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Actualités - OPINION

Faux débats

Que pense par hasard Monsieur Kofi Annan du mariage civil facultatif? Dans l’univers absurde où l’on s’acharne à confiner les Libanais, la question en vaut une autre et elle aurait très bien pu meubler la conversation, lors des divers entretiens inclus au programme beyrouthin du secrétaire de l’ONU; elle nous paraît moins farfelue en tout cas que tous les poncifs émaillant le discours officiel et que les bizarreries chaque jour plus renversantes d’un comportement politique interne lequel, d’ailleurs, n’a jamais volé bien haut. Moins farfelue en effet, pour deux raisons qui crèvent les yeux. La première est que l’Etat n’a simplement rien à dire à M. Annan: rien, sinon que la résolution 425 du Conseil de Sécurité relative au Liban-Sud stipule le retrait sans délai, sans conditions, sans tambour ni trompette, de l’occupant israélien, un point c’est tout. Qu’il y ait néanmoins là deux parties concernées; que ce n’est pas M. Boueiz, en dépit de ses capacités bien connues, «qui va dire ce qu’on va faire au plan des mesures concrètes» pour reprendre les termes peu charitables de M. Annan, n’était sans doute jamais venu à l’esprit des dirigeants. Dont la stratégie diplomatique s’est confortablement limitée, tout au long des dernières années, à un simple leitmotiv, la 425. Non point bien sûr que cette laconique revendication, noyée sous des flots d’emphatiques péroraisons, n’ait porté quelques fruits, sans même que l’Etat libanais y soit pour beaucoup (de manière active, s’entend). Ainsi, et pour la première fois depuis deux décennies, l’occupant harcelé sans répit par un Hezbollah qui ne prend pas ses instructions de Beyrouth en vient à proclamer quotidiennement son désir de se désengager du bourbier du Sud; quant à l’opinion publique israélienne, elle est massivement convaincue désormais que la «zone de sécurité» aménagée en territoire libanais n’est plus en réalité que source grave d’insécurité. A ce phénomène de lassitude s’ajoute incontestablement, cependant, une bonne part de manœuvre: enchaînant provocation sur provocation face aux Palestiniens, figé dans son refus d’envisager le moindre retrait du Golan syrien, Netanyahu ne dispose que du seul front libanais pour tenter d’accumuler les bons points. Et de faire oublier quelque peu sa sinistre image internationale de saboteur de la paix en multipliant ce qu’il présente comme des concessions: plus de traité de paix, plus même de normalisation, mais «seulement» des arrangements de sécurité à la frontière, en échange d’une évacuation du Sud. C’est sur ce point précis que va tourner la bataille diplomatique qui s’annonce. Et le Liban, de même d’ailleurs que son tuteur syrien, feraient bien de s’y préparer avec un arsenal plus varié et plus étoffé que leur actuelle position de principe: car si dans une large mesure celle-ci a fait son œuvre, il y a lieu de craindre désormais qu’elle ait, aussi, fait son temps. Ne sous-estimons pas en effet les risques d’érosion, et même d’impasse politique, que peut receler tout refus systématique et absolu de la moindre réflexion internationale sur le sujet. Il se trouve déjà des pays amis, et non des moindres, pour faire observer que le terme de «retrait inconditionnel» n’est, à aucun moment, explicitement mentionné dans les résolutions de mars 1978. Et que la résolution 426 entérine un rapport du secrétaire général de l’époque Kurt Waldheim évoquant très explicitement, cette fois, «des arrangements à titre de mesures préliminaires», aux fins d’application de la 425: thèse consignée plus tard (et même concrétisée par une série de séances de pourparlers militaires) par un autre secrétaire de l’ONU, Javier Perez de Cuellar. Comment éviter des écueils de ce genre si la diplomatie libanaise, sans pour autant renier les sacro-saints principes ni ses alliances, ne se décide pas à faire preuve d’un minimum de créativité et d’imagination en opposant aux offres de Tel-Aviv, ne serait-ce que par manœuvre dûment concertée avec Damas, un mécanisme internationalement crédible en vue de la libération du territoire national? Par quel miracle Israël accepterait-il de s’en aller si des mesures n’étaient pas convenues pour instaurer le calme à la frontière (et si l’ennemi s’en allait quand même, dans quel enfer aurait-il sciemment, malignement plongé le Sud et peut-être même l’ensemble de notre pays?). Comment, à la limite, éviter de donner au monde la désastreuse impression que le Liban n’est finalement intéressé à récupérer son territoire occupé que le jour béni où la Syrie aura fait de même du Golan, et qu’autrement ce serait tant pis? Il serait grand temps que l’on se mette à plancher sur tous ces casse-tête, soudain devenus d’une actualité brûlante. Au lieu de cela, à quoi s’occupent donc les hommes qui nous gouvernent ? A jouer — et là réside le second motif de consternation — avec des dossiers d’importance, en vue de gains égoïstement politiques, dans l’évidente perspective de la prochaine élection présidentielle. Importante, la question du mariage civil facultatif l’est assurément et ce serait certes signe d’évolution et de progrès que l’on y vienne un jour, dans le plus grand souci de la concorde communautaire. Mais les dirigeants ne nous ayant guère habitués, d’une part, à l’ouvrage national désintéressé, à l’art pour l’art; le président Elias Hraoui n’ayant jamais laissé transparaître, d’autre part, ses tendances progressistes et libertaires (ou bien, comme à la veille de la reconduction de son mandat en 1995, son intérêt subit pour le cas des candidats à la naturalisation), on voit mal l’urgence qu’il y avait à lancer ce dossier sur la place publique où les premiers signes de surchauffe n’ont d’ailleurs pas tardé à apparaître. Dans ce bazar persan qu’a institué la troïka libanaise, donnant donnant est la règle: c’est bien pourquoi le projet relatif au mariage civil a pour inévitable corollaire la déconfessionnalisation politique prévue par l’accord de Taëf. Par son initiative-surprise lors du dernier Conseil des ministres, M. Hraoui a irrité une bonne partie de l’Islam libanais; mais il ne s’est pas gagné pour autant la sympathie débordante des chrétiens (dont les clergés, de toute manière, ne sont guère chauds pour le mariage civil); lesquels chrétiens en effet ont trop à se plaindre du profond déséquilibre qui affecte le système actuel pour confier au même personnel politique le soin de déconfessionnaliser celui-ci. Ce qui était devenu urgent, en fait, c’était de corriger ce déséquilibre avant de songer même à aller plus loin: au lieu de cela, c’est un thème nouveau qui vient d’être ajouté au certificat occulte d’aptitude imposé aux présidentiables. C’est décidément bien beau, la continuité. Alors vous disiez, Monsieur Annan?... 1
Que pense par hasard Monsieur Kofi Annan du mariage civil facultatif? Dans l’univers absurde où l’on s’acharne à confiner les Libanais, la question en vaut une autre et elle aurait très bien pu meubler la conversation, lors des divers entretiens inclus au programme beyrouthin du secrétaire de l’ONU; elle nous paraît moins farfelue en tout cas que tous les poncifs...