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Actualités - REPORTAGE

L'aviculture libanaise en pleine crise (photo)

Il est étonnant de constater combien un simple plat de poulet peut soudain soulever de problèmes. Des morts en série de volailles dans des fermes de la Békaa et du Liban-Nord, et des rumeurs de maladie notamment de «Newcastle disease» (appelée malencontreusement «tahoun», ou peste en arabe), ont entraîné une appréhension chez le consommateur et une baisse substantielle des ventes qui a fortement touché les éleveurs et les revendeurs. Est-ce un problème pour le consommateur ou le fermier? Quel genre de contrôle le ministère de l’Agriculture exerce-t-il sur les fermes? Les spécialistes et éleveurs interrogés ont tous assuré qu’aucune des maladies observées actuellement dans les élevages de poulets au Liban n’est transmissible à l’homme. Les décès de poulets affecteraient donc seulement les fermiers eux-mêmes dont la situation ne paraît pas rose, car d’autres problèmes les guettent aussi, comme la difficulté de moderniser leurs fermes, les prix bas, ou la concurrence du poulet de contrebande syrien... Enfin, quelles garanties peut-on espérer pour le fermier et le consommateur? C’est dans la Békaa, au village de Brital très exactement, que l’affaire éclate. Un fermier déclare la mort de tout son élevage de volailles, présumant qu’il a été décimé par la maladie de «Newcastle» qui affecte le système immunitaire du poulet. Quelques jours plus tard, une grande quantité de poulets morts est repérée dans un cours d’eau au Koura, au Liban-Nord. Hélas, des échantillons de ces poulets ne sont envoyés au laboratoire que 3 ou 4 jours après leur mort. M. Mansour Kassab, directeur des ressources animales au ministère de l’Agriculture, précise que «les poulets qui ont été envoyés à Fanar étaient en état de décomposition, mais nous croyons qu’ils ont pu être atteints de la maladie de «Newcastle», sachant qu’elle n’est en tout cas pas transmissible à l’homme; quant aux traces de salmonelle trouvées sur les animaux, elles sont plutôt le résultat du pourrissement et on ne peut les considérer comme la cause de la mort». M. Kassab a cependant assuré qu’un contrôle rigoureux des fermes a montré qu’il s’agissait là d’un accident et d’un cas isolé, et qu’aucune maladie transmissible à l’homme n’affecte les poulets au Liban. Et d’ajouter: «Le poulet est un animal très fragile et il est souvent sujet à des maladies saisonnières respiratoires. Il faudrait préciser cependant, une fois pour toutes, que s’il y a un danger quelconque, nous aurions fermé les établissements. Nous sommes des consommateurs, après tout!» M. Nabil Shuman, directeur général des fermes Shuman, insiste sur le fait qu’«il n’y a pas de maladie transmissible à l’homme». «Les réactions étaient trop fortes et ont paniqué les gens, alors qu’il s’agit plus d’une question d’économie nationale que de santé publique», a-t-il ajouté. La maladie de «Newcastle» M. Jean Hawa, propriétaire des fermes Hawa et président du syndicat des éleveurs de poulets, précise que «les poussins devraient être vaccinés contre la maladie de «Newcastle» un jour après leur naissance». Mais, au fait, qu’est-ce que la maladie de «Newcastle»? Malgré l’appellation «peste» qu’on lui donne en arabe, elle n’est en aucun cas comparable à la peste qui affecte les hommes. Quand elle attaque les poulets, leur système immunitaire est affaibli, et ils deviennent vulnérables à toutes les autres maladies, comme les rhumes, qui peuvent devenir fatales. Selon tous les témoignages, cette maladie existe au Liban depuis longtemps, mais elle n’a jamais eu d’incidence sur la santé publique, et les spécialistes s’étonnent du timing de cette campagne. Dans tous les cas, des vaccins existent contre les maladies de poulets. M. Hussein el-Samad, président du syndicat des vétérinaires, nous donne les résultats d’un test effectué sur des poulets trouvés morts: «Le jour même de la découverte au Koura des poulets morts, nous nous sommes rendus sur les lieux et avons prélevé des échantillons. Une autopsie doit être faite dans les 18 heures après la mort, et nous étions dans les délais. Nous avons découvert que ces volailles étaient mortes étouffées, probablement parce qu’elles étaient entassées dans la ferme. Mais leur propriétaire, au lieu de les enterrer ou les incinérer, les a jetées dans le cours d’eau, ce qui est très grave. Nous pouvons cependant certifier qu’il n’y avait pas de trace de maladie, et nous l’avons déclaré dans une conférence de presse». M. Samad conclut: «Nous tenons à tranquilliser les consommateurs: il n’y a aucune maladie contagieuse pour l’homme. D’ailleurs, les vétérinaires sont très soucieux de la santé publique. Si nous apprenons l’existence d’un danger quelconque, nous avertirons le public tout de suite». A propos de la salmonelle, M. Samad assure que «des rapports de la FAO prouvent qu’elle n’existe pas au Liban depuis 1982». Un ingénieur agricole nous explique que «parmi les mille types de salmonelle, seuls deux sont transmissibles à l’homme». Et d’ajouter: «Il ne faut pas paniquer chaque fois que quelqu’un parle de salmonelle. D’ailleurs, il est très difficile que cette maladie passe par le poulet parce que le microbe meurt à la température de 42°, or personne ne mange le poulet cru (à moins de consommer les œufs crus). Par contre, la salmonelle existe dans l’eau, et les hommes peuvent par conséquent être contaminés par les légumes plus facilement que par les poulets». Le contrôle de l’Etat Malgré toutes les assurances fournies par les personnes concernées, ces incidents ont soulevé un problème important, pas nécessairement ponctuel. Qui contrôle la production et le produit fini avant qu’il ne passe au consommateur? S’il y a de grandes fermes réputées, d’autres, comme celles où les maladies se sont déclarées, souffrent apparemment de négligence et de l’ignorance des fermiers. L’Etat joue-t-il son rôle de régulateur dans ce cas? M. Kassab déclare que «le ministère de l’Agriculture opère un contrôle sur les animaux à l’importation». «C’est le ministère qui délivre le permis d’entrée pour les poussins importés», a-t-il précisé. «Nous nous assurons que ces volailles proviennent de pays où il n’y a pas de maladies comme la Newcastle ou la salmonelle. Quant au suivi sanitaire, il est effectué par les autorités locales, les mohafazats. En cas de maladies contagieuses (pour les poulets), les fermes touchées sont mises en quarantaine». M. Kassab a ajouté que «le ministère fait son possible pour instaurer un système de contrôle régulier dans les fermes». Les éleveurs rencontrés ont tous noté l’absence de contrôle régulier du gouvernement, malgré les efforts évidents de l’actuel ministère de l’Agriculture. «L’Etat ne contrôle pas notre production, mais il met à notre disposition un laboratoire pour les tests que nous avons besoin d’effectuer», nous confie un éleveur. M. Shuman considère que «le ministère de l’Agriculture a beaucoup fait pour le secteur de l’aviculture, notamment dans la protection de la production, et dans les statistiques qui ont déterminé les besoins du marché». «Mais il a actuellement besoin de crédits pour prendre d’autres initiatives», poursuit-il. Un éleveur de Batroun cependant soulève un autre point important: «Le contrôle du ministère devrait également se faire au niveau des médicaments importés. Certaines compagnies arrivent à convaincre des fermiers peu éduqués d’acheter des produits qui ne sont pas nécessairement adaptés à leur production, et ils en font mauvais usage», explique-t-il. Le contrôle quotidien et régulier est donc fait par les fermes elles-mêmes. Les grands établissements ont leur propre laboratoire et leurs propres ingénieurs, faisant parfois appel à des experts étrangers. Les fermes plus modestes comptent en général sur les laboratoires des grandes compagnies (surtout qu’elles en dépendent le plus souvent, travaillant avec elles par contrat), ou envoient leurs volailles au laboratoire de l’Etat à Fanar. Mais tous les éleveurs ne sont pas aussi méticuleux... Cependant, il est évident que celui qui néglige sa production est le seul perdant, puisque ses volailles risquent d’être décimées. «Nous sommes équipés d’un laboratoire depuis 2 ans, afin d’effectuer tous les tests nécessaires aux poulets vivants et au produit final, et de rester dans les normes de mortalité internationalement acceptées, c’est-à-dire pas plus de 4 à 5%», nous indique M. Shuman. Nous avons également visité le laboratoire de la compagnie WIRCO à Koura, où l’ingénieur agricole nous a expliqué que des tests sont effectués avant l’injection d’un vaccin ou d’un médicament quelconque, notamment en ce qui concerne la prévention contre la maladie de Newcastle ou la salmonelle. Contrebande syrienne Quel a été l’impact des derniers incidents sur la situation économique des éleveurs de poulets au Liban? La réponse à cette question a été presque unanime: une baisse significative des ventes et des difficultés financières croissantes pour les éleveurs. Un aviculleur de Amchit se plaint: «Les ministères de l’Agriculture et de la Santé ainsi que les syndicats concernés auraient dû réagir plus rapidement pour tranquilliser les gens». Un commerçant de Jbeil nous a assuré que «les ventes ont diminué de 50%». Les grands élevages ont également été touchés. M. Hawa nous a assuré que les ventes de ses fermes ont baissé de 20% la semaine de l’incident, mais qu’elles sont redevenues normales par la suite. Mais les problèmes des éleveurs de poulets ne datent pas d’aujourd’hui. Interrogé sur la situation générale des fermes, M. Kassab a répondu: «Elle est très moyenne. Les éleveurs n’ont pas les moyens de rénover leurs fermes qui sont, en majorité, très anciennes. Or ce n’est qu’en améliorant l’environnement du poussin qu’on peut produire un meilleur poulet et créer les conditions sanitaires idéales». Nous avons eu le loisir de constater au cours de tournées dans les fermes que certaines, les plus anciennes et les plus éloignées notamment, souffraient d’un état de délabrement certain. D’autres paraissent plus modernes, même si elles sont de petite dimension. Elles sont entièrement construites en béton et isolées contre les intempéries. Les éleveurs rencontrés se sont plaints, eux, du manque d’aide et de protection contre les catastrophes, malgré les dernières mesures prises par le ministère pour défendre la production locale. «Le poulet nous coûte environ 1,15 dollar, alors qu’il est actuellement vendu à 85 cents», nous a expliqué un éleveur. Un autre point crucial a été soulevé par toutes les personnes interrogées: «Nous subissons la concurrence déloyale du poulet de contrebande syrien, bien qu’un tel trafic soit interdit selon les accords signés entre les ministères libanais et syrien», nous révèle M. Hawa. Un éleveur nous raconte que les poulets sont entassés vivants ou en pièces dans les coffres de véhicules et introduits au Liban: «Le coût de la production est plus bas en Syrie, et l’introduction de poulets au Liban fait baisser les prix. Il faudrait que la surveillance soit plus vigilante aux frontières». A propos, comment peut-on surveiller l’état de santé des poulets introduits illicitement, d’autant qu’ils arrivent déjà adultes et qu’on ignore le système de contrôle en Syrie? L’avenir de la profession a été décrit comme sombre par les éleveurs. «La situation est catastrophique», nous explique M. Estephan Karam, un éleveur du Batroun. «Si elle ne s’améliore pas, beaucoup de fermes ne pourront pas survivre. En tout cas, les fermiers vont devoir baisser leur production d’environ 60% pour suivre la demande du marché». L’évidente baisse de consommation des Libanais, probablement due à la crise économique, pose également problème aux éleveurs. «Après la guerre, tous les anciens élevages ont repris leur activité, et la production a augmenté alors que la consommation ne faisait que baisser», nous explique M. Hawa. Commentant la question de modernisation des fermes, M. Hawa déclare que «les petites fermes qui ne vont pas se développer ne pourront bientôt plus soutenir la concurrence, car le coût de production y est plus élevé». Mais comment peuvent-elles s’améliorer sans aide financière? «Bien sûr, il y a des problèmes d’argent, mais il y a aussi des problèmes de mentalités et un manque de volonté évident», a-t-il répondu. Quelles sont les solutions qui devraient donc être envisagées et que demandent les éleveurs? L’un d’eux nous a résumé les exigences principales de la façon suivante: un projet de crédit agricole et des facilités économiques pour investir dans ce domaine, un laboratoire de l’Etat mieux équipé, et un contrôle plus rigoureux de la vaccination et des médicaments importés. M. Shuman ajoute: «L’apport de l’agriculture au PIB est de 12%, alors que la part du budget qui lui a été consacrée est de 0,5 ou 0,8% environ seulement, ce qui constitue un déséquilibre évident. Il faut donc un budget plus important de l’Etat. La réactivation de la Banque agricole s’impose également». Quant à M. Hawa, il formule les propositions suivantes: «Arrêter la contrebande et développer la situation économique générale de sorte que la consommation reprenne». M. Samad, président du syndicat des vétérinaires, souligne la nécessité de réduire le coût de production. Si c’est la production du poulet qui a été aujourd’hui remise en cause, il n’en demeure pas moins que toutes les productions agricoles souffrent des mêmes problèmes. Alors que le consommateur devient plus exigeant quant au produit qu’il consomme, le secteur agricole se débat, au milieu d’une indifférence quasi totale, dans des problèmes qui semblent surgir d’un autre âge, et n’arrive plus à faire face à la concurrence, illicite ou non. On se demande dès lors ce qui empêche la création d’un programme complet de redressement de l’agriculture qui comporterait non seulement des aides financières, mais aussi des sessions de formation des éleveurs (qui tombent souvent dans des erreurs par ignorance). En ce qui concerne les maladies des poulets, un éleveur souligne avec humour: «Au lieu d’avoir peur, le consommateur devrait profiter des prix exceptionnellement bas et manger encore plus de poulets!»
Il est étonnant de constater combien un simple plat de poulet peut soudain soulever de problèmes. Des morts en série de volailles dans des fermes de la Békaa et du Liban-Nord, et des rumeurs de maladie notamment de «Newcastle disease» (appelée malencontreusement «tahoun», ou peste en arabe), ont entraîné une appréhension chez le consommateur et une baisse substantielle des...