Guerre de F-16 à Chypre entre Ankara et Athènes

Entre la Turquie et la Grèce, la tension est à son paroxysme à propos de Chypre. L’aggravation de la situation a été sensible au cours des dernières quarante-huit heures, Ankara envoyant dans l’île six avions de combat F-16 et multipliant les mises en garde à l’adresse d’Athènes. Les F-16 turcs ont atterri sur la base aérienne de Lefkoniko (Gecitkale en turc), à quelque 50 kilomètres au nord de Nicosie, en réponse à l’envoi mardi de quatre F-16 grecs sur la base chypriote (grecque) de Paphos (sud). Le premier ministre turc Mesut Yilmaz a déclaré à Bucarest, où il était en visite officielle, qu’une guerre à Chypre dépendrait de l’attitude des Chypriotes-Grecs. «La Turquie ne souhaite pas du tout la guerre à Chypre mais cette possibilité dépendra largement de l’attitude chypriote-grecque (...). Les Chypriotes-Grecs pâtiront de l’escalade la tension», a-t-il dit. M. Yilmaz a qualifié l’arrivée des avions grecs et les projets du gouvernement chypriote de se doter de missiles sol-air S-300 russes d’«acte agressif contre la Turquie». La Turquie estime que ces missiles menaceraient son territoire et avertit qu’elle les détruirait en cas de leur déploiement, prévu pour cet automne. Le vice-premier ministre Bulent Ecevit, qui avait ordonné l’intervention militaire turque à Chypre en 1974 alors qu’il était premier ministre, a accusé la Russie de vouloir «réaliser un encerclement panorthodoxe et panslave de la Turquie». De nombreux conseillers militaires russes ont été envoyés dans la partie grecque de Chypre, selon des responsables turcs, qui accusent Moscou de vouloir créer ainsi en Méditerranée orientale une zone d’influence, ce qu’elle n’avait pas réussi pendant la guerre froide. Le chef de la diplomatie turque Ismaïl Cem a déclaré de son côté qu’Ankara «prendra toutes les mesures nécessaires contre les plans d’agression» de la Grèce. «Toute conséquence de la dangereuse escalade entamée par le gouvernement chypriote (grec) sera entièrement de la responsabilité de la Grèce», a-t-il dit. Un message «Il s’agit d’un message, d’une mesure destinée à rééquilibrer la situation dans l’île créée par l’arrivée d’avions grecs», a déclaré le chef de la communauté chypriote-turque, Rauf Denktash, commentant l’arrivée des F-16 turcs. Il a assuré ensuite à la presse à Lefkoniko que la Turquie réagirait «énergiquement» à toute action militaire de la Grèce à Chypre. «Ils doivent agir raisonnablement, autrement ils subiront les conséquences» de leurs actes, a ajouté M. Denktash après un entretien avec le commandant des forces turques dans le nord de Chypre, le général Ali Yalcin. Trois des six avions turcs sont rentrés à leur base en Turquie en fin d’après-midi jeudi. Les trois autres devaient passer la nuit à Lefkoniko. Deux des quatre avions grecs arrivés mardi étaient rentrés en Grèce le même jour, les deux autres le lendemain, selon Nicosie. La livraison en janvier au gouvernement chypriote (grec) de la base de Paphos, dans le cadre de la doctrine de défense commune signée en 1993 par Athènes et Nicosie, avait provoqué une vive réaction de M. Denktash, qui avait menacé de «briser les ailes» de tout avion grec qui l’utiliserait. M. Denktash — qui préside la RTCN, reconnue par la seule Turquie qui y maintient quelque 35.000 soldats — a rencontré jeudi l’ambassadeur des Etats-Unis à Nicosie, Kenneth Brill, à la suite de l’arrivée des F-16 turcs. Richard Holbrooke, l’émissaire spécial du président Bill Clinton pour Chypre, nommé jeudi ambassadeur américain auprès des Nations Unies, est attendu lundi à Athènes pour des entretiens avec des membres du gouvernement grec, a indiqué le porte-parole du gouvernement grec, Dimitris Reppas. La question chypriote est considérée par la Turquie comme «une cause nationale», disent les analystes pour expliquer la réaction d’Ankara. «La Turquie répète depuis longtemps qu’à part quelques incidents le long de la ligne de démarcation, la paix règne globalement dans l’île depuis 1974, ce qui n’était pas le cas avant, lorsque des violences ethniques récurrentes faisaient surtout des victimes parmi la population turque», a déclaré l’un d’eux, Akin Dogan.