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Actualités - REPORTAGE

Un album de Fouad El-Koury "Liban provisoire" : des photos qui durent (photos)

Ne cherchons pas à comparer ce qui n’est pas comparable, mais tout de même, il existe une curieuse similitude entre la trajectoire de Fouad El-Koury photographe et celle de Radwan Nassar écrivain. Le premier, familier des revirements et des remises en question puisqu’il avait commencé par faire des études d’architecture avant de bifurquer vers la photographie, renonça il y a quelque temps à son métier pour cultiver des oliviers. Le second, Brésilien d’origine libanaise, auteur, entre autres, d’un livre étonnant composé de deux longues nouvelles («Un verre de colère», traduit chez Gallimard) a définitivement abandonné sa carrière d’écrivain pour devenir, lui aussi, agriculteur. A mes questions pressantes sur les raisons de ce renoncement, il n’a jamais consenti à répondre, ne parlant plutôt de moissonneuses-batteuses et de jachères bien planifiées sur sa hacienda!. Cadrer Fouad El-Koury se montre, quant à lui, heureusement plus loquace dans le préambule à son album, «Liban provisoire», récemment paru chez Hazan. Trois pages qui nous livrent ses états d’âme à demi-mots ainsi que le motif de cette retraite temporaire: s’il a remisé son équipement de photographe, c’est parce que faire des photos était devenu pour lui «quelque chose de machinal». Mais, dans ce domaine, l’abstinence est en quelque sorte contre nature. Ne regarde-t-on pas comme on respire? En outre, quand on est photographe professionnel — et Fouad El-Koury travaille pour l’agence Rapho — n’a-t-on pas, à chaque fois qu’on regarde, la tentation de «cadrer»? Il souligne finement, dans ces mêmes pages introspectives, le paradoxe entre ce réflexe acquis du cadrage et sa farouche détermination, adolescent, à sortir du cadre où l’on entendait l’enfermer. Son retour compulsif à la photographie après un temps de réflexion nous vaut ce magnifique volume que suivra bientôt une exposition, dans le cadre du festival de Beiteddine. Un mot d’ordre à tiroirs y a présidé: «Pas de complaisance, pas de pittoresque, pas d’anecdote, pas d’exotisme». S’agissant du Liban d’aujourd’hui, autant parler de quadrature du cercle! Fouad El-Koury a malgré tout réussi à tenir le cap et, quand il lui était trop difficile, ou «déconcertant» — comme il dit — ou déprimant — comme il doit penser tout bas — d’opérer une sélection sur les planches-contact, il s’en est remis à quelqu’un d’autre pour le faire. Des rébus Lui qui a toujours aimé photographier les quartiers périphériques et ne s’est jamais senti à l’aise que dans les «régions en transition», il est à son affaire dans un Liban comme à la périphérie de lui-même, un Liban «provisoire» et donc forcément en transition. Deux photos de 1984 détonnent dans cet album comme un cruel déni de tout le reste. Elles montrent chez eux, tels qu’en eux-mêmes, Takieddine Solh et Saëb Salam — aux mains de son barbier —, figures emblématiques d’un Liban révolu mais que nous ne pouvons chasser de nos mémoires. Elles sont comme un contrepoint à la fois grandiose et presque caricatural à tout le reste. Le reste, c’est une topographie de la déréliction: une rue Maarad fantomatique, une vue du ring qui évoque un repérage pour film noir de série B, un Bab Edriss qu’on pourrait prendre pour un paysage minier flanqué d’un terril, un souk Tawilé envahi par la jungle, des terrains vagues hérissés de filins qui ressemblent à de dérisoires aloès, une rue Allenby sur laquelle on se sent bien incapable de mettre son nom. Tout l’art de Fouad El-Koury, qu’il fasse d’un terre-plein de Minet el- Hosn un découpage abstrait ou nous déstabilise en prenant un mur en contre-plongée, c’est de se livrer — non sans quelque perversité — à une sorte de surenchère aux ravages de la guerre et de transformer des lieux familiers en autant de rébus. Il faut, pour lui, que les photos puissent tenir le coup «en seconde lecture». Son pari est gagné, et c’est justement parce qu’elles tiennent trop bien le coup qu’on redoute un peu de les regarder à nouveau.
Ne cherchons pas à comparer ce qui n’est pas comparable, mais tout de même, il existe une curieuse similitude entre la trajectoire de Fouad El-Koury photographe et celle de Radwan Nassar écrivain. Le premier, familier des revirements et des remises en question puisqu’il avait commencé par faire des études d’architecture avant de bifurquer vers la photographie, renonça il y...