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Actualités - OPINION

Journée du souvenir et de la revendication

24 avril, journée du souvenir pour les Arméniens. Journée de la revendication, aussi. Inlassablement, obstinément, les Arméniens du monde entier continueront à marteler par ces mots la conscience de ceux qui détiennent les rênes de la justice de ce monde. Qu’espèrent-ils au juste? Réveiller tout d’abord l’indifférence des grands de ce monde, qui tiennent en main le sort de l’humanité et qui assistent, en témoins ou en complices, en cette fin de XXe siècle, aux massacres ethniques ou religieux perpétrés impunément, ici ou là, en face du monde dit civilisé. Rappeler ensuite aux descendants des auteurs des massacres de 1915 que reconnaître le crime commis par leurs aïeux n’est pas un acte vil ni une trahison envers la patrie, mais un geste que seuls les courageux peuvent se permettre de faire. Le monde entier a apprécié le geste du chancelier allemand qui se prosterna devant le monument aux juifs de l’holocauste. L’Eglise, même si elle n’a trempé ni de près ni de loin dans les crimes de Hitler, a reconnu par la bouche de certains de ses membres les plus éminents qu’elle aurait pu peut-être sauver plus de juifs si elle avait élevé plus haut sa voix pour condamner le nazisme. Les Arméniens ne sont pas un peuple revanchard, mais ils ne peuvent se résigner à voir effacer une page de leur histoire et, avec elle, un des événements les plus dramatiques de leur existence. Ils ont mené une guerre contre les Perses en 451 pour sauver leur patrie et leur foi, en sacrifiant les milliers des leurs dans une guerre perdue d’avance. Mais ils ne revendiquent rien aujourd’hui des Iraniens, car cette défaite militaire ne les a pas empêchés de vivre sur leurs terres et d’adorer leur Dieu. Il s’agit de tout autre chose dans le cas des victimes des massacres arméniens de 1915. Il s’agit de l’exécution d’un plan d’extermination mené contre tout un peuple pacifique, dont le seul tort était de vouloir farouchement garder son identité nationale et la foi de ses ancêtres. En d’autres termes, de ne pas se résigner à se désintégrer, à fondre dans un environnement ethnique dont il ne partage ni la culture, ni l’histoire, ni la religion. Les auteurs du crime ont toujours nié l’existence d’un plan de destruction massive d’un peuple, en camouflant le crime de génocide planifié sous la prétendue répression d’une révolte. Cette thèse a été largement réfutée non seulement par les auteurs arméniens mais surtout par le témoignage de diplomates et d’historiens occidentaux. «La négation du génocide, dit Yves Ternon, engendre chez les Arméniens une crise d’identité: elle les dépossède de leur sentiment d’appartenance et est vécue comme une seconde mise à mort. Paradoxalement, cette nouvelle destruction de ses racines contribue au réveil de la conscience arménienne... Les survivants et les descendants des victimes sont replacés dans une position de défense: ils sont sommés de faire la preuve des préjudices qu’ils ont subis...» (1) Nul aujourd’hui, à part les héritiers de l’empire Ottoman, n’ose récuser aux Arméniens le droit de faire la lumière sur les torts immenses en biens et en âmes qu’ils ont subis par voie de ces persécutions. Quel peuple le ferait-il sans être taxé de capitulation facile, même s’il s’agit d’un combat à forces inégales? Les Arméniens ne jouissent pas, il est vrai, des avantages politiques et médiatiques que leur vis-à-vis déploie pour nier un fait historique irréfutable. Mais ils possèdent une arme qui ne devrait pas tarder à porter ses fruits: une volonté farouche de ne pas céder à la résignation, conscients qu’ils sont de la détermination du gouvernement turc à ne faire aucune concession quant à la reconnaissance du génocide. Ce serait pourtant tout à son honneur de le faire, car il se démarquerait ainsi de l’attitude adoptée par ceux qui avaient froidement planifié les massacres et dont l’un se vantait devant l’ambassadeur Morgenthau: «Nous avons déjà liquidé la situation des trois quarts des Arméniens (...) Il nous faut en finir avec eux, sinon nous devrions craindre leur vengeance» (2). Non, il ne faut pas craindre la vengeance des Arméniens, car il n’est pas dans leur intention de semer la terreur et de faire couler le sang des descendants de leurs meurtriers. Ce qu’ils veulent, c’est de voir réhabilitée la mémoire de leurs martyrs, qui ne sont pas tombés sur un champ de bataille en combattant leurs ennemis, mais, citoyens pacifiques et loyaux du pays, ils ont été surpris par une armée forte déterminée à les exterminer à tout prix. Les survivants dépouillés de tout, déportés vers des destinations inconnues, ont cependant ému la conscience d’autres peuples, pour qui l’homme, quelle que soit sa race et sa foi, est une créature de Dieu! Et c’est ainsi que des milliers d’Arméniens ont trouvé refuge dans les pays arabes, Liban et Syrie en tête, y recevant un accueil plus que charitable, s’y intégrant petit à petit, jusqu’à en devenir des citoyens à part entière, en y investissant, à défaut de moyens financiers, au début, leurs talents et la force de leurs bras, en participant activement à la vie sociale et politique, en construisant écoles et associations culturelles, couvents et églises. Les trois communautés religieuses y ont leurs sièges et leurs diverses institutions sociales et caritatives, et déploient leurs activités dans toutes les couches de la société. C’est dire combien ce peuple persécuté a su tirer profit même de ses malheurs, pour reprendre de plus belle, vivre dans la dignité et la prise en charge de sa destinée. En pleurant leurs morts, en honorant leur mémoire, les Arméniens accomplissent chaque année un devoir national qui les incite à persévérer dans la fidélité au message laissé par ces martyrs: où qu’ils se trouvent, ils porteront avec eux l’espérance d’un monde où la justice se fera entendre par la voix des puissants de ce monde, où le respect de la vie des autres l’emportera sur la haine et la violence et le droit à la liberté des peuples sera reconnu et appliqué sans restriction. C’est sur les bases de ces principes que pourra s’instaurer un dialogue fructueux pour arriver à une paix constructive entre les peuples. C’est ce que souhaitent les Arméniens en se souvenant des victimes du premier génocide du XXe siècle.
24 avril, journée du souvenir pour les Arméniens. Journée de la revendication, aussi. Inlassablement, obstinément, les Arméniens du monde entier continueront à marteler par ces mots la conscience de ceux qui détiennent les rênes de la justice de ce monde. Qu’espèrent-ils au juste? Réveiller tout d’abord l’indifférence des grands de ce monde, qui tiennent en main le...