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Actualités - CHRONOLOGIE

Le dernier labour libanais de Paul-Marc Henry

Hier jeudi, à l’église des Invalides à Paris, a été célébrée une messe solennelle pour le repos de l’âme de Paul-Marc Henry, décédé la semaine dernière. De nombreuses personnalités françaises et libanaises étaient présentes à la cérémonie pour rendre hommage à la mémoire de ce vétéran français de la diplomatie onusienne et grand ami du Liban, où il fut ambassadeur. Auteur d’un livre sur la tragédie libanaise, «Les Jardins de l’Enfer» Paul-Marc Henry s’était attelé à un second ouvrage consacré à notre pays. Ce fait nous est signalé par M. Camille Aboussouane, ancien ambassadeur du Liban à l’UNESCO qui, la veille même du décès de son ami Paul-Marc Henry, recevait ce dernier dans son domicile parisien. Au cours de cette ultime rencontre avaient été discutées les données du livre que préparait le regretté ambassadeur de France, et auquel il destinait le titre de «Liban 2000; les Laboureurs de l’Espérance». M. Aboussouane nous adresse par ailleurs la dernière réflexion «libanaise» de Paul-Marc Henry, en l’occurrence son intervention au colloque du Quercy de 1997, tenu à l’occasion des Journées de la francophonie; nous reproduisons ci-dessous le texte de cet exposé intitulé « Le Liban et la mondialisation», et qui propose une approche aussi originale qu’intéressante du cas libanais: «La crise actuelle au Liban est liée à la mondialisation. Cette mondialisation est non seulement financière et commerciale mais également démographique. Lorsque j’ai foulé le sol du Liban pour la première fois, voilà cinquante ans, il y avait, dans ce pays, quelque trois ou quatre millions d’habitants. Lorsque les Palestiniens sont arrivés, avec 800.000 réfugiés, tout l’équilibre du Liban a été modifié. Ce fait historique a été rappelé à plusieurs reprises. Il se prolonge, non pas à cause des Palestiniens, mais par des flux migratoires. D’après mes estimations, il existe environ un million d’émigrants au Liban. Certes, nous devons tenir compte du fait que l’explosion démographique affecte le monde entier à des degrés divers. Un autre exemple, dans la région, est fourni par le Koweït. Lorsque la crise irakienne a éclaté, 600.000 Palestiniens, Libanais et autres ont été expulsés du Liban. Alors, soyons réalistes. Nous ne sommes plus au temps relativement stable du XVIIIe siècle. Nous voilà parvenus à l’ère de la globalisation démographique, économique, financière et énergétique. Nous entrons dans un monde nouveau. Les enseignements du passé, qui ont été rappelés ici et qui sont très importants, font allusion à un monde en train de disparaître. Nos rapports ne peuvent pas être les mêmes. Il faut rappeler, aussi, que la société devient de plus en plus duelle. La pauvreté engendre de plus en plus de pauvreté et la richesse de plus en plus de richesse. Cela, également, est un phénomène global, 1% de la population contrôle 50% des ressources mondiales. Le phénomène de fracture qu’avait dénoncé le président Chirac durant sa campagne électorale affecte le monde entier. A Beyrouth même, il y a fracture entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest, explosion démographique dans le Sud du Liban et, au contraire, relative rareté démographique dans le Nord. Tous ces phénomènes sont universels, mais leur implication est particulièrement intense dans le Liban du fait de sa situation. On peut dire, en d’autres termes, que le Liban est actuellement sur la ligne de fracture du monde, aussi bien du monde religieux que du monde économique. Que va-t-il advenir demain des régions pétrolières? Dès maintenant, le pétrole est mis en cause. Les prévisionnistes indiquent que dans une trentaine d’années, le centre de gravité de la production pétrolière se déplacera. Où? Il existe plusieurs hypothèses. Là encore, le Liban jouera un rôle-clé. Et dans ces conditions, il faut bien dire que notre structure est inadaptée à la mondialisation. Mais là, nous touchons un autre problème: celui de la globalisation culturelle. La globalisation culturelle, c’est le «mass media», c’est le message, le cinéma, la radio, «Internet»... Et tout cela, qu’on le veuille ou non, nous domine. Actuellement, l’une des données fondamentales de l’indépendance française, c’est précisément, non pas la lutte, mais l’adaptation à la globalisation que prend maintenant notre identité. Le Liban est particulièrement bien placé pour cela, au carrefour des influences d’origine occidentale, moyen-orientale et autres. Ce qui a faussé le problème pendant très longtemps, c’est la présence soviétique. On a vraiment cru que le dialogue de l’Occident devait se faire avec l’Union soviétique, du moins pour éviter le conflit et les expansions anormales. Cela est terminé. Aujourd’hui, ce conflit se déroule au sein de l’ex-Union soviétique. La Tchétchénie en est un exemple parfait, encore plus parfait que celui de l’Afghanistan. La violence même des confrontations montre que le conflit n’est pas simplement superficiel et idéologique. Il réside dans la profondeur des peuples eux-mêmes. Le Liban se trouve exactement au milieu de cela. La guerre civile au Liban a coûté des centaines de milliers de morts et l’on n’a pas fait suffisamment attention au fait que le conflit civil du Liban était le signe avant-coureur d’un conflit mondial. Il est très à la mode de parler aujourd’hui de guerre «civilisationnelle». Le Professeur Samuel Huntington y a d’ailleurs fait allusion. Or, si l’on peut dire qu’au niveau supérieur, il existe des relations culturelles à peu près acceptables, par rapport à la globalisation des moyens culturels et des moyens financiers, on se trouve en situation assez dangereuse et assez nouvelle à laquelle nous ne sommes pas du tout préparés, même dans nos propres pays. Sans vouloir faire de prédiction, il est certain que le XXIe siècle sera le siècle de l’Asie, comme le XXe a été celui de l’Europe, de l’Amérique et de l’Occident. Que signifie «le siècle de l’Asie» par rapport au Liban? Un jour je rappelai à une haute personnalité libanaise: «Au fond, le Liban ce n’est pas le Proche-Orient, c’est l’extrême Orient et l’extrême Occident. On peut le voir des deux côtés». Il est certain que le Liban est l’une des lignes de front de l’Occident. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire la guerre «civilisationnelle», qu’il faut la transférer au Liban. Bien au contraire, le Liban offre un essai de paix civilisationnelle et de paix culturelle. Cependant, dans l’arrière-plan de la globalisation, c’est beaucoup plus difficile. Je suis sûr que la collaboration franco-libanaise doit tenir compte du fait que nous nous trouvons à peu près dans la même position. La France est le cap extrême de l’Europe. Elle est certainement ligne de fracture non pas avec l’Europe, mais avec toutes les autres parties méditerranéennes. Le Liban aussi. Je crois que la collaboration franco-libanaise doit se moderniser. Elle doit tenir compte de facteurs nouveaux, économiques, financiers et autres. Vous avez d’ailleurs entendu beaucoup de personnalités parler de collaboration, de partenariat. Nous sommes tous les deux dans le même bain. N’étant pas pessimiste, je ne pense pas à une guerre mondiale, mais je pense, par contre à une guerre insidieuse de culture de masse. Par rapport à l’identité nationale c’est une guerre permanente de tous les jours. J’espère et je crois pouvoir dire, y compris dans des réunions comme celles-ci, qu’il faut travailler dans ce sens, être conscient que nous approchons de l’an 2000. Nous voulions organiser, voilà deux ans, une conférence sur l’an 2000 à Beyrouth — démarche d’ailleurs bien accueillie — mais les événements ne l’ont pas encore permis. L’un de ses thèmes fondamentaux, aurait été, tout d’abord, l’an 2000. La Méditerranée et le Proche-Orient, les ressources en eau, énergétiques, financières. On voulait faire un bilan. Etait-ce trop tôt? Etait-ce trop difficile? Je crois encore que cela reste nécessaire. Nous avions fait un bilan en 1960 — et certains d’entre nous se le rappellent — sur «la Méditerranée de demain», présidé par MM. Blanchard et Gémayel. Nous avions assez bien vu les choses au point de vue des études prévisionnelles. Nous étions en période d’expansion, de redressement, de reconstruction, de croissance. Maintenant, si l’on faisait une conférence analogue, on serait obligé de dire que nous sommes en période de récession pour l’Europe et pour les Russes. Par contre, nous assistons à une expansion foudroyante pour l’Extrême-Orient et, entre-temps, nous avons mesuré la force des pays détenteurs du facteur énergétique. C’est dans ces domaines que la collaboration doit s’exercer. Ce colloque, et d’autres peut-être, y contribueront».
Hier jeudi, à l’église des Invalides à Paris, a été célébrée une messe solennelle pour le repos de l’âme de Paul-Marc Henry, décédé la semaine dernière. De nombreuses personnalités françaises et libanaises étaient présentes à la cérémonie pour rendre hommage à la mémoire de ce vétéran français de la diplomatie onusienne et grand ami du Liban, où il fut...