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Actualités - ANALYSE

Naturalisation - Une menace pour les spécificités du pays Le spectre de l'implantation palestinienne resurgit

Mardi 21 juin. Avec stupeur, les ministres entendent le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, annoncer aux parlementaires réunis pour un débat de politique générale l’octroi de la nationalité libanaise à des dizaines de milliers de chrétiens et de musulmans. «Le chef de l’État, le ministre de l’Intérieur (M. Béchara Merhej à l’époque) et moi-même avons signé le décret sur la naturalisation de tous ceux qui le méritent», annonce-t-il triomphalement. Livides, des ministres chrétiens quittent aussitôt l’hémicycle pour reprendre leurs esprits. Pour eux, le spectre de l’implantation palestinienne venait de resurgir. La veille pourtant, ils étaient réunis en Conseil des ministres au palais de Baabda pour poursuivre l’examen de la loi réglementant le paysage audiovisuel, et personne n’avait cru bon les informer de la signature d’un décret. Leur surprise était d’autant plus grande qu’une commission ministérielle avait été formée pour élaborer un projet de loi sur la naturalisation. Le décret a été signé avant même que la commission ne se réunisse. Il est perçu par l’opinion chrétienne comme une atteinte à l’équilibre national et un prélude à l’implantation des Palestiniens. Aujourd’hui encore, ce qu’on appelait jadis l’Est politique refuse de baisser les bras. Et ce n’est pas la promesse d’un nouveau décret (visant à rétablir un équilibre communautaire rompu par la naturalisation de dizaines de milliers de mahométans) qui pourrait l’inciter à renoncer à une bataille tournant moins autour de considérations d’ordre confessionnel que de données nationales qui déterminent à la longue la présence chrétienne au Liban et de manière générale, la nature même de l’entité libanaise. Il y a d’abord le problème palestinien. En dépit des assertions selon lesquelles les réfugiés ont été exclus de la vague de naturalisation de 1994, il est apparu que plusieurs milliers de ceux-ci, par on ne sait quel miracle, ont pu obtenir la citoyenneté libanaise. Certains avancent le chiffre de 40 000. Mais il est pratiquement impossible de connaître le nombre exact de Palestiniens devenus libanais. Les avocats de la Ligue maronite ont dû jouer aux détectives pour découvrir parmi les étrangers naturalisés ceux qui sont d’origine palestinienne et pour fournir les données qu’ils ont pu recueillir au Conseil d’État. Ce dernier est saisi depuis 1994, comme on le sait, d’un recours en annulation du décret de naturalisation. De l’avis de certains pôles politiques, l’État non seulement a foulé aux pieds la Constitution (qui rejette dans son préambule l’implantation) et la décision de la Ligue arabe interdisant la naturalisation des Palestiniens, mais il a créé de surcroît un grave précédent préjudiciable essentiellement au Liban : il a fourni à l’État hébreu le prétexte idéal pour exiger le maintien des réfugiés palestiniens dans les pays d’accueil, notamment au Liban. «Quel argument le Liban pourra-t-il avancer plus tard aux négociations de paix avec Israël pour refuser de maintenir sur son sol les 400 000 Palestiniens qu’il a accueillis depuis des années ? Le Liban brandira-t-il le texte de la Constitution et les décisions de la Ligue arabe, ou bien se prévaudra-t-il d’une situation socio-économique défavorable?» s’interrogent ces responsables. Force est de constater à ce propos qu’aucun des accords conclus entre l’Autorité palestinienne et les Israéliens ne fait mention des Palestiniens de la diaspora. Mécontentement syrien Selon les informations que ces pôles politiques affirment détenir, la Syrie a mal accueilli, pour les raisons susmentionnées, les nouvelles selon lesquelles des Palestiniens figurent parmi le lot de personnes naturalisées. Sur l’implantation des Palestiniens, les Syriens restent intraitables, assure-t-on de mêmes sources, et cela pour diverses raisons stratégiques. En se démarquant de son voisin, le Liban affaiblit la position de Damas aux négociations de paix avec Israël, surtout pour ce qui a trait au volet palestinien des pourparlers. Les pôles politiques susmentionnés croient savoir que si le Liban a naturalisé des Palestiniens, c’est en échange d’une promesse d’aide internationale pour la réduction du volume de sa dette publique. Il y a près d’un mois, une rumeur a couru, selon laquelle l’État obtiendrait 30 000 dollars pour chaque Palestinien qui serait maintenu définitivement sur son sol. Cette rumeur serait parvenue à Bkerké, déclenchant une levée de boucliers contre le projet de signature d’une annexe au décret de naturalisation. Le président syrien, M. Hafez el-Assad, aurait soulevé avec son homologue libanais, M. Élias Hraoui, qu’il a reçu dimanche dernier à Damas, la question de cette annexe au décret. Aucune information précise n’a pu être obtenue à ce sujet. Mais force est de constater que la détermination officielle concernant la signature de l’annexe a cédé la place à une position plus nuancée. Depuis le début de cette semaine, le bruit court en effet que le dossier des naturalisations serait légué au nouveau régime. Entre ce revirement d’attitude et le dernier sommet libano-syrien, il n’y a qu’un pas que certains observateurs n’ont pas hésité à franchir. «Un peuple parallèle» Mais le danger d’une implantation palestinienne n’est pas le seul motif de l’hostilité chrétienne à l’égard du décret de naturalisation et de l’annexe envisagée. Après tout, le Liban ne compte que près de 4 millions d’habitants et en s’empressant de naturaliser des centaines de milliers de personnes, dont certaines n’ont jamais mis les pieds au Liban (on a bien vu les «fraîchement naturalisés» débarquer dans des bus en provenance de la Syrie pour exercer leur «devoir» électoral en 1996), l’État serait en train de jeter les bases d’un «peuple parallèle» dont l’allégeance n’irait pas au Liban et qui contribuerait à détruire progressivement les spécificités du pays du cèdre. C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’opposition de Bkerké à l’annexe qui prévoit, dit-on, la naturalisation de nombreux chrétiens des pays arabes. L’Église maronite estime que la nationalité libanaise doit être accordée seulement à ceux qui la méritent, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, et non pas à des gens qui ont tout à prendre du Liban, mais rien à lui donner.
Mardi 21 juin. Avec stupeur, les ministres entendent le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, annoncer aux parlementaires réunis pour un débat de politique générale l’octroi de la nationalité libanaise à des dizaines de milliers de chrétiens et de musulmans. «Le chef de l’État, le ministre de l’Intérieur (M. Béchara Merhej à l’époque) et moi-même avons signé le décret sur...