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Actualités - REPORTAGE

Deir El-Kamar : la bataille était dure, mais la localité ne sera pas divisée (photos)

Deux localités, deux symboles, une même bataille. Epargnée (relativement) par la guerre de la montagne, Deir el-Kamar a longtemps été l’image de la présence des chrétiens au Chouf, et Damour, au contraire, a été la première localité de la région à vivre un terrible exode. Aujourd’hui, l’une et l’autre se sont lancées dans la bataille municipale, sur fond de règlements de comptes anciens et nouveaux, sans oublier les traditionnels contentieux familiaux. L’une et l’autre ont aussi voulu exprimer haut et clair leur opinion, qui est, pour elles, une manière de prouver leur détermination à exister, après de longues années de quasi-éclipse. L’une et l’autre, enfin, ont reflété en gros le même clivage entre l’alliance Joumblatt-Chamoun, d’une part, et celle de l’avocat Naji Boustany avec les courants aouniste et F.L., d’autre part. Les deux camps ont eu beau se lancer des accusations diverses et multiplier les rumeurs désobligeantes, les habitants, eux, étaient surtout heureux d’avoir pu, au-delà des dissensions, faire un choix, aussi limité soit-il. Damour et Deir el-Kamar présentaient hier le même spectacle: un embouteillage inextricable et des attroupements devant les bureaux de vote. Mais si à Damour, les habitants sont rapidement repartis, après avoir glissé leurs bulletins dans les urnes, leurs maisons n’étant pas encore achevées, à Deir el-Kamar, tous les résidents se sont retrouvés dans les cafés ou devant les bureaux électoraux, pour de longues discussions, en attendant les résultats. Par contraste, la localité druze de Kfarhim apparaissait d’un calme incompréhensible. Mais c’est que là-bas, il n’y avait pas vraiment d’enjeu... Comme partout dans le Chouf, — sur ordre de Walid bey, soucieux de propreté — aucun candidat n’a le droit d’afficher ses photos ou de faire sa campagne sur les murs. Les candidats à Deir el-Kamar se sont donc rabattus sur l’accrochage de banderoles sur les balcons et la distribution de tee-shirts et de casquettes à leurs partisans. Seules quelques rares photos jaunies du leader assassiné, Dany Chamoun, apparaissent encore sur certains coins de murs. L’absence de portraits n’a toutefois pas tiédi la bataille. Au contraire. La route principale du village est quasiment prise d’assaut par les résidents, qui, entre deux accolades — certains ne se sont plus vus depuis des années — échangent les derniers pronostics. Il y a certes ceux qui ont choisi clairement leur camp et voteront pour l’une des deux listes, sans états d’âmes, mais la grande majorité des habitants est quelque peu perturbée par cette bataille, aussi démocratique soit-elle, tant pour eux le choix est difficile. Ce qui est sûr, c’est que l’ombre de Dory Chamoun pèse sur ces élections. L’homme a mis tout son poids dans la bataille et rares sont les habitants de la localité qui restent insensibles à son prestige. Cela suffit-il pour que toute sa liste soit victorieuse? La question était hier sur toutes les lèvres, car pour les deux camps, l’enjeu est de taille. Mais il faut peut-être commencer par le début. Lorsque la date des élections municipales a été fixée, ce fut la course aux candidatures. Pour le camp du président sortant, le député Georges Dib Nehmé (qui n’a jamais quitté la localité, même aux plus durs moments du blocus de 1983), il était normal de chercher à conserver les acquis, d’autant que «sa bonne entente» avec le ministre des Déplacés, Walid Joumblatt, a permis d’éviter de nombreux drames pendant la guerre et arrange aujourd’hui le leader du PSP. C’est dans cet esprit que M. Georges Dib Nehmé a proposé la candidature de son frère Riad et qu’il a commencé à former une liste, avec notamment Me Fadi Honein, dont la famille est très aimée à Deir el-Kamar. Pour le renouveau Toutefois, ces démarches n’ont pas plu à d’autres habitants de la localité, qui espèrent que ces élections y apporteront un vent de renouveau. Ils pensent surtout qu’il est temps de sortir de l’époque de la guerre et de chercher à redonner à Deir el-Kamar son prestige d’avant 75, lorsqu’elle était un centre attractif dans la région, alors que, selon eux, elle n’est plus «qu’une voie de passage vers Beiteddine et son festival». Ce groupe d’habitants se désole de voir que l’hôpital de la localité a été fermé et que la branche de l’UL est sur le point de disparaître à son tour, alors qu’il n’y a plus, selon eux, la moindre activité culturelle ou artistique dans la bourgade. S’étant rassemblés depuis un an en groupes de discussions, ils ont décidé de se lancer dans la bataille électorale en formant une liste présidée par le Dr Sleimane Merhej. Médecins, avocats et ingénieurs, ils ont voulu innover et, selon Dr Merhej, leur allié naturel ne pouvait être que Me Naji Boustany, puisqu’ils ne voulaient plus des Dib Nehmé à la présidence de la municipalité. Pour eux, Boustany a le mérite de vouloir le changement et de s’être lancé dans la bataille des législatives en 1996, malgré la guerre que lui a mené le leader du PSP, alors allié officiel du pouvoir. Le groupe a donc fixé un programme et, selon le Dr Merhej, c’est sur cette base qu’ont été choisis les candidats. Le Dr Merhej ajoute qu’il y a sur sa liste deux personnalités proches du PSP, M. Abdo Boueiz, qui a été contraint par la suite à se retirer, et Dr Fouad Adaïmy, ainsi que trois membres du PNL — qui ont mené la bataille jusqu’au bout. Tout cela par souci d’entente et de représentativité. Dr Merhej et ses alliés — notamment le Dr Fadlallah Nassif, deux Dr Antoine Boustany et notre confrère de la LBC, Michel Ghandour, le aouniste Abdo Nassib Nehmé — étaient plutôt tranquilles sur l’issue de la bataille ...jusqu’à la candidature de Dory Chamoun. Selon la liste présidée par le Dr Merhej et appuyée par Naji Boustany, Dory Chamoun a décidé de se présenter lorsqu’il s’est aperçu que sa liste était assurée de l’échec. Toujours selon ses adversaires, le fils de Camille Chamoun ne pouvait accepter une remise en question de son leadership, dans son fief même. Ce n’est naturellement pas l’avis de Chamoun lui-même qui affirme s’être lancé dans la bataille pour tenter de former une liste de coalition. Lorsque ses efforts n’ont pas abouti, il a voulu consolider la position du président sortant, le député Georges Dib Nehmé. Mais n’est-ce pas réduire ses ambitions que de briguer la présidence de la municipalité? «Pas du tout, répond le chef du PNL. C’est un honneur pour moi d’être le président de cette municipalité. Entre Deir el-Kamar et moi, c’est une histoire d’amour et là où je peux servir ses habitants, je n’hésiterai pas». La bataille étant devenue inévitable, il s’agissait, pour les deux camps, d’attirer dans leurs listes respectives les candidats les plus représentatifs. Selon la liste «Merhej-Boustany», Dory Chamoun aurait demandé au leader du PSP de faire pression sur Abdo Boueiz (président du comité de retour dans le quartier de Choualik rattaché à Deir el-Kamar) afin qu’il se désiste. Le Dr Merhej évoque ainsi une réunion entre Boueiz et Chérif Fayad, au domicile de Joseph Kazzé, afin d’obliger le candidat à se retirer de la bataille. Quant au second candidat proche du PSP, figurant sur la liste Merhej, son nom a été maintenu secret jusqu’à la dernière minute. Il s’agit du médecin Fouad Adaïmy. Me Boustany précise d’ailleurs, à ce sujet, qu’il a sciemment gardé le secret, d’une part pour éviter les pressions, et d’autre part, par manœuvre électorale, afin de maintenir le suspense. De son côté, Dory Chamoun précise que les membres du PNL, qui se sont présentés sur la liste rivale, ne pourront pas continuer à militer au sein du parti. Quant à Walid Joumblatt, ses proches disent qu’il ne pouvait en aucun cas appuyer la liste de Naji Boustany, d’une part parce que ce dernier l’avait ouvertement défié au cours des législatives de 96 et d’autre part parce qu’il veut modifier la configuration historique de cette région, traditionnellement dirigée par l’axe Chamoun-Joumblatt et ressusciter les «symboles de l’exode» (les FL). C’est donc avec deux listes rivales complètes (chacune de 18 membres) que la bataille a été menée hier. Incident mineur Dans les deux centres de vote, l’affluence a commencé tôt le matin et les candidats qui ont glissé leurs bulletins dans l’urne n’ont cessé de faire la navette, pour résoudre les ultimes problèmes et encourager les hésitants. Si, entre les deux camps, la tension est grande, cela ne se traduit jamais par des rixes ou des insultes. Le seul incident a opposé M. Gebrane Tuéni — qui accompagnait Dory Chamoun dans sa tournée — au fils de Naji Boustany. Quelques mots suivis d’une mobilisation des jeunes ont entraîné l’intervention des soldats de l’armée. Nabil Boustany est emmené dans une jeep, mais très vite, son père arrive sur les lieux et obtient sa libération, après des pourparlers très polis. Me Boustany profite de l’occasion pour rendre hommage aux forces de l’ordre et à l’organisation en général de ces élections, selon lui, très différente des législatives de 96. Même Dory Chamoun, qui avait la veille dénoncé les manigances du pouvoir, se déclare plutôt satisfait. Les deux camps estiment que les erreurs dans les listes électorales sont assez normales et qu’il n’y a rien de particulier à signaler. Le candidat Fadi Honein (sur la liste de Dory Chamoun) essaie de régler le problème d’un électeur qui s’est présenté au bureau de vote muni de sa nouvelle carte d’identité. En vain, le responsable du bureau de vote refuse d’accepter le document. «Comment refusez-vous de reconnaître la validité d’un document délivré par le ministère de l’Intérieur?» demande l’intéressé, mais le responsable du bureau de vote répond imperturbable: «J’ai des instructions précises». Naji Boustany lui aussi est constamment sollicité par des électeurs ayant des problèmes et il affirme que les autorités sont «cette fois» très coopératives. N’est-il pas quelque part en train de régler les comptes des législatives de 96? «.Pas du tout, répond-il. Pour nous, ces élections n’ont pas un caractère politique». Mais lui-même ne bénéficie-t-il pas de l’appui du président du Conseil et de celui des FL? «Comment se traduit selon vous l’appui du président du Conseil à Deir el-Kamar?». «Mes positions politiques sont claires et elles ne sont pas avec le pouvoir. En ce qui concerne les FL, je ne vois pas pourquoi vous voulez ressusciter les fantômes...». Me Boustany n’a pas beaucoup de temps. On l’appelle pour une nouvelle tournée et le voilà parti avec ses gardes du corps. Les candidats sillonnent en permanence la route principale du village où sont situés les bureaux de vote et M. Chamoun déclare: «Si je dois en croire le nombre de salutations que j’ai reçues aujourd’hui, je n’ai aucune inquiétude à me faire». Que pense-t-il du fait que ses alliés traditionnels du courant aouniste n’appuient pas sa liste? «Une partie d’entre eux m’appuie. Mais cela n’a rien à voir avec la politique. Cela tient à des questions familiales». N’est-ce pas lui qui a politisé ces élections en présentant sa candidature? «Au Liban, tout est politisé, même les élections des amicales estudiantines». Ce n’est pourtant pas l’avis de Naji Boustany et de ses alliés. «Nous voulions des élections apolitiques, déclare le Dr Merhej, axées sur le développement de Deir el-Kamar. Mais Dory Chamoun l’a voulu différemment». Leurs partisans critiquent ouvertement le chef du PNL qui, selon eux, a vendu la maison de son père au village, alors que Naji Boustany, lui, est en train de construire... Dory Chamoun répond calmement: «Je n’ai rien à voir dans le contrat de vente. Mais de toute façon, toutes les maisons de Deir el-Kamar me sont ouvertes». Il accuse ensuite la liste rivale d’avoir pour unique slogan: «Ôte-toi de là que je m’y mette». Dory Chamoun affirme que s’il est élu, il ne sera pas un président de la municipalité absent et qu’il entend exercer ses fonctions totalement. «J’ai d’ailleurs de nombreuses idées pour le développement de la bourgade et je n’ai pas l’habitude de faire les choses à moitié». Ce n’est certes pas ce que pensent ses adversaires qui affirment qu’il ne sera jamais là et que ce sera le vice-président qui exercera effectivement toutes les fonctions. Ils accusent aussi le leader du PNL de maintenir la tutelle joumblattiste sur Deir el-Kamar, à travers son alliance avec Joumblatt. Chamoun lui est catégorique: «Il n’y a aucune tutelle sur Deir el-Kamar, sauf, peut-être, celle de Notre-Dame du Tell». La loi prévoit qu’un président de la municipalité doit présenter sa démission deux ans avant l’échéance législative s’il compte s’y présenter. «C’est encore trop tôt, répond M. Chamoun. Il faut d’abord voir comment je serai élu. Si je suis minoritaire, comme le souhaitent les fonctionnaires de Damas, ce sera une chose et si ma liste sera majoritaire, c’en est une autre...». A 17 heures, il y a encore foule le long de la route principale de Deir el-Kamar. C’est l’heure des pronostics, même si ce n’est pas encore celle des bilans. L’esprit sportif, le Dr Merhej, qui a à ses côtés Fadlallah Nassif, lance: «Quelle que soit l’issue de cette bataille, dans quelques heures, il y aura un nouveau conseil municipal et nous irons féliciter les vainqueurs. Ce qui compte, c’est l’intérêt de notre localité et, en ce qui nous concerne, élus ou non, nous continuerons à y travailler». Deir el-Kamar ne sera donc pas divisée. La merveilleuse localité du Chouf, jadis capitale administrative de la région, passera finalement le cap de ces élections sans trop de dommages, même si la bataille a été rude et si, à beaucoup d’égards, les points de repères traditionnels ont disparu. Chamounisme, modernisme, joumblattisme, partis, courants, familles, carrières politiques et leaderships locaux, tous ces enjeux étaient hier présents à Deir el-Kamar, mais enrobés toujours de l’attachement quasi-viscéral des habitants envers leur village...
Deux localités, deux symboles, une même bataille. Epargnée (relativement) par la guerre de la montagne, Deir el-Kamar a longtemps été l’image de la présence des chrétiens au Chouf, et Damour, au contraire, a été la première localité de la région à vivre un terrible exode. Aujourd’hui, l’une et l’autre se sont lancées dans la bataille municipale, sur fond de...