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Actualités - OPINION

Doucement les amis

Ce n’est pas tous les jours que le pays se voit doter d’un nouveau président; les échéances manquées de 1988 – un grippage des institutions qui se solda par deux gouvernements rivaux – puis de 1995, qui vit la prorogation de commande du mandat Hraoui, sont encore présents d’ailleurs dans toutes les mémoires. Ce n’est pas tous les jours non plus qu’une élection présidentielle est largement perçue par les citoyens comme un signe de renouveau. Tel est bien le cas du scrutin du 15 octobre dont le résultat a été favorablement accueilli par une opinion publique revenue des seigneurs de la guerre, mais non moins déçue par les pâles roitelets de l’après-guerre. Les citoyens veulent croire qu’avec Émile Lahoud quelque chose va changer enfin, même s’ils se rendent parfaitement compte que cette élection, pourtant bonne, est loin de traduire pour le moment une quelconque émancipation des institutions libanaises. En plébiscitant le général, le Parlement n’a fait, comme tout le monde sait, qu’entériner le choix souverain de la Syrie. On se consolera à l’idée que ce choix – une fois n’est pas coutume – fait aussi l’affaire des Libanais. Et que l’option Lahoud, pour habilement conçue, mûrie et marketisée qu’elle ait été, reflète un réel et salutaire souci de Damas de tenir compte des aspirations et susceptibilités locales, souvent ignorées en effet dans le passé. Tout le monde ou presque étant content, on serait bien inspiré d’arrêter les frais de promotion, devenus inutiles : pire, potentiellement nuisibles. Si Émile Lahoud s’est rallié l’opinion, c’est parce qu’il incarne aujourd’hui, à ses yeux, la force honnête. Et sereine. On ne lui connaît pas de fortune subite, dans un milieu étatique voué au culte du veau d’or et où l’on n’a jamais vraiment réussi en politique si on n’a pas fait de même dans les affaires. C’est cette intégrité, davantage encore que son ascendant sur l’armée, qui fera de Lahoud un président fort : fort face aux contrevenants de la loi certes. Fort aussi cependant, fort surtout face aux prévaricateurs et autres vautours campés, eux, du bon côté de la barricade, et qui assassinent l’État plus sûrement que ne le ferait le plus dangereux saboteur. Last but not least, Monsieur Propre, Monsieur Muscle séduit par sa discrétion, et là précisément est notre propos. Si on l’a vu sacrifier au rituel de la parade dans cette république à peine naissante, aux ressources plutôt modestes mais ridiculement portée sur le show-biz, c’est bien parce que sa fonction militaire l’y astreignait. Cet homme aux goûts simples, qui fuit comme la peste les réceptions mondaines, a vite fait savoir qu’il n’entendait pas ouvrir salon pour recevoir les congratulations d’usage. Pourquoi, dès lors, s’ingénie-t-on à encadrer d’aussi tapageuse manière une satisfaction populaire déjà bien réelle, et qui se serait bien passée de tels moyens d’amplification ? Pourquoi la caricature quand l’image live passe déjà fort bien ? Le matraquage à coups de clips stéréotypés sur les diverses chaînes de télévision, les floraisons d’effigies, les banderoles et calicots signés d’amis et même – on aura tout vu – les encarts publicitaires dans la presse, tout cela est-il absolument nécessaire ? Un mois entier avant son installation au palais de Baabda, le général Lahoud affronte déjà ce qui pourrait bien s’avérer comme son pire ennemi : l’outrance des thuriféraires, ce signe avant-coureur du culte de la personnalité dans les pays en développement. Parce que militaire de carrière, parce que tenu de rassurer tous ceux qui l’ont applaudi mais qui peuvent craindre pour la démocratie, le président élu doit mettre un bémol à cet inopportun battage dont les implications sont doublement néfastes: pour le pays, qui aspire à la modernité, et pour lui-même. À force de le peaufiner, de l’astiquer et de le reluire, on risque d’en venir un jour à fausser le plus flatteur des portraits. À le trahir.
Ce n’est pas tous les jours que le pays se voit doter d’un nouveau président; les échéances manquées de 1988 – un grippage des institutions qui se solda par deux gouvernements rivaux – puis de 1995, qui vit la prorogation de commande du mandat Hraoui, sont encore présents d’ailleurs dans toutes les mémoires. Ce n’est pas tous les jours non plus qu’une élection...