation libanaise. Il n’y a même pas un consulat dans les provinces». Il précise aussi qu’il «est allé à maintes reprises à Buenos Aires pour demander la nationalité, mais en vain». Ces émigrés sont donc arrivés à Beyrouth munis d’un visa libanais et non d’un passeport. Pour obtenir des papiers d’identité libanais, Rogerio Merheb, Brésilien de la troisième génération et dont les parents possèdent la nationalité de leur pays natal, a effectué les formalités nécessaires à Sao Paolo, juste avant son départ pour le Liban. La semaine prochaine, il se rendra à Tripoli pour se procurer un extrait d’état-civil. Leur soif du Liban n’a pas empêché les émigrés de cerner les défaillances de leur pays d’origine. Ils ont «tout de suite ressenti que les lois ne sont pas respectées et que la liberté d’expression est réduite». «Avant de rendre visite à quelqu’un, comme le président du Conseil, ils (les organisateurs) nous disent quelles sont les questions à poser ou à ne pas poser. De plus ils nous ont interdit de prendre des photos à Koraytem», rapportent-ils. «Moi si je vais chez le gouverneur australien, je peux prendre les photos que je veux», dit Charbel l’Australien. Jorgé Lina, l’Argentine, note que le non-respect de la loi est visible «quand on se déplace dans la rue». Elle choisit bien ses termes: «Peut-être avez-vous des lois que vous respectez, mais nos lois sont de loin plus exigeantes». Instinctivement, quand les jeunes participants au camp relèvent les points négatifs libanais, ils comparent les deux pays auxquels ils appartiennent et le Liban devient «ce pays» tandis que le pays hôte est désigné par «chez nous». Mohammed Mehanna, 25 ans ingénieur, né à Sydney, déclare que «c’est la première et la dernière fois que je viens dans ce pays. J’aurai aimé garder la belle image que j’avais du Liban », critiquant notamment les atteintes à l’environnement. «Je veux rentrer chez moi maintenant», dit-il. D’autres n’ont pas voulu s’attarder sur les points négatifs, Edouardo le Brésilien a aimé son pays d’origine parce qu’on «fait tout le temps la fête». Il déclare également que «l’image est la même : la nourriture est bonne et les Libanais sont généreux». «De plus je croyais que le Liban était plus petit. Mais Beyrouth est une ville aussi importante que Sao Paolo». Et de noter: «Mon grand-père me parlait toujours de Ras Baalbeck, donc je croyais que tout le Liban se résumait à ce village».Edouardo, comme beaucoup de participants au camp, ajoute que « l’image est de loin meilleure que celle donnée par les médias à l’étranger où on montre tout le temps la destruction et le Hezbollah». Comme Charbel l’Australien il encourage tous les émigrés à visiter, «au moins pour une fois, le pays». «En Australie, les nouveaux émigrés, ceux qui ont quitté le Liban au cours des quinze dernières années, portent une image très négative du pays. Leur opinion influe sur les autres générations d’émigrés», explique-t-il. Ces nouveaux arrivants n’ont pas encore pris le recul nécessaire pour embellir les mauvais souvenirs accumulés durant la guerre. Les autres, ceux qui ont quitté le Liban bien avant la guerre civile, ont réussi à ancrer une belle image dans la mémoire de leurs enfants et petits-enfants. Retour au pays Malgré cette belle image, rares sont les émigrés qui comptent s’établir au Liban. Khaled Salamé, étudiant en génie au Canada, estime qu’il n’y trouvera pas du travail. Argentins, Brésiliens et Colombiens, tous ceux qui ne parlent pas la langue maternelle, déclarent qu’ils sont «incapables de repartir à zéro au Liban». Pour ces émigrés, il existe un fait accompli: ils sont nés à l’étranger, ils y resteront. Certains ont cependant tenté l’expérience. Fouad Abi Esper 26 ans a fait des études en économie. Il occupe un poste dans une municipalité de Sydney. Ce n’est pas son premier séjour au Liban. «La première fois, dit-il, je suis venu pour m’installer définitivement mais je n’ai pas pu m’adapter». Il énumère tout ce qu’il a vu: «le système de pistons, les motocyclistes qui conduisent sans casques, les gens qui se conduisent mal...». Cependant il est prêt à aider le Liban à partir de Sydney. Il a une demande à faire aux responsables libanais, la même formulée par Jorgé Louis l’Argentin:« Des professeurs libanais qui enseignent l’arabe car ceux qui se trouvent sur place sont aussi des émigrés. Nous voulons également des livres de lecture pour enfants». Samar Osseiran, 24 ans, est née en Australie. Elle est rentrée il y a quatre mois au Liban. «Je vais vivre pendant un an chez mon oncle à Beyrouth, ensuite je rentrerai à Sydney», dit-elle. Diplômée en gestion, elle est actuellement vendeuse dans un magasin, rue de Verdun. Malek Abaha, 25 ans né à Calghary, est originaire de Rachaya. Ce n’est pas son premier séjour au Liban. Il déclare: « A chaque fois que je viens à Beyrouth j’ai envie de rester». «Mon rêve est de vivre dans mon village natal et de m’occuper des vignes de mon grand-père», dit-il. Malek, comme d’autres émigrés, essayera de passer également ses prochaines vacances au Liban. Certains jeunes qui ont participé au premier camp l’année dernière sont revenus cette année en compagnie de leurs amis ou d’autres membres de la famille. Ces derniers, une fois rentrés au pays hôte, encourageront d’autres émigrés à visiter le Liban et à participer au camp. Yasmine Kaddouh, née en Bretagne de mère française et de père libanais, souligne qu’elle «passe toutes ses vacances d’été au Liban». «Mais cette année pour la première fois en quelques jours je visite autant de sites» dit-elle. Muhammed Hussein, 16 ans, de Côte-d’Ivoire originaire du Liban-Sud, indique que «c’est la deuxième fois qu’il participe au camp». «Je m’ennuie quand je passe seul mes vacances au Liban. Et puis ici je rencontre toujours d’autres Libanais émigrés comme moi», ajoute-t-il. Toutefois, la plupart des jeunes restent en petits groupes. Yasmine la Française accuse «les barrières linguistiques». Les jeunes appartenant aux groupes de même langue préfèrent rester entre compatriotes du pays hôte. Ils affichent leur différence avec des drapeaux vénézuéliens peints sur le visage ou argentins portés en poncho. Trois cents émigrés libanais appartenant à vingt-cinq pays de la diaspora se sont retrouvés la semaine dernière. Tous ne parlent pas la même langue, ne possèdent pas la même nationalité et n’ont pas les mêmes habitudes. Ils n’ont rien en commun à part le même goût pour la musique et les plats traditionnels libanais et l’amour qu’ils portent à leur pays d’origine.
Trois cents jeunes émigrés libanais, venus de 25 pays de la diaspora, ont terminé leur séjour à l’école internationale Charlie Saad de Choueifate, dans le cadre d’un camp organisé par le ministère des Emigrés du 17 au 24 juillet. Venus d’Afrique, d’Amérique latine, des Etats-Unis, de l’Australie, du Canada, de l’Europe et du Moyen-Orient, ces jeunes n’ont rien...