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Actualités - ANALYSE

Changement au Levant

Tout au long de ces dernières années, de nombreux Libanais ont fait assumer à la Syrie, à tort ou à raison, une grande part de responsabilité dans la réduction de la vie politique à sa plus simple expression et dans la déliquescence des institutions de l’Etat. Le système était dénaturé par la disparition des frontières entre les différents pouvoirs, par un clientélisme insolent, par une corruption effrontée, par un autoritarisme stupide et par une indécente injustice sociale. Aujourd’hui, un processus de changement est enclenché avec l’élection d’Émile Lahoud et le retour de Sélim Hoss à la tête du gouvernement. En attendant de connaître les limites du changement promis, on ne peut que s’interroger sur le rôle de Damas dans ces bouleversements et dans l’amorce de l’assainissement des mœurs politiques. Si la Syrie n’a pas provoqué ces événements, elle les a sans doute encouragés. Mais pourquoi a-t-elle radicalement modifié son approche, alors qu’il y a trois ans, elle avait choisi de perpétuer un état de pourrissement malsain en soutenant la prorogation du mandat Hraoui ? C’est que les choses sont aussi, et surtout, en train de changer en Syrie même. Ce n’est plus un secret aujourd’hui que le fils du président syrien, le Dr Bachar el-Assad, s’intéresse beaucoup à la chose publique, bien qu’il n’occupe aucune fonction officielle au sein du parti Baas ou des institutions étatiques. Il s’est donné l’image d’un homme transparent, en lutte contre la corruption qui ronge l’Administration syrienne. L’image d’un homme porté sur la technologie, et qui préside l’Association syrienne pour l’informatique, laquelle a introduit-timidement il est vrai et à titre expérimental seulement- le réseau Internet à Damas. Cela fait un an que l’on parle du changement en Syrie. Le limogeage en février dernier du frère du président el-Assad, Rifaat, du poste de vice-président, et son exclusion du parti Baas avaient été perçus comme des signes avant-coureurs de ce qui allait se produire. Et les importants remaniements effectués par le chef de l’Etat syrien début juillet à la tête de l’armée et des Renseignements généraux étaient venus confirmer cette thèse. Le chef d’état-major, Hikmat Chéhabi, avait été remplacé par le général Ali Aslan, «plus jeune et très proche de Bachar», selon le commentaire, à l’époque, d’un diplomate arabe basé à Damas et qui avait requis l’anonymat. La volonté de rajeunir l’élite politique et les cadres dirigeants est apparue aussi lors des dernières élections législatives en novembre avec une moyenne d’âge de 45 ans au Conseil du peuple (Parlement). Ce changement en douceur s’est surtout traduit par un basculement du centre de gravité du dossier libanais au sein du régime syrien. Le vice-président Abdel-Halim Khaddam, qui exerçait un quasi-monopole sur les affaires libanaises, s’est vu supplanter, petit à petit, par Bachar el-Assad. Celui-ci a monté ses propres réseaux au Liban, choisissant ses amis parmi la génération de jeunes politiciens, et entretenant d’excellents rapports avec ceux qui sont réputés pour leur intégrité. Bachar el-Assad a tenu à faire part de son soutien au nouveau régime libanais en venant féliciter le président Émile Lahoud au Bain militaire quelques jours après son élection et en visitant, le jeudi 24 décembre, le président Sélim Hoss au Grand Sérail. À travers le soutien qu’il apporte aux nouveaux dirigeants, c’est aussi le programme qu’ils se proposent de mettre en œuvre que Bachar el-Assad veut appuyer. Transparence et lutte contre la corruption sont en effet les mêmes slogans brandis par le fils du président syrien dans son pays. «Si ce programme réussit au Liban, il aura alors de grandes chances de réussir en Syrie», déclarait récemment un membre de la direction du Baas lors d’une rencontre avec un groupe de professeurs d’universités et d’intellectuels libanais. Le Liban a-t-il donc retrouvé son rôle de «laboratoire du monde arabe»? «C’est en Syrie que le véritable changement est en train de se produire, a expliqué à des interlocuteurs qui n’en revenaient pas ce haut responsable du parti au pouvoir à Damas. Transparence, lutte contre la corruption et davantage de démocratie sont les principaux objectifs de Bachar el-Assad». Selon lui, les dirigeants syriens sont très inquiets de l’exacerbation des sentiments confessionnels au Liban. Ce phénomène constitue, à moyen terme, un grave danger pour la stabilité du système politique libanais. Pour lutter contre la montée du confessionnalisme à tous les niveaux de la société, certains responsables syriens pensent qu’il faudrait encourager les partis à assumer le rôle qui devrait être le leur dans la vie politique. On comprend mieux, dès lors, la réunification, sous l’égide de Damas, du Parti syrien national social (PSNS), douze ans après la scission. Pour analyser pertinemment ce qui se passe actuellement au Liban, il faudrait donc suivre attentivement l’évolution de la situation en Syrie. Après la tornade des dernières décennies, un vent de changement souffle enfin sur le Levant.
Tout au long de ces dernières années, de nombreux Libanais ont fait assumer à la Syrie, à tort ou à raison, une grande part de responsabilité dans la réduction de la vie politique à sa plus simple expression et dans la déliquescence des institutions de l’Etat. Le système était dénaturé par la disparition des frontières entre les différents pouvoirs, par un...