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Actualités - REPORTAGE

Balkans-Méditerranée : retrouvailles francophones à Athènes

Il est une heure du matin dans un petit appartement au centre d’Athènes. Théodoros Benakis, éditeur et directeur de la revue «La Tribune Hellénique» supervise la parution de la dernière édition du nouveau bimensuel grec francophone. A ses côtés, la jeune et dynamique Clelia Seynave, rédacteur en chef, les yeux braqués sur le PC du maquettiste, apporte une ultime retouche à la mise en page. Une mise en page qui a été remodelée, en même temps que le contenu, pour célébrer une circonstance particulière: «La Tribune Hellénique» a soufflé le week-end dernier sa première bougie, et pour le premier anniversaire de sa parution, elle a tenu à présenter à ses 10.000 lecteurs une formule «rajeunie». Seul périodique fancophone édité en Grèce, «La Tribune Hellénique» fait partie d’un groupe de presse et d’édition, fondé par Théodoros Benakis, qui comprend un mensuel polonais (plus de 70.000 Polonais sont établis en Grèce), un mensuel espagnol et une maison d’édition. Pour fêter sa première année d’existence, le journal a organisé, en collaboration avec l’Institut français d’Athènes, un colloque (ouvert au public) sur la situation de la presse francophone dans la région des Balkans et en Méditerranée. Un éventail restreint de journalistes venant de pays représentatifs avait été choisi pour évoquer ce thème: l’Albanie; la Bulgarie; la Roumanie; la Tunisie et le Liban. «L’Orient-Le Jour» était le seul organe de la presse du Proche-Orient présent à ces retrouvailles francophones entre les Balkans et le sud de la Méditerranée. Egalement présents, le président de l’Union internationale des journalistes et de la presse de langue française (UIJPLF), Abdallah Stouky (Maroc), qui est venu spécialement à Athènes venant de Beyrouth — en compagnie du secrétaire général de l’UIJPLF, M. Georges Gros — au terme du congrès de la presse arabe francophone qui s’est tenu au Liban du 15 au 19 mars. La présence de «L’Orient-Le Jour» à ces retrouvailles francophones entre les Balkans et le sud de la Méditerranée a revêtu un caractère particulier. Parallèlement aux pays du Maghreb, le Liban est pratiquement le seul Etat du Proche-Orient (plus précisément du Machreq) à bénéficier d’une importante presse francophone, dynamique et diversifiée. A ce titre, il est susceptible de constituer un trait d’union privilégié entre la presse francophone des Balkans et celle du monde arabe, aux côtés des pays du Maghreb. En sa qualité d’unique quotidien d’expression française au P.O., «L’Orient-Le Jour» peut jouer un rôle pivot sur ce plan. Telle était la portée de sa présence à la rencontre d’Athènes. Le colloque, qui a eu lieu au siège de l’Institut français d’Athènes, a permis dans ce cadre de tisser des liens entre des journalistes francophones des Balkans et du sud de la Méditerranée, deux régions qui, bien que proches géographiquement, se connaissent très peu ou pas du tout. Cette rencontre a surtout fourni l’occasion de jeter un regard sur la situation de la nouvelle presse francophone qui commence à émerger dans une zone en pleine mutation, les Balkans. La Bulgarie est un pays de tradition francophone. Le contexte historique permet de mieux comprendre l’étendue et l’importance de l’implantation de la présence francophone dans ce pays. Avant l’indépendance de la Bulgarie, en 1876, de grands écrivains et intellectuels français soutenaient la cause bulgare contre l’occupation ottomane. Parallèlement, l’élite bulgare, ployant sous le joug des Ottomans, était attirée par les grands principes d’égalité et de liberté de la Révolution française. Il s’est créé ainsi au niveau de l’intelligentsia bulgare une affinité purement affective, sentimentale et impulsive à l’égard de la France. Rien d’étonnant par conséquent qu’après l’indépendance de la Bulgarie, les cadres supérieurs et les intellectuels bulgares prennent le chemin de Paris pour suivre des études supérieures ou des cours de spécialisation. Retournant au pays empreints de la culture française, ils ont contribué grandement (d’une manière non programmée) à l’extension de la francophonie qui s’est maintenue en dépit de l’accession au trône du roi Ferdinand de Habsbourg — d’origine allemande — au début du XXe siècle. Ce contexte historique explique que sous l’ancien régime communiste de Todor Jivkov (qui fut évincé en novembre 1989, dans le sillage de la chute de l’empire soviétique), trois publications francophones étaient éditées en Bulgarie: l’hebodomadaire «Nouvelles économiques de Bulgarie» (publié par la Chambre de commerce); la «Bulgarie d’aujourd’hui» (revue mensuelle touristique); et «Les Nouvelles de Sofia» (hebdomadaire de propagande politique et idéologique adressé essentiellement aux étrangers). Ces publications — contrôlées par l’ancien pouvoir communiste — ont disparu, pour des raisons financières, après le changement de régime en novembre 1989. Depuis la fin de l’année 1996, un mensuel politique en langue française est publié par l’Association des journalistes bulgares francophones (présidée par Mme Anna Draganova qui a participé au colloque organisé par «La Tribune Hellénique» et aux Deuxièmes journées de la presse arabe francophone qui se sont tenues à la mi-mars à Beyrouth). Si la présence d’une presse francophone reste ainsi limitée en Bulgarie, il n’en demeure pas moins que la section bulgare de l’UIJPLF est très active et participe à la plupart des congrès internationaux de la presse francophone. La Roumanie: un îlot latin Autre pays des Balkans à vocation nettement francophone: la Roumanie. Là aussi, l’influence de la langue française puise ses racines dans l’évolution historique du pays. La France a soutenu en effet la révolution roumaine de 1848 contre les Ottomans. Les principales figures de proue de cette révolution ont été, comme dans le cas de la Bulgarie, formées dans les universités de Paris. La francophonie s’implantera solidement dans le pays à la faveur de l’union roumaine, en 1859. Sous l’empire ottoman, la France devait constamment soutenir la volonté d’indépendance de la Roumanie jusqu’à la réalisation de cet objectif en 1918, après la fin de la Première Guerre mondiale et la chute de l’empire ottoman. «La grande influence de la langue française en Roumanie s’explique aussi par le fait que le Roumain est une langue latine», souligne l’éditeur et directeur du quotidien francophone «Bucarest Matin», M. Radu Bogdan, lui aussi présent au colloque d’Athènes et au congrès de Beyrouth. «La Roumanie est un îlot latin dans un océan slave, ce qui a facilité l’extension de la présence francophone dans notre pays», précise M. Bogdan. Il n’en reste pas moins que sous l’ancien régime communiste de Ceaucescu, il n’existait pas de quotidien en langue française dans le pays. La présence francophone se manifestait essentiellement par la prolifération de lycées français étatiques. Il faudra attendre la chute de l’URSS et l’effritement du bloc de l’Est pour que l’entreprise privée donne naissance au quotidien «Bucarest Matin» qui paraît depuis près d’un an et demi et qui tire à 10.000 exemplaires. Quant à l’Albanie, l’influence francophone y est moins évidente du fait, notamment, de la prépondérance de l’Italien. Sous l’ancien régime communiste d’Enver Hodja, l’Albanie était un pays hermétiquement fermé sur lui-même. La seule ouverture de la population albanaise vers l’étranger était... la télévision italienne. Sans doute par réaction à l’obscurantisme du régime communiste, l’Albanais moyen, avide de connaissances, était, paradoxalement, plus ou moins bien informé de l’actualité étrangère grâce à la diffusion des médias audiovisuels italiens. Les quelques publications de langue française éditées par le pouvoir d’Enver Hodja étaient destinées principalement à la propagande étrangère. Le Français n’était donc pratiqué que par l’élite. Actuellement, il n’existe aucun journal francophone. Le directeur du quotidien de langue anglaise «Albanian Daily News», M. Arben Leskaj, s’apprête cependant à éditer très prochainement une revue trimestrielle qui ne manquera pas de donner une bouffée d’oxygène à la section albanaise de l’UIJPLF. Une revue d’échanges Cette émergence d’une nouvelle presse de langue française en Grèce, en Bulgarie, en Roumanie et en Albanie s’inscrit dans le sillage de la politique d’expansion de la francophonie, consacrée lors du dernier sommet de Hanoï. Comme le soulignait récemment le secrétaire général de la francophonie, M. Boutros Boutros-Ghali, la francophonie n’est plus un simple phénomène à caractère exclusivement culturel. Elle désire s’imposer également sur la scène politique et diplomatique internationale en tant qu’entité plus ou moins cohérente. Cela explique cette véritable offensive francophone à laquelle nous assistons depuis quelque temps aux quatre coins de la planète. Dans les pays des Balkans, notamment, le rôle croissant que la francophonie cherche à jouer pourrait, le cas échéant, s’avérer quelque peu utile et avoir un effet modérateur dans des situations de conflit. Et les climats conflictuels ne manquent certainement pas dans les pays balkaniques. En Bulgarie, à titre d’exemple, une tension latente commence à se manifester avec la minorité turque du Sud, largement soutenue par la Turquie. Des mosquées et des prédicateurs prolifèrent au sein de la minorité turque ce qui ne manque pas d’augmenter le malaise. Une poussée islamiste similaire est également perceptible en Albanie dont l’écrasante majorité de la population est pourtant athée mais dont les graves difficultés socio-économiques constituent un terrain fertile à de nombreux prédicateurs séoudiens qui s’emploient à ouvrir des mosquées un peu partout dans le pays. Face aux tendances centrifuges qui foisonnent ainsi çà et là, un besoin d’échanges et d’ouverture sur «l’autre» se manifeste dans de nombreux milieux. Et c’est à ce niveau qu’intervient l’importance de la langue française comme instrument privilégié de brassage d’idées et d’échanges entre les peuples de culture, de civilisation et de religion différentes. Conscient d’un tel enjeu, le directeur de «La Tribune Hellénique», Théodoros Benakis, s’apprête à tenter une expérience nouvelle dans ce domaine: le lancement d’une revue francophone qui aurait pour vocation de permettre aux deux blocs des Balkans et du sud de la Méditerranée de mieux se connaître pour promouvoir davantage le droit à la différence. Au début du siècle, précise M. Benakis, la Méditerranée constituait un «lac» ayant pour prolongement naturel les Balkans. Le directeur de «La Tribune Hellénique» cherche à relever le défi de rétablir les ponts entre ces deux zones avec comme trait d’union la langue française. M.T.
Il est une heure du matin dans un petit appartement au centre d’Athènes. Théodoros Benakis, éditeur et directeur de la revue «La Tribune Hellénique» supervise la parution de la dernière édition du nouveau bimensuel grec francophone. A ses côtés, la jeune et dynamique Clelia Seynave, rédacteur en chef, les yeux braqués sur le PC du maquettiste, apporte une ultime retouche...