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Actualités - OPINION

Carnet de route L'éternité et les pickpockets

A son oncle, chercheur en Europe et qui interrompit sa carrière pour revenir «servir» dans son Liban natal, Françoise, désormais Libanaise de Paris, avait dit: «Alors, tu quittes le temps pour l’éternité...». Ce n’est pas exactement cette pensée qui accompagna mon retour définitif de France vers Beyrouth. Et si j’ai retrouvé ici, avec la même émotion que jadis, une éternité rimbaldienne (1) irremplaçable, celle du quotidien ne cesse de prolonger le chambardement que les uns et les autres coiffent du doux mot d’«adaptation», et qu’il est plus juste de nommer (ré)acculturation. Et si le lent mimétisme qui me fait sortir en robe de chambre à six heures du matin dans ma rue pour acheter mon journal à la librairie d’en face, comme mes voisins, me prouve que l’on peut être caméléonesque sans tout à fait perdre son âme, le technicien-plombier qui arrive mardi soir pour son rendez-vous du jeudi précédent me fait grincer des dents. Méditerranée? Quel bon dos, cette Méditerranée où, quand le livre commandé arrive, deux mois après la date annoncée, on n’a plus envie de le lire (à supposer qu’on se souvienne encore de l’auteur et du sujet), et où l’on vous annonce qu’on vous envoie par porteur trois télécopies à l’instant, dont vous vous demandez toujours, le lendemain, quelles nécrologies elles vont vous annoncer. Alors, on a beau se référer à Massignon («aimer c’est choisir et choisir c’est exclure»), la chair n’exclut pas sans se mutiler, et tout le monde ne tranche pas comme le grand islamologue... Mais tout ceci n’est qu’affaire de transhumance et de migration. Il n’est pas interdit de migrer hors de l’Histoire si l’on migre avec une histoire propre. Finies les lamentations sur les numéros du téléphone international occupés de 6h à 23h, au moins, bref, finies les affres de l’attente. Bassita... (2) * * * Les détrousseurs de sacs à main emplissent les conversations, éternellement, d’un Beyrouth à l’autre. A la très populaire et nord-africaine station de métro «Pigalle» de Paris, qui vous conduit directement au Faubourg Saint-Germain («Solférino»), des haut-parleurs se sont déchaînés un après-midi de samedi: «Nous prévenons les passagers sur le quai que l’on nous signale des pickpockets (sic) dans la rame que vous attendez, prenez les précautions nécessaires». Bon. Il n’y avait pas de micros dans la rue de Ras-Beyrouth où mon amie s’est fait délester de son sac, à l’arrêt, par un délinquant qui a ouvert la porte du côté passager et emporté tout son magot (cent mille livres, cellulaire, collier fantaisie et papiers d’identité), mais c’est une question de prévention, que la RATP ne parvient que rarement à assurer, et que le Liban n’assurera jamais que par le téléphone arabe. La nuance n’est pas capitale. Alors on peut larmoyer sur la misère «qui pousse au crime». Ceux, nombreux, qui sont chez nous au-dessous du seuil de pauvreté (comparaison n’étant pas raison, ne citons pas les citoyens US qui pâtissent du même statut) font partie des voleurs à la tire, c’est plus que probable, malgré les dénégations des bourgeois bien pensants qui veulent les considérer comme «pauvres mais honnêtes». Et puis il y a tout le reste. Comme partout. Moins qu’à Lagos dans un passé proche, plus qu’en Suisse, dans le canton de Berne par exemple. Et puis, il y a ceux, nombreux, qui s’enrichissent, de prébendes ou de concussions, de deniers de divers cultes, ou de rentes d’Etats étrangers. Ces enrichissements ont le mérite de pouvoir s’analyser, contrairement à ceux des voleurs de dames. Il ne faut pas en avoir honte. Ni se laisser fausser le jugement par un idéal d’égalisation. Des très riches, des très pauvres. Comme partout dans les pays en développement. Ailleurs, si c’est mieux, c’est que les régimes démocrates sont plus exigeants, donc le camouflage un peu moins menteur. * * * Nous sommes-nous tant éloignés de l’éternité? Nous aurons d’éternels détroussages, et d’éternels dessous de table somptueux, tant que ce pays ne changera pas. Du dedans. Jusqu’à quand cautionné, à ce niveau, par le dehors? En parlant de sacs à main, mon amie Claire, agrégée contrariée par l’amour de ses enfants, me dit: «C’est bon signe, il reste donc encore quelque chose à voler au Liban...». Cynique ou pertinente? (1) «Elle est retrouvée. Quoi?-L’Eternité. C’est la mer allée Avec le soleil». (Rimbaud) .... (2) Qu’importe, en arabe dialectal.
A son oncle, chercheur en Europe et qui interrompit sa carrière pour revenir «servir» dans son Liban natal, Françoise, désormais Libanaise de Paris, avait dit: «Alors, tu quittes le temps pour l’éternité...». Ce n’est pas exactement cette pensée qui accompagna mon retour définitif de France vers Beyrouth. Et si j’ai retrouvé ici, avec la même émotion que jadis, une...