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Actualités - REPORTAGE

Société - Le changement vu par les jeunes Avoir un avenir au Liban, principale attente des étudiants (photo)

Marginalisés au cours des régimes précédents où leur force incontrôlable était perçue comme une menace, les jeunes ont été les premiers à aspirer au changement. Conscient de leur état d’esprit, Émile Lahoud a promis de les faire participer à la vie politique dès son élection à la tête de l’État, le 15 octobre dernier. Mais ces paroles suffisent-elles à redonner de l’espoir à une jeunesse souvent brimée et déçue ? Qu’attendent réellement les jeunes du nouveau président et les premières initiatives du régime correspondent-elles aux promesses faites il y a un peu plus d’un mois ? Peu habitués à s’exprimer, les jeunes ne savent pas formuler leurs impressions. Mais en dépit des arrestations du 10 décembre dernier, ils n’ont rien perdu de leur enthousiasme. S’ils se sentent un peu perdus, ils aspirent surtout à avoir un avenir, à être reconnus et à participer aux décisions. Comme les jeunes de tous les pays, les universitaires du Liban rêvaient d’un changement radical. Mais lorsqu’on leur suggérait de lutter pour l’obtenir, ils hochaient la tête d’un air blasé, laissant entendre qu’au Liban, rien ne peut être fait, de puissantes forces extérieures tirant toutes les ficelles. De l’expérience de l’an dernier (les manifestations spontanées de janvier 1998), ils gardent un souvenir amer, une impression d’échec. «Nous sommes descendus dans la rue spontanément pour défendre la liberté d’expression. Résultat : les aounistes, les geageaistes, les communistes, les intégristes et les autres se sont disputés entre eux, chacun voulant récupérer le mouvement. Et il n’y a plus jamais eu de suivi», commente Jihad qui a perdu un peu de son bel optimisme. «Nous sommes descendus dans la rue, nous avons brisé l’interdiction de manifester, et après?», ajoute Nada, étudiante en architecture. Aujourd’hui, la situation a changé, la lutte contre la corruption fait partie des priorités du régime et il n’est plus interdit de manifester alors que le chef de l’État en personne a promis aux jeunes de répondre à leurs aspirations. Du coup, ils se sentent un peu déboussolés. Car si l’attitude à adopter est facile face à un pouvoir oppresseur, dont le mode de gouvernement est plein de lacunes, il est beaucoup plus difficile de se positionner face à un régime qui tient le langage des jeunes et s’engage à répondre à leurs aspirations. Pour certains, c’est un peu comme si on leur avait volé leur crise de révolte alors que d’autres, les plus nombreux, ne cachent pas leur enthousiasme. Et d’autres, enfin, ne croient pas beaucoup aux belles promesses, préférant attendre. Face à ce changement de données et de langage, sans parler du style, les jeunes n’arrivent donc pas à se forger une opinion claire. D’autant qu’ils ne savent pas toujours ce qu’ils veulent. Pressés de dire ce qu’ils attendent du nouveau régime, ils commencent par lancer des slogans, les mêmes que ceux qu’ils n’ont cessé d’entendre au cours des dernières années. Mais lorsqu’il s’agit de préciser leur pensée, ils ne savent plus quoi dire. «Nous voulons être entendus», affirment-ils. Mais pour dire quoi ? C’est là qu’ils se troublent. Une chose est sûre, l’indépendance et la souveraineté reviennent beaucoup moins fréquemment dans leurs phrases, comme si ce n’est plus une priorité, ou alors ils pensent que le processus est engagé et qu’il n’est plus besoin d’insister. «Nous voulons pouvoir mener une vie décente : avoir un boulot, travailler et penser que le mérite est le seul critère d’avancement», déclare Jad, étudiant en droit. «Nous voulons ne pas nous sentir constamment humiliés, ne pas avoir honte de notre pays, où règne l’anarchie et où le vol est institutionnalisé», affirme Yasser. Avoir un boulot, une égalité de chances et être traités avec respect sont des idées qui reviennent souvent. Le droit de vote à 18 ans fait-il partie de leurs revendications ? La majorité des jeunes pensent que oui. «Bien sûr, c’est très important pour nous. Avec le droit de vote, nous aurons enfin notre mot à dire dans le choix des dirigeants et sur le système en général», souligne Karim, étudiant en architecture. Mais ses camarades ne sont pas tous de son avis. «Qu’est-ce que cela va changer ?, demande Rania. Avant de nous donner le droit de vote, il faut commencer par organiser des élections intègres». Maria, elle, est plus perplexe. «Même si on me donne le droit de voter, je ne saurais pas qui choisir. Car je ne sais absolument rien de la politique. Je ne crois pas avoir la maturité nécessaire pour faire le bon choix. Avec le droit de vote à 18 ans, il faut aussi donner des cours de politique, afin que les jeunes sachent ce qui se passe et puissent connaître les véritables enjeux». Malgré ces doutes, la grande majorité des jeunes est satisfaite de voir que le droit de vote à 18 ans, lancé comme une simple idée au cours du précédent mandat, puis mis en forme en un projet de loi par l’ancien ministre Bahige Tabbarah, est en train de devenir un projet sérieux, puisque le président du Conseil Sélim Hoss en a expressément parlé devant le Parlement. Mais le principal problème des jeunes est le sentiment de ne pas pouvoir s’entendre entre eux. «À quoi bon protester, revendiquer ou agir simplement, alors que nous sommes incapables de mettre au point un programme commun?», s’écrie Denise. «Il faudrait d’abord commencer par nous regrouper», répond Jihad, exprimant ainsi l’opinion unanime. L’an dernier, lors des manifestations spontanées, les étudiants ont commencé par se sentir des âmes de héros en descendant dans la rue, bravant ainsi les interdits d’un pouvoir tentaculaire. Puis ils ont été pris de dégoût par les multiples tentatives de récupération et par les conflits entre les étudiants eux-mêmes. Cette expérience les a un peu découragés de mener une action commune. C’est sans doute pourquoi, tout en condamnant les arrestations de militants aounistes le 10 décembre dernier, ils ne se sont pas sentis prêts à descendre dans la rue ou à mener la moindre action de protestation. D’ailleurs, ils n’ont plus très envie, aujourd’hui, de se révolter «On ne peut plus se rebeller contre un pouvoir qui n’est ni oppresseur, ni corrompu,. tente, d’expliquer Maria. Mais où se positionner?». C’est la grande question. Ayant reçu un grand bol d’oxygène à travers les deux discours du président Lahoud (le 15 octobre et le 24 novembre), ils ne savent pas comment traduire concrètement leur impression et se contentent de rêver à un avenir. «Si le nouveau régime parvient à nous ôter de la tête l’idée de construire un futur à l’étranger, il aura réussi», s’exclame Chadi, étudiant en droit. Avec ses camarades, il commence à envisager la possibilité de rester au pays. Comme si, enfin, il y avait des choses à faire, sur place. Le changement, c’est peut-être cela.
Marginalisés au cours des régimes précédents où leur force incontrôlable était perçue comme une menace, les jeunes ont été les premiers à aspirer au changement. Conscient de leur état d’esprit, Émile Lahoud a promis de les faire participer à la vie politique dès son élection à la tête de l’État, le 15 octobre dernier. Mais ces paroles suffisent-elles à redonner...