Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Société - De nombreux villages vivent dans une pauvreté effarante Akkar : salée ou polluée, l'eau source de beaucoup de malheurs (photo)

Au village de Cheikh Zennad au Akkar, des gens de condition très modeste sont obligés d’acheter de l’eau souvent polluée pour boire. Double crime à leur encontre : les canalisations d’eau potable sont soit inexistantes, soit inopérantes. L’eau souterraine qui passe sous le village (et que les habitants peuvent pomper) est si salée qu’elle s’apparente plus à l’eau de mer qu’à l’eau potable. Dans cette région où l’État est aux abonnés absents, les habitants sont donc obligés de remplir des citernes ou des bacs de propreté douteuse pour s’approvisionner en eau, sans compter le chaos des puits et des systèmes de pompage. Évidemment, le problème de la salinité de l’eau est commun à la majorité des régions côtières du Akkar (le taux culmine à Cheikh Zennad où il atteint 13 mS/cm, alors que la limite acceptable est de 1 mS/cm). Mais aucune solution n’est en vue, même pour l’eau d’irrigation qui alimente les fermes environnantes et les cultures, appartenant aux députés et aux grands propriétaires terriens de la région. La moitié environ des habitants de Cheikh Zennad sont régulièrement hospitalisés (ils ne jouissent d’aucune protection sociale bien entendu). En une seule année, trente à quarante hospitalisations pour ma seule famille !, affirme le père, qui tient à garder l’anonymat. «Nous souffrons régulièrement de toux, malaises et maux de tête», précise-t-il. Pointant vers le fleuve Oustouane (qui passe à proximité du village et se déverse dans la mer) un index accusateur, ce même habitant dit : «Toutes nos maladies et tous nos malheurs viennent de là. Ce cours d’eau est pollué par du pétrole et des ordures. L’État nous interdit de le nettoyer mais ne s’occupe pas de cette affaire non plus. Quand le vent souffle du côté de nos maisons, les odeurs sont insupportables». Quelles sont les raisons de la salinité excessive de l’eau ? Il y en a trois principalement : l’extraction du sable sur la côte, les marais salants sans protection de béton et le pompage ininterrompu de l’eau pour les besoins de l’agriculture. Le résultat est désastreux : une très grande partie des nappes phréatiques est salée, sans compter la pollution microbiologique due au déversement des égouts qui affecte ces eaux comme celles du reste du pays, d’ailleurs. Cheikh Zennad est un village pauvre à quelques kilomètres de la frontière syrienne. Si ses problèmes sont ceux de la plaine du Akkar en général, ils y prennent souvent une dimension plus importante. L’extraction du sable et de roches sur les côtes de Cheikh Zennad a pris des proportions effrayantes pendant la guerre. Ce sont quelques familles du village qui ont vendu le sable comme matériau de construction. Les traces de ces abus sont visibles sur la côte. M. Jalal Halwani, ingénieur chimiste et professeur à l’Université libanaise, qui a mené avec son collègue, M. Monzer Hamzé, une étude sur la pollution chimique et microbiologique des eaux souterraines du Akkar, pense que ces excavations ont totalement changé la morphologie de la côte et provoqué une intrusion saline dans le cours du fleuve Oustouane, dont l’embouchure se trouve à ce niveau-là, et dans l’eau souterraine. Par ailleurs, M. Halwani ne déplore pas seulement la salinité de l’eau, mais aussi la haute teneur en nitrates qui peut avoir une incidence négative sur la santé humaine. M. Khaled Ouayed, directeur de l’unique école gouvernementale du village, explique qu’«il y a dix ans, la situation au village était effrayante, l’eau menaçant de tout envahir et de détruire nos maisons». «Actuellement, dit-il, des pierres ont été placées pour contenir les vagues et la marée et arrêter l’intrusion saline. Par ailleurs, la gendarmerie s’efforce de protéger le littoral qui commence à se reformer». Selon M. Halwani, «la côte va se reconstituer mais sa morphologie est définitivement changée puisqu’elle va passer d’une nature rocheuse à une nature sablonneuse». Marais salants pollueurs Cependant, M. Ouayed pense que la raison principale de la salinité excessive de l’eau vient des marais salants avoisinants dont la moitié environ ne sont pas construits selon les normes, donc sans protection de béton. De plus, si ces salines ont un fond de sable, l’eau salée s’introduit facilement dans les nappes phréatiques. En effet, il est aisé de constater que des 40 hectares environ de marais salants, la moitié n’est pas construite avec du béton. Cela est probablement dû au coût élevé de la construction que les propriétaires, appartenant aux grandes familles du Liban-Nord, ne sont pas disposés à payer pour protéger la région. M. Ouayed nous précise : «Nos aînés n’ont pas perçu la gravité de la situation et n’ont pas protesté, par peur aussi peut-être». La troisième cause de la salinité de l’eau est le pompage excessif dans les fermes environnantes. À titre d’exemple, dans les terres d’un député de la région, quatre puits pompent l’eau à intervalles réguliers. Selon les analyses de M. Halwani, seul un puits a un taux de salinité acceptable, les autres dépassant quatre à cinq fois la norme. «Le sel est néfaste pour les plantations et, de plus, son surplus s’infiltre dans le sol et jusqu’aux nappes phréatiques. De tels taux de salinité ne sont pas conformes aux normes internationales pour l’irrigation», explique-t-il. M. Halwani explique la salinité excessive dans ce cas par «l’inversion de charges entre le potentiel de la Méditerranée et celui de la nappe». Quand on dit que le Akkar est une région privée de tout, force est de constater, une fois sur place, que la vérité est encore plus douloureuse. Pourquoi donc les habitants les moins nantis du pays sont-ils obligés d’acheter les services que l’État est supposé leur procurer, ce même État qui ne leur assure même pas les conditions de vie les plus élémentaires ?
Au village de Cheikh Zennad au Akkar, des gens de condition très modeste sont obligés d’acheter de l’eau souvent polluée pour boire. Double crime à leur encontre : les canalisations d’eau potable sont soit inexistantes, soit inopérantes. L’eau souterraine qui passe sous le village (et que les habitants peuvent pomper) est si salée qu’elle s’apparente plus à l’eau...