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Actualités - REPORTAGE

Domesticité - Des conditions parfois alarmantes Au Liban, il y aurait des Fatmé un peu partout (photo)

La tragédie vécue par la jeune Fatmé, — la domestique de dix ans maltraitée par ses employeurs à Tripoli — dont le cas a ému l’opinion publique libanaise et internationale, rouvre une plaie bien plus profonde, celle du traitement infligé aux employées de maison, dont le Liban est devenu un grand importateur. Plus d’une centaine de milliers de domestiques de plusieurs nationalités ont déferlé sur le marché libanais au cours des dix dernières années, par le biais d’agences dites de recrutement, devenues pour nombre d’entre elles, de véritable lieux de «trafic de chair humaine». Motivées par des profits importants, ces agences, qui fonctionnent à coups de pseudo-contrats, dont la force et les effets juridiques laissent souvent à désirer, achètent et vendent une main-d’œuvre en oubliant souvent qu’il s’agit d’êtres humains. Venus en terre d’immigration, certains pour nourrir une famille qu’ils ont abandonnée au pays natal, d’autres dans l’espoir d’améliorer leur condition de vie, tous souffrent dans leur corps et âme, en silence, et se terrent dans les coulisses de la peur, craignant de perdre un jour leur unique moyen de subsistance. Ceux d’entre eux qui ont naïvement cru à l’Eldorado, ignorent qu’il se transformera parfois en enfer. Charmila, 19 ans, Sri Lankaise, est rapatriée chez elle en catastrophe en juin 1996. Ayant fui la maison de ses employeurs après que la «dame de maison» eut vidé la bombe d’insecticide sur son visage, Charmila erre dans les rues de Beyrouth, sans papier d’identité et, bien sûr, sans son passeport. Au comble du désespoir, elle tente de se suicider en se jetant à la mar. Elle est sauvée par des agents de sécurité qui la ramènent au poste de police. Elle entre en contact avec une congrégation religieuse qui plaide en sa faveur. Elle est alors ramenée dans son pays aux frais de l’État libanais. Cécile, une Philippine, montre un jour à une dame qu’elle connaît une plaie de 20 cm de profondeur à peine cicatrisée. Elle explique que la maîtresse de maison qui l’avait soupçonnée d’avoir eu des relations avec son mari l’avait «punie» en lui tailladant l’épaule. Les hôpitaux ont fait état à plusieurs reprises d’employées étrangères, hospitalisées après avoir été sauvagement battues, certaines portant des traces de brûlures de cigarettes sur le dos ! Et ainsi de suite ….La liste est longue et des Fatmé, il y en a un peu partout, semble-t-il. Les mauvais traitements que certains employeurs libanais infligent à leurs employées de maison pose le problème des conditions d’emploi qui sont imposées, dès le départ , à ces personnes, ainsi que le mécanisme qui régit leur séjour au Liban. Ayant une connaissance approfondie de la question des «domestiques étrangères», pour avoir suivi et traité plusieurs cas pendant de nombreuses années , Mme Tina Naccache raconte la douleur de ces êtres d’autant plus fragiles et vulnérables qu’ils font un métier extrêmement ingrat, «un travail lié à la solitude» comme elle dit. Prises au piège «Le problème provient du fait que ces personnes ne bénéficient d’aucune couverture juridique et ne sont aucunement protégées par leur contrat, qui reste soumis au code des obligations et n’a rien d’un contrat de travail», explique Mme Naccache. En effet, à part quelques recommandations inspirées du code du travail (un jour de congé hebdomadaire 8 heures de travail par jour) les employées ne bénéficient d’aucune couverture sociale. De plus, les agences qui font venir ces personnes au Liban n’assument aucune responsabilité, une fois les trois mois d’essai révolus. Laissées pour compte, abandonnées au grè de l’humeur de l’employeur qui choisira de régulariser la situation de la nouvelle recrue ou de ne pas le faire (histoire d’échapper aux multiples frais à encourir pour ce genre de papiers), les employées de maison n’ont plus qu’à espérer être «tombées en de bonnes mains». A partir de là, c’est un jeu de poker qui a lieu : ou bien elle vont se retrouver dans un foyer béni, où les maîtres de maison sont de véritables âmes charitables, ou bien alors c’est le début d’un véritable calvaire, qui peut aller du simple ‘abus’, comme celui de ne pas donner à l’employée une chambre indépendante, en passant par la qualité de la nourriture qu’on lui inflige, pour en arriver à des abus plus sérieux tels que l’exploitation de ces personnes, que l’on fait parfois travailler entre 13 et 16 heures par jour, sept jours sur sept, les menaces et la pratique de la violence, le viol et bien entendu, le coup classique de la confiscation du passeport, «ce qui est illégal et que nombre de Libanais ignorent» nous explique Mme Naccache. Mme Naccache affirme avoir traité plus d’une centaine de cas d’employées de maison ayant vécu des expériences extrêmement difficiles, parfois atroces. Interrogée sur la fréquence des viols qui leur sont rapportés, une jeune dame responsable dans une agence de recrutement fait état d’une moyenne de 10% de femmes abusées par leur patrons. «Le plus étonnant, dit-elle, c’est que parfois ce sont ceux que l’on soupçonnait le moins qui commettent ces crimes, dit-elle. Il faut, dit-elle, que le gouvernement s’en mêle et trouve un moyen pour réprimer ce genre d’abus, et protéger les employées» . C’est aussi l’avis de Mme Naccache qui préconise que l’État prenne à sa charge d’organiser lui-même les relations entre employeurs et employées, sans passer par les agences. «L’État, affirme-t-elle, devrait déclarer un moratoire sur l’entrée des employées étrangères, et ouvrir une possibilité pour les “sans-papiers” afin qu’elles puissent régulariser leur situation». Et Mme Naccache de conclure : «Le Liban, qui est tout le temps à la recherche d’une bonne réputation à l’étranger, devrait peut-être commencer par là et prouver à l’opinion internationale (qui nous tient à l’oeil pour ce qui concerne les abus des droits de l’homme) que nous ne sommes pas un pays esclavagiste!» C’est un véritable SOS que nous lance aujourd’hui les différentes ONG libanaises et internationales. Malheureusement, il a fallu qu’un drame révoltant nous rappelle tragiquement la souffrance ignorée de ces êtres, qui sont quotidiennement exposés à la brutalité. L’on doit tout de même souligner que plusieurs d’entre elles connaissent un sort bien plus heureux, et se retrouvent souvent dans des foyers où elles mèneront une vie décente.
La tragédie vécue par la jeune Fatmé, — la domestique de dix ans maltraitée par ses employeurs à Tripoli — dont le cas a ému l’opinion publique libanaise et internationale, rouvre une plaie bien plus profonde, celle du traitement infligé aux employées de maison, dont le Liban est devenu un grand importateur. Plus d’une centaine de milliers de domestiques de plusieurs...