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Actualités - REPORTAGE

Affaire Karamé : procès renvoyé à Octobre Les personnes qui pariaient sur une grâce présidentielle doivent déchanter

Au train où vont les choses, le procès dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rachid Karamé ne risque pas de se terminer avant l’an 2000. Au bout de plus de 25 audiences, la Cour de justice, présidée par M. Mounir Honein, en est encore à l’audition du cinquième témoin du Parquet. Il y en a trente autres, sans compter ceux de la défense. Chaque audience est l’occasion pour certains avocats de la partie civile et d’autres de la défense de se lancer dans des polémiques sans fin, profitant du souci du président de la Cour de donner la parole à chacun et assurés d’être cités par les journalistes puisque l’affaire est grandement médiatisée. Le bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Antoine Klimos, venu hier assister à l’audience pour la première fois, l’a lui-même constaté, hochant souvent la tête lorsque à ses yeux la discussion semblait s’égarer. Et ce qui devait arriver arriva: le procès ne reprendra que le 16 octobre, un des membres de la Cour, M. Hekmat Harmouche, prenant sa retraite le 4 juillet. En attendant que le Conseil des ministres lui nomme un remplaçant, les avocats devront ranger leurs robes et le procureur général, M. Adnane Addoum, ainsi que son assistante, Mme Rabiha Ammache, auront largement le temps de peaufiner leurs dossiers. Seuls les inculpés n’ont pas accueilli l’annonce du report avec joie. Certes, ils ne peuvent exprimer ouvertement leur opinion — un froncement de sourcils de leurs geôliers suffit à les dissuader —, mais leurs mines allongées en disaient long sur leur déception. Pourtant l’audience d’hier s’est ouverte dans une atmosphère d’espoir. Les élections municipales ayant permis une réapparition des «Forces libanaises» dans la vie publique, les partisans de Samir Geagea, venus nombreux assister à l’audience, croient que, désormais, ce procès n’a plus de raison d’être. Pour eux, l’assassinat de Rachid Karamé, datant du 1er juin 1987, semble appartenir à la préhistoire et ils sont convaincus qu’une page est tournée. Le scénario, selon eux, est clair: le procès s’achèvera avant octobre et lorsque le président syrien Hafez el-Assad viendra à Beyrouth, le chef de l’Etat, M. Elias Hraoui, en profitera pour annoncer une série de grâces présidentielles, avant de quitter ses fonctions. Ils doivent toutefois renoncer à leurs rêves, puisque le président de la République ne peut gracier un inculpé qui n’a pas encore été condamné et dont le jugement est en cours... Geagea plein d’énergie Mais nous n’en sommes pas encore là et, vers 14h30, Samir Geagea fait une entrée remarquée. Vêtu d’une chemise blanche et d’un gilet coloré, il semble plein d’énergie, et c’est d’une voix puissante qu’il répond à l’appel du président Honein. D’ailleurs, pour la première fois depuis l’ouverture de ce procès, il acceptera de répondre à une question du président Honein relative aux FL. Ainsi, lorsque le brigadier Khalil Matar affirmera n’avoir jamais rencontré le témoin Amale Abboud chez Ghassan Touma (chef du service de sécurité des FL dissoutes) dont elle affirme avoir été la secrétaire, c’est Samir Geagea, tout sourire, qui confirme, à la demande du président, la fonction de cette dernière au sein des FL. Les inculpés Keitel Hayeck et Camille Rami sont aussi pleins d’espoir. Rami ayant été récemment acquitté par la Cour de cassation militaire dans l’affaire de la tentative d’assassinat du brigadier syrien Ghazi Kanaan en 1987 et condamné à trois ans de prison pour collaboration avec l’ennemi israélien (dont il a déjà purgé la plus grande partie), le commandant de réserve, Keitel Hayeck, actuellement jugé pour la même tentative d’assassinat, pense qu’il sera forcément innocenté lui aussi. Et, dans ce cas, il ne restera plus que cette affaire (dans laquelle, même dans l’acte d’accusation, son rôle est minime) entre lui et la liberté. Hayeck et Rami arrivent donc détendus et acceptent que la Cour leur désigne provisoirement comme défenseur Me Richard Chamoun puisque leur avocat, Me Emile Younès, s’est récusé. Ils repartiront beaucoup la tête basse, ne voyant pas encore la fin du tunnel... Les inculpés Antoine Chidiac et Aziz Saleh (respectivement chauffeur de Ghassan Touma et membre du service de sécurité des FL dissoutes) ne laissent rien paraître de leurs émotions. Ils suivent sans broncher le déroulement de l’audience et acceptent sans rechigner le report de l’audience au 16 octobre. Ce n’est pas le cas du brigadier Khalil Matar qui a laissé hier, une fois de plus, éclater sa colère devant ce qu’il a appelé «les mensonges» du témoin Amale Abboud. Le brigadier ne cache pas à la Cour son sentiment d’être victime d’un vaste complot et, s’adressant au président de la Cour, il s’écrie: «Vous voulez la vérité, c’est moi qui la détiens. Et lorsque je dis que les témoins José Bakhos et Amale Abboud mentent, c’est que je possède des éléments l’attestant. Je ne suis pas là pour accuser gratuitement les gens, mais pour me défendre puisque je suis inculpé...». Ces affirmations ne déstabilisent nullement Amale Abboud qui maintient ses précédentes déclarations et rappelle qu’elle a rencontré pour la première fois le brigadier Matar à un dîner à la permanence des FL à Ram (région de Jbeil) en 1984, en présence de Samir Geagea et de Ghassan Touma et c’est, selon elle, à partir de cette date que Touma est devenu le lien entre le brigadier, alors commandant, et le chef des FL. Le brigadier nie les faits. Il ajoute toutefois que le dîner a bel et bien eu lieu, mais que Samir Geagea n’a fait qu’y passer quelques minutes, alors qu’il est lui-même resté tout le temps en compagnie de Nader Succar, sur un balcon. Il cite comme témoin de l’affaire le capitaine Georges Serhal. Matar déclare aussi qu’il n’a pas vu Amale Abboud ce jour-là; ni un autre d’ailleurs. Amale, qui à aucun moment ne regarde Matar, sourit et déclare: «Le brigadier me connaît. Il sait même que je suis originaire de Selfaya (caza de Aley) et sa tante, Cecilia, est mariée à un homme de ce village de la famille Abou Saab». Le brigadier sort de ses gonds et s’écrie: «Je n’ai pas de tante et je ne sais rien de ce village». Les enveloppes contenant de l’argent Le président Honein revient sur le sujet des enveloppes contenant de l’argent remises au brigadier par les FL. Selon Amale Abboud, le brigadier a commencé à recevoir de l’argent à partir de 1984 et jusqu’en 1989. Elle affirme que c’est la secrétaire Myrna Tawil, devenue par la suite l’épouse de Ghassan Touma, qui rangeait, souvent devant elle, les sommes dans les enveloppes, jusqu’en 1987. Après, c’est elle qui a pris le relais. Et lorsque le brigadier se trouvait chez Touma, elle donnait l’enveloppe au chef du service de sécurité, afin qu’il la lui remette sur place. Le brigadier nie en bloc, précisant qu’il a reçu des enveloppes en provenance de chez Touma à partir de 1987 et jusqu’en 1989. Celles-ci lui parvenaient irrégulièrement tous les trois à quatre mois et elles contenaient à chaque fois l’équivalent de 800 dollars environ. C’est José Bakhos qui les lui remettait à son domicile à Halate, mais il précise qu’il est arrivé deux ou trois fois à Ghassan Touma de les lui remettre en personne lorsqu’il se trouvait chez lui. Bref, comme au cours des audiences précédentes, le brigadier et le témoin Amale Abboud ne cessent de se contredire. Et les avocats de Matar, notamment MM. Badawi Abou Dib, Rachad Salamé et Samira Matar (Me Chaker Abou Sleimane est peu intervenu), ont relevé les divergences dans les déclarations faites par le témoin devant le juge d’instruction et celles qu’elle a faites devant la Cour. «Pourtant, ajoute Me Salamé, au début de son audition par la Cour, le témoin a confirmé ses dépositions au cours de l’enquête préliminaire. Comment peut-elle, dans ce cas, modifier, devant la Cour, certains faits à sa convenance?». Me Issam Karam, avocat de Geagea, fait remarquer que le procureur doit engager des poursuites contre elle pour faux témoignage. Naturellement, M. Addoum proteste, affirmant que tant qu’elle ne se contredit pas devant la Cour, il n’y a pas de raison pour qu’il engage des poursuites contre elle. La polémique se poursuit, truffée de remarques parfois sarcastiques échangées entre les avocats de la défense et ceux de la partie civile. Et le secret d’Amale Abboud, ainsi que celui de José Bakhos, ne sera pas percé avant le 16 octobre. La Cour compte en effet procéder ce jour-là à une confrontation entre ces deux témoins. Mais avant que l’audience ne soit levée, Me Dayé (avocat de Omar Karamé) rappelle qu’«en dépit de la campagne médiatique menée actuellement pour faire oublier l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé et présenter le principal inculpé (Samir Geagea) comme une victime, nous continuerons à avoir confiance dans la Cour et à croire à l’entente nationale pour laquelle est mort Rachid Karamé». Me Dayé met ainsi le doigt sur la plaie, car, au-delà des polémiques et des enjeux politiques ou autres, c’est de l’assassinat d’un premier ministre qui essayait de mettre un terme à la guerre entre les Libanais qu’il s’agit. Tout en se tournant résolument vers l’avenir, les Libanais souhaiteraient quand même connaître la vérité à ce sujet.
Au train où vont les choses, le procès dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rachid Karamé ne risque pas de se terminer avant l’an 2000. Au bout de plus de 25 audiences, la Cour de justice, présidée par M. Mounir Honein, en est encore à l’audition du cinquième témoin du Parquet. Il y en a trente autres, sans compter ceux de la défense. Chaque...