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Actualités - OPINION

Carnet de route Algérie : l'arabe au forceps

Nul, moins que nous, ne souhaiterait accabler l’Algérie. D’abord, parce qu’elle fut notre première cause politique, dans la foulée immédiate de l’exil du roi Farouk l’Egyptien, et que cette cause dura huit ans, ce qui est long pour une jeunesse. Rien ne remplaça cet accès de romantisme politique qui dura de Ferhat Abbas à Ahmed Ben Bella, de 1954 à 1962, avec ses réalités et ses mythes que nous donnait à lire toute la presse française de gauche, et même pas Dien Bien Phu, ce désastre qui coïncida avec l’entrée en scène de ceux qu’on appelait, (si archaïque que le mot nous apparaisse aujourd’hui), les «fellaghas». Les temps étaient à la «Oumma», et nous aimions les héros. Après son indépendance, l’Algérie conserva à nos yeux son auréole, mais tout était consommé, et ses graves problèmes économiques ne nous exaltaient pas. On est frivole, ainsi, quand on sort de l’adolescence… Pourtant, une nouvelle fois, après la guerre d’octobre, surtout pour ceux qui vivaient à l’étranger, les nombreuses apparitions, dans les médias, de Abdessalam, ministre de l’économie, et de Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, partis en croisade pour dire à l’Occident ses vérités sur le pétrole arabe et les intentions de ses détenteurs, provoqua chez les exilés arabes une forte bouffée de fierté. On ne se souvient, en histoire, que des événements marquant, c’est là une des injustices des observateurs au coup par coup. ***** La guerre civile actuelle, avec sa théorie de morts, dirons-nous honnêtement qu’elle ne s’accompagna pas, à la longue, par un dégoût pour toutes les forces en présence, au risque de faire l’amalgame? Et désormais, depuis le 5 juillet, date d’application de l’«arabisation totale» du pays, au mépris des Berbères et, en général, d’une population multilingue (arabe algérien, berbère, arabe classique plus rarement), serait-ce faire injure à l’Algérie que de ne pas étouffer un rire qui nous semble bien légitime? Car enfin, voici trente six ans que Ben Bella (premier président du pays indépendant) lançait: «Nous sommes arabes, arabes, arabes» et que depuis, surtout depuis la présidence de Houari Boumedienne, on ne compte pas les tentatives d’arabisation avortées d’un peuple réticent, malgré de véritables arabophones, à se laisser enfermer sous la chape de plomb d’une langue qu’elle vit comme étrangère à son langage. Une des nombreuses lois, dans ce sens, votée en 1990, fut rédigée en français par les dirigeants et hauts fonctionnaires d’alors. Les humoristes algériens assurèrent le lendemain qu’il avait fallu passer la nuit à chercher un traducteur… Bêtises, maladresses, et, il faut le dire, méconnaissance de la langue arabe classique, amorcèrent un désordre dans ce domaine qui amena, une certaine année, jusqu’à «importer» des professeurs (scientifiques je crois) yougoslaves plutôt que de faire appel à la France. Trente-six ans, ce n’est rien au regard de l’éternité, mais ça laisse largement le temps à une patrie qui se réclame de la «modernité», pour organiser cette instance, vivante et académique à la fois qu’est une langue. Pour l’instant, c’est un échec, et ce nouveau départ du 5 juillet entend probablement se concilier un tant soit peu l’opposition coranique qui, bien que souvent francophone elle — même, verrait d’un bon œil la langue coranique s’infiltrer dans la vie de la population. Mais on ne transforme pas une langue par décret. Alger a malheureusement pour elle été colonisée en 1830, par une France où se succédèrent diverses mains de fer. D’où la tentation de parler d’un ferme cordon ombilical entre les deux pays pendant 132 ans où, entre autres, Jules Ferry et l’école gratuite et obligatoire, les deux guerres mondiales et tout le reste, jusqu’au déclenchement de la lutte pour l’indépendance, firent passer leur rouleau compresseur sur un pays dépendant, jusque dans les moindres détails, de la «métropole». Mais je ne pense pas que cela excuse le président Zéroual ni ses prédécesseurs de nager encore dans le problème de l’arabe. Trente-six ans, cela fait presque quatre fois dix ans où des recherches et des décisions marquées du sceau de l’incompétence et de l’irréalisme ont abouti au gaspillage d’un patrimoine tant recherché. Alors, le pays a eu des difficultés? Il a échoué dans sa stratégie économique? Quand le souci de la politique est le seul ressort de l’identité, quand la culture et les spécificité linguistiques qui la fondent sont remisées dans l’espoir indéfini d’un avenir meilleur, de quel poids pèse une nation? Il y a de quoi, depuis 1962, être sursaturé par des gouvernants qui n’ont su ni quoi ni comment choisir. On ne leur demande surtout pas d’imposer la francisation. Même si les lettres que les Algériens reçoivent des P. et T., portent seulement le nom de leur destinataire en langue arabe, et tout le reste de l’adresse en français. Même si, l’Algérois qui a raté la retransmission du «Mondial» du jour, appelle au téléphone son plus proche voisin ou l’épicier le plus noctambule pour lui demander; «Cheft adek el match? Min marquaou?». Ce ne sont que des anecdotes. Elles sont néanmoins significatives. Entre l’arabe algérien et le berbère, considérés comme les deux langues maternelles de ce pays qui se veut un rôle régional important dans le Magreb et sa diplomatie, l’imposition de l’arabe (que beaucoup maîtrisent très bien, tout en envoyant, pour certains, leurs enfants se scolariser à l’étranger), ne pourra se faire que par l’adoption d’un système scolaire et universitaire théorique et pratique des plus longuement étudiés. Qui ne demande pas trente-six années de plus. S’ils n’étaient pas si marqués par leur religion et leur allergie à la France, ils pourraient s’adresser aux Jésuites. Autrement, il y aurait les anglo-saxons; mais voit-on un Algérien dire, par exemple, en arabe, l’équivalent de «very well indeed»? Ni Oran, ni Tipasa, ni les Aurès ne s’en remettraient jamais. Arabiser, islamiser, berbériser, métisser, mais de grâce, décider, avec sérieux de préférence, sous peine de se voir ranger dans la catégorie bien connue du «bordel arabe» qui englobe, pour beaucoup d’observateurs, la quasi-totalité de nos pays.
Nul, moins que nous, ne souhaiterait accabler l’Algérie. D’abord, parce qu’elle fut notre première cause politique, dans la foulée immédiate de l’exil du roi Farouk l’Egyptien, et que cette cause dura huit ans, ce qui est long pour une jeunesse. Rien ne remplaça cet accès de romantisme politique qui dura de Ferhat Abbas à Ahmed Ben Bella, de 1954 à 1962, avec ses...