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Actualités - DISCOURS

La mission Lebret au Liban (1959-1964) Qu'en est-il après plus d'un tiers de siècle ?

Une journée de mémoire, bilan et prospective sur le thème : «L’économie humaine et la dynamique du développement à l’heure de la mondialisation», a été organisée récemment au palais de l’Unesco à Paris, par les Amis du père Lebret, le Centre Louis Joseph Lebret, Irfed, et Économie et Humanisme. Riche en rencontres, projets et prospectives, enracinés dans la vision de Lebret d’une «économie pour tout l’homme et tous les hommes» et d’un «développement solidaire à l’heure de la mondialisation», la journée a donné l’occasion à M. Boutros Labaki, vice-président du CDR, de prononcer une allocution dont nous reproduisons ci-dessous le texte : «En 1959, le général Chéhab, nouveau président de la République libanaise, fait appel au père Lebret sur le conseil de Monseigneur Jean Maroun, délégué permanent du Liban à l’Unesco. Le général Chéhab, qui avait été pendant une quinzaine d’années (1943-1958) commandant en chef de l’armée libanaise, était un militaire sensible aux disparités économiques, sociales et régionales au Liban, de par le contact quotidien qu’il avait avec ses hommes de troupe provenant pour la plupart des régions périphériques pauvres du Liban. Cette conscience sociale se doublait d’une conscience politique des conséquences déstabilisantes pour le Liban du maintien et de l’aggravation de ses disparités régionales qui pourraient être exploitées pour faciliter l’intervention d’acteurs politiques extérieurs dans les affaires intérieures libanaises. L’intervention de l’Irfed dirigé par le père Lebret avait été requise pour une mission de diagnostic socio-économique, puis pour la préparation d’un plan de développement. Le père Lebret avait connu le Liban 40 ans plus tôt en tant qu’officier de marine. Au cours de la mission de 1960-1964 un inventaire complet de la situation économique et sociale, globale, par secteur et par région est préparé et les «besoins et possibilités de développement» sont synthétisés. Une proposition de plan de développement est présentée au gouvernement libanais en 1964. Pendant cinq ans, l’équipe l’Irfed, dirigée par Raymond Delpart, travaille avec des Libanais dans différents domaines : avec des fonctionnaires, avec des groupes de réflexion, des think tanks, des brain-storming, des groupes autour de la revue Développement et Civilisation et d’autres. L’Irfed et ses travaux suscitent le développement d’une conscience des disparités sociales, des déséquilibres sectoriels et des disparités de développement régional au Liban. Les enquêtes de Raymond Delpart sur les niveaux de vie par région (1960 et 1970) ont les mêmes effets. Une série d’opérations de réforme, de modernisation, de développement local et régional dans l’administration, la fonction publique, les régions rurales pauvres et périphériques, est menée. Elle est accompagnée par une série d’actions au niveau de la formation des fonctionnaires et des cadres de développement, des travaux d’équipement public (eau, électricité, routes, téléphone, écoles publiques, dispensaires publics, projets de développement agricole : Plan Vert,…) ainsi que de la création d’institutions publiques (Banque du Liban, Conseil de la Fonction publique, Inspection centrale,…). Le plan préparé par la Mission Irfed exprimait de façon synthétique les idées maîtresses de Lebret et les constatations de la mission Irfed dans un document d’ensemble cohérent. Ces orientations étaient en conformité avec celles des pouvoirs publics : en effet le président Chéhab souhaitait fortement que le Liban se réforme et se modernise dans un cadre de justice sociale et de développement harmonisé qui embrasse tous les Libanais: toutes les régions, toutes les catégories sociales, tous les secteurs et surtout les plus défavorisés d’entre eux. Pour beaucoup, Lebret fut une lueur d’espoir pour un Liban plus moderne, plus juste, plus équilibré. Cependant en 1964, en fin de mission de l’Irfed et du mandat du président Chéhab, la majorité des élites libanaises, les plus puissantes de l’époque (politiciens, hommes d’affaires) refuse les réformes et les propositions du plan de développement proposé par Lebret. Lebret termine sa mission et quitte le Liban. Le plan de développement de l’Irfed est combattu, diminué, réduit, les réformes proposées sont peu à peu vidées de leur contenu. Les gens qui avaient cru en une réforme inspirée par le travail de l’Irfed au Liban sont dans le désarroi. Un retour en arrière est opéré, préparant le terrain à la situation qui permet aux interventions extérieures régionales et internationales d’embraser et de détruire le Liban dix ans après, dès 1975. Cependant des élites plus jeunes, plus dynamiques : des intellectuels, des syndicalistes, des mouvements politiques, estudiantins, des enseignants, des hommes de religion d’appartenances diverses sont fortement marquées par les réalités que Lebret a mises en relief : les inégalités sociales et régionales, les déséquilibres sectoriels. Ces faits qu’il a mis à nu et ses thèses sont dans les programmes de partis politiques et de différents groupes syndicaux, professionnels, culturels et intellectuels. Et finalement après 15 ans de guerres régionales, internationales et locales sur le territoire libanais (1975-1990), de grandes options de Lebret passent dans le nouveau préambule de la Constitution, où il est mentionné que : – La justice sociale est un des fondements de la République libanaise. – Le développement équilibré des régions aux plans culturel, social et économique est un des fondements de l’unité et de la stabilité de l’État. Au Liban, en fin 1998, actuellement, dans un Liban qui se reconstruit, qui panse ses plaies, la pensée de Lebret est omniprésente, mais à la manière de Monsieur Jourdain, beaucoup de gens sont «lebretistes» sans le savoir. Cette conception d’une économie pour tout l’homme et tous les hommes est à nouveau à l’ordre du jour dans les programmes politiques, syndicaux, des organisations sociales et culturelles. Les réformes administratives, économiques et sociales, le développement équilibré, sont aussi à l’ordre du jour. La croissance économique prônée par divers acteurs sociaux (syndicats, Ong, politiciens, médias, etc.) est une croissance qui ne sacrifie pas l’homme, qui insiste sur ses besoins fondamentaux : non seulement sur la croissance des revenus, mais aussi sur ses droits fondamentaux : – Le droit à l’éducation et à la formation pour tous. – Le droit à la santé pour tous. – Le droit au logement pour tous. – Le droit à l’emploi et à la participation à la vie économique. – Le droit à la participation à la vie publique locale, professionnelle, communautaire et nationale pour tous. Ce serait une belle revanche pour Lebret que de voir les causes pour lesquelles il a combattu au Liban être actuellement largement adoptées : car Lebret quitte le Liban en 1964 avec beaucoup d’amertume de voir ces plans sur lesquels il avait travaillé pendant des années rejetés et combattus. Mais Lebret n’était pas homme à chercher des revanches, c’était un homme aimant à sa manière, un être humain dans la plénitude du sens de ces mots. Et le Liban lui doit beaucoup»-.
Une journée de mémoire, bilan et prospective sur le thème : «L’économie humaine et la dynamique du développement à l’heure de la mondialisation», a été organisée récemment au palais de l’Unesco à Paris, par les Amis du père Lebret, le Centre Louis Joseph Lebret, Irfed, et Économie et Humanisme. Riche en rencontres, projets et prospectives, enracinés dans la vision...