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Actualités - REPORTAGE

Deux magistrats libanais à la découverte du système judiciaire américain Riachi : deux principes fondamentaux, la liberté et le respect des institutions

«En voyant les moyens dont disposent les magistrats américains, on ne peut que s’incliner devant les juges du Liban». Ce n’est pas pour se vanter, mais plutôt pour exprimer son admiration face à la technologie de «l’oncle Sam» (et pour déplorer en comparaison la pauvreté de la situation au Liban) que le président de la Cour de cassation, Chambre pénale, M. Ralph Riachi, s’exprime ainsi. Invité, avec le président de la Cour d’appel du Mont-Liban, M. Hatem Madi par la «United States Information Agency» (USIA) pour une tournée d’un mois aux Etats Unis, M. Riachi a pu voir sur place les subtilités du système judiciaire américain. Et si les films qui inondent nos petits et grands écrans donnent souvent une image violente de cet immense pays et de son système pénitentiaire, selon M. Riachi, il fonctionne plutôt bien et il est surtout basé sur deux grands principes: la confiance des citoyens américains dans leurs institutions et le respect de la liberté des individus. S’il peut paraître complexe et souvent difficile à saisir en raison notamment du fait que la plupart des lois sont orales, le système judiciaire américain comporte beaucoup d’éléments positifs dont le Liban pourrait profiter... Mais rien ne vaut, en définitive, une bonne loi locale... Même si le plus souvent, elle est mal ou peu appliquée. La tournée, organisée pour des délégations du Liban, de Palestine, du Maroc, d’Egypte et du sultanat d’Oman, visait à familiariser les élites de plusieurs pays avec les institutions américaines. De Washington à la Louisiane en passant par la Virginie, le Michigan et le Nevada, les 9 invités (7 magistrats et deux avocats) ont eu plusieurs rencontres avec des responsables du State Department, du Congress, des juges de la Cour suprême fédérale, des doyens d’universités et des responsables de la police. De prime abord donc, le système américain paraît plutôt compliqué, d’autant qu’il y a deux juridictions et deux systèmes: les tribunaux fédéraux et ceux des Etats, ceux-ci ayant chacun une législation spécifique. Les Cours fédérales s’occupent des violations des lois fédérales et des grands crimes, tels que ceux qui ont trait à la drogue, aux hold-up, aux taxes et aux monopoles commerciaux ainsi qu’aux fraudes. Les tribunaux des Etats examinent toutes les autres affaires. La plupart des magistrats sont élus, mais certains sont nommés, leur nombre variant d’ailleurs selon les Etats. Nommé ou élu, le magistrat se prononce sans se laisser influencer et les jugements des tribunaux ne font pas l’objet de commentaires. Comme au Liban, il existe trois degrés de juridiction: la première instance, la Cour d’appel et la Cour de cassation (Cour suprême) formé de 9 magistrats. Des 7.000 dossiers qui lui parviennent chaque année, la Cour suprême en examine 700 à 800. Aux Etats Unis, il n’y a pas de juge d’instruction, c’est-à-dire que les enquêtes préliminaires sont effectuées par la police qui les transmet à son tour au tribunal. Il n’y a pas non plus ni de conseil d’Etat ni de conseil constitutionnel, ces cas-là étant examinés par les cours ordinaires. C’est dire que sur le plan théorique, notre système est plus élaboré. D’ailleurs, le plus étonnant est qu’aux Etats Unis, il n’y a pas de code civil et pratiquement très peu de lois écrites. Celles-ci sont orales et souvent, la jurisprudence fait office de loi. La Constitution américaine ne définit d’ailleurs pas les prérogatives du pouvoir judiciaire. Mais le magistrat fédéral ne peut être démis de ses fonctions. Il touche entre 100.000 et 350.000 dollars par an. De quoi faire rêver les Libanais... Informatisation Autre différence avec le système libanais, les procureurs et les avocats généraux ne sont pas des magistrats, mais des fonctionnaires du ministère de la Justice. Le ministre de la Justice est d’ailleurs le chef du Parquet. Pour décongestionner les tribunaux et ne pas souffrir de l’accumulation de dossiers, comme c’est le cas au Liban, les Américains ont créé l’«Alternative Dispute Resolution», une sorte de tribunal chargé de régler les litiges civils et commerciaux entre les deux parties par le biais d’une médiation. Selon M. Riachi, ce système pourrait être utile au Liban pour accélérer le travail des tribunaux, qui souffrent d’un manque de magistrats. Il y a, en effet, quelque 300 juges au Liban pour 6.000 avocats... Toutefois, si le système en lui-même a du bon et du moins bon, la grande innovation reste dans la grande technologie dont disposent les magistrats. Il est ainsi désormais courant qu’un tribunal américain entreprenne l’audition d’un témoin qui se trouve dans un autre pays, grâce à un écran. Les magistrats sont totalement déchargés des questions administratives et des problèmes de gestion de leur greffe. Tout est absolument informatisé, à tel point que les jugements et les procès verbaux des audiences sont immédiatement enregistrés et retranscrits sur ordinateurs. On imagine un peu le gain de temps que cela peut occasionner surtout quand on a à l’esprit les interminables discussions entre magistrats et avocats, au cours d’une audience sur la retranscription d’une phrase dans un procès-verbal. Quand on pense aussi que récemment, M. Riachi a dû rejeter un pourvoi en cassation présenté parce que le jugement de la Cour d’appel a été imprimé sur ordinateur et n’a pas été écrit à la main par le président du tribunal comme c’est la coutume. L’avocat s’est plaint ainsi de ne pas avoir entre ses mains «l’original» du jugement et a estimé que c’était une cause suffisante pour se pourvoir en cassation... Dieu sait pourtant si l’informatisation des greffes des tribunaux et l’impression des procès-verbaux des audiences mais aussi des jugements accéléreraient le fonctionnement de la justice... Aux Etats Unis, on ne voit jamais des dossiers de mille pages dans des enveloppes brunes aux bouts déchirés s’accumulant sur les bureaux des juges ou sur le prétoire du tribunal. Les interpellations pour 24 ou 48 heures Côté prison, les invités de la USIA ont visité une maison d’arrêt et la nouvelle prison de Detroit (Michigan). Elle est, précise M. Riachi, propre et bien agencée. Les prisonniers sont à deux dans des cellules installées au rez-de-chaussée ou à l’étage. Au milieu du bâtiment, il y a une cour pour que les détenus puissent faire du sport. Les visites ne sont pas limitées à des jours précis, mais elles se font à travers une vitre et par le biais d’un téléphone que les policiers ne placent pas sur écoute «parce que c’est une atteinte aux libertés». L’interpellation se fait en général pour 24 ou 48 h. Ensuite, soit la personne arrêtée est libérée, soit elle est emprisonnée sur base d’un mandat d’arrêt émis par le président de la Cour. La détention préventive peut se prolonger jusqu’à 60 jours. Dans ce pays complexe, les institutions de la société civile sont très dynamiques et efficaces. Les ONG, très présentes, se dévouent pour familiariser les élèves dans les écoles avec leurs droits et leurs obligations. Enfin, on peut signaler encore que le nouveau gouverneur de l’Etat de New York a réussi à réduire le taux de criminalité dans la ville qui porte le même nom, en prenant des mesures drastiques. Conclusion: il est passionnant de voir comment fonctionnent les institutions de ce qu’on appelle communément la plus grande démocratie du monde. S’il peut bénéficier de sa technologie et importer sa notion de respect des institutions (pour l’inculquer à ceux qui y travaillent et à ceux qui les subissent), le système libanais n’aura plus beaucoup à lui envier. A condition toutefois que la loi y soit appliquée.
«En voyant les moyens dont disposent les magistrats américains, on ne peut que s’incliner devant les juges du Liban». Ce n’est pas pour se vanter, mais plutôt pour exprimer son admiration face à la technologie de «l’oncle Sam» (et pour déplorer en comparaison la pauvreté de la situation au Liban) que le président de la Cour de cassation, Chambre pénale, M. Ralph...