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Actualités - OPINION

Diplomanie

La querelle surgie entre MM. Hariri et Boueiz, si elle vient pimenter quelque peu la chronique des sempiternels tiraillements entre dirigeants, ne débouchera sans doute pas hélas sur une stricte redéfinition des tâches au sein de cet Etat hétéroclite, bricolé à la va-comme-je-te-pousse et qui, pourtant, prétend être celui «des institutions». Dans un pays où l’on en est venu à institutionnaliser plutôt, entre autres aberrations, l’étrange concept de «ministre opposant», M. Boueiz, malgré sa dignité professionnelle froissée par le dernier voyage en solo du chef du gouvernement, malgré sa violente diatribe contre ce dernier, ne risque pas un seul instant de rendre son tablier, ce qui constituerait alors un geste politique authentique et crédible; car à tout prendre et malgré d’épisodiques désagréments, il se trouve très bien là où il est, et les compensations ne manquent pas. Mais surtout, ce conflit de compétences ne peut avoir de retombées sur une politique étrangère libanaise dont les moindres nuances sont, d’office, réglées comme du papier à musique: quellle que soit la diva, la rengaine est la même, bâtie qu’elle est sur le thème de la résolution 425, sur fond de totale coordination avec Damas. La partition ne souffre, tout au plus, que des variations mineures. Pour l’avoir oublié une ou deux fois dans le passé, il est arrivé à MM. Hariri et Boueiz, en veine d’improvisation, de se faire taper sur les doigts par un maestro syrien absolument intraitable sur les lois de l’harmonie. L’an dernier encore, le président de la République, lui-même, essuyait une prompte mise au point du ministre syrien des A.E. Farouk el-Chareh, après s’être porté personnellement garant du calme à la frontière: «Plus un seul coup de feu», promettait M. Hraoui, une fois les Israéliens partis . Depuis, le seul mot de garantie est tabou, même s’il va de soi que tout retrait impliquera nécessairement un mécanisme de sécurité quelconque, qu’il soit formellement négocié ou non. C’est dire les enjeux forcément limités — techniquement parlant — de l’actuelle empoignade entre les deux architectes rivaux de la politique ( très ) étrangère du Liban. On notera toutefois au passage qu’il y a longtemps que M. Rafic Hariri qui, au plan interne, n’est après tout qu’un des trois piliers de la Troïka dirigeante, a réussi à se poser en premier, sinon en seul interlocuteur libanais de la communauté internationale. Sans méconnaître son réel aplomb, ni le crédit qu’il est en droit de tirer de certaines de ses réalisations, sa formidable puissance financière impressionne et subjugue même les grands de ce monde: si bien que Rafic Hariri est parvenu, en quelques années, à se constituer un réseau d’amitiés étrangères — et notamment occidentales — d’une étendue et d’une solidité absolument sans précédent dans les annales libanaises. Et c’est bien en cela que le président du Conseil dispose de singuliers atouts pour tenter de faire agréer dans les capitales de poids — de marketiser littéralement — la position syrienne à l’égard du processus de paix au Proche-Orient, position dont est fatalement tributaire celle du Liban. M. Hariri semble bien avoir marqué quelques points lors de ses derniers entretiens à Washington puis à New-York: «Visite fructueuse», se félicite ainsi le Syrien Khaddam; «visite réussie , bon exposé, bon timing», renchérit l’ambassadeur américain Jones. En dénonçant quant à lui le caractère irrégulier de ce voyage non préalablement cautionné par le Conseil des ministres, en en contestant l’opportunité, en affichant son scepticisme quant à ses résultats proclamés, le chef titulaire de la diplomatie libanaise ne fait, bien entendu, que donner l’artillerie lourde pour défendre son territoire. Mais compte tenu de l’inexistence, une fois de plus, de toute diplomatie-maison (c’est la peau de l’ours que se disputent en somme nos deux vaillants chasseurs ) force est de se rabattre sur les aspects bassement politiques et caractériels de la question. Il est vrai que M. Hariri est un fervent adepte du one-man show, et qu’il est donc enclin à écarter ou à écraser ses collaborateurs. Le chef du gouvernement entretient ainsi sa propre armée d’ambassadeurs à l’étranger qui lui adressent leurs rapports en direct , sans faire le détour par le palais Bustros. Cette tendance à piquer dans l’assiette du voisin est même assez répandue au sein du Cabinet, au point que le ministre des Affaires municipales a pratiquement démissionné pour protester contre les empiètements de son collègue de l’Intérieur. En choisissant pour unique compagnon de voyage non point le ministre des A.E. mais le Grand Argentier Fouad Siniora, musulman sunnite comme lui, M. Hariri a paru souverainement ignorer, par ailleurs, le traditionnel souci d’équilibre en matière de représentation communautaire. Aux tendances autoritaires et à l’ego exacerbé de Rafic Hariri, répond la très haute idée que se fait de lui-même Farés Boueiz. Car s’il est vrai que le premier ne sollicite pas bien souvent la compagnie du second lors des grands événements touristico-diplomatiques, le ministre n’aime pas trop en revanche faire partie des bagages; encore qu’ à l’approche de l’élection présidentielle, il se serait sans doute laissé tenter par une virée — même guidée — à la Maison-Blanche, du moment qu’il se croit investi d’un destin national. Peau d’ours ou peau de balle, toute la question, finalement, est là.
La querelle surgie entre MM. Hariri et Boueiz, si elle vient pimenter quelque peu la chronique des sempiternels tiraillements entre dirigeants, ne débouchera sans doute pas hélas sur une stricte redéfinition des tâches au sein de cet Etat hétéroclite, bricolé à la va-comme-je-te-pousse et qui, pourtant, prétend être celui «des institutions». Dans un pays où l’on en est...