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Actualités - INTERVIEWS

Elias Abou Rizk à L'Orient Le Jour : je n'ai pas de factures politiques à régler "Si le dialogue avec le gouvernement échoue, il ne nous restera plus que la grève et les manifestations", affirme le chef de la CGTL (photo)

«Je n’ai pas changé», avait déclaré Elias Abou-Rizk lors de sa réélection à la tête de la centrale syndicale, le 30 juillet dernier. Mais, ce jour-là, beaucoup de sceptiques avaient hoché la tête d’un air entendu, insinuant qu’un «compromis politique» avait abouti à son retour à la présidence de la CGTL. Vingt jours plus tard, à la veille d’une probable rencontre avec le président du Conseil pour «l’ébauche d’un dialogue sur les revendications sociales», Abou-Rizk reprend les slogans qui ont marqué sa lutte pour les droits des travailleurs au Liban et qui avaient provoqué sa marginalisation le 24 avril 97 avant de l’entraîner en prison «pour atteinte au prestige de l’Etat». Avec son habituel franc-parler et sa détermination inébranlable, Elias Abou-Rizk raconte à «L’Orient-Le Jour» les circonstances de sa réélection et sa volonté d’améliorer les conditions sociales des Libanais. «Nous sommes libres de notre décision et nul ne peut nous dicter notre comportement, ni le président Berry, ni un autre. Nous n’avons certes pas beaucoup de moyens pour obtenir gain de cause, mais nous ferons de notre mieux et l’année écoulée m’a montré qu’en définitive ceux qui sont dans leurs bons droits finissent toujours par gagner», déclare-t-il assis derrière ce bureau qu’il avait dû quitter le 24 avril 97, alors que les FSI investissaient le siège de la centrale syndicale. D’ailleurs, ses photos au milieu de la foule des participants aux sit-in qu’il avait organisés et qui avaient provoqué l’ire du gouvernement ont désormais repris leur place derrière sa chaise... La réunification, une priorité «Les élections du 30 juillet, commence-t-il, n’avaient pas été prévues ou planifiées. La démission de Ghanim Zoghbi le 5 mai 1998 a ouvert une brèche et on a commencé à parler de la réunification de la CGTL. La première date des élections avait été fixée au 7 juillet puis avait été reportée au 30 et cela a coïncidé avec des tiraillements politiques. Mais ce n’est pas la première fois qu’ils se produisent et ils alternent avec des périodes de réconciliation et d’entente. Ce n’est donc pas un facteur essentiel dans l’équation syndicale. Par contre, la vague de licenciements collectifs qui prend des proportions inquiétantes et qui touche les employés d’Adcom Bank, de Soliver, de New Line et d’autres entreprises, qui les déguisent discrètement en démissions, nous ont donné à réfléchir. Tous ces travailleurs se sont retrouvés sans recours, du fait de l’existence de deux CGTL. Certes, dans notre centrale syndicale, nous avons continué à faire des déclarations, mais concrètement, cela n’a pas été très efficace pour les travailleurs. Nous avons alors commencé à voir les élections du 30 juillet sous l’angle de la réunification de la centrale qui est notre priorité stratégique. Il fallait que celle-ci recommence à remplir son rôle. C’est pour cela que nous nous sommes lancés dans la bataille, sans avoir des arrière-pensées politiques et sans donner la préférence à une partie politique sur une autre. Je peux vous assurer que j’ai été élu en 1998 en toute liberté, comme cela avait été le cas en 1993. Je n’ai pas de factures à rembourser et je ne dois rien à personne». Même pas au président de la Chambre, M. Nabih Berry? «Ni à lui, ni à d’autres. D’ailleurs, j’ai été élu par les délégués d’Amal, du PSP, des FL, des communistes, des Kataëb et de mon propre groupe, bref, par plusieurs composantes de la CGTL. Celle-ci est une image réduite de la réalité libanaise, c’est pourquoi les délégués sont parfois affiliés à des partis politiques. Nous avons noué de nouvelles alliances pour pouvoir réunifier la centrale syndicale, et cela dans le but de mettre un terme à la vague de licenciements et de militer en faveur des droits des licenciés. Nous avons aussi voulu réagir car, peu avant les élections, nous avons appris que des contacts avaient été entrepris pour former une troisième centrale syndicale...». Qui comptait former cette troisième centrale? «Je ne dispose pas d’éléments précis. Mais des informations sur certains contacts ainsi que sur des réunions préliminaires avaient été publiées dans la presse. Nous avons alors décidé de tout mettre en œuvre pour stopper l’hémorragie. D’autant que l’existence de deux ou trois centrales syndicales ne pouvait que satisfaire le gouvernement. En réalité, celui-ci applique une même politique depuis le 6 mai 1992, lorsque les manifestations avaient fait chuter le gouvernement de M. Omar Karamé. Depuis cette date, il s’est fixé pour objectif de neutraliser la centrale syndicale par tous les moyens. Jusqu’au 24 avril 1997, il n’avait pas réussi à le faire par les moyens légaux, il a alors utilisé la répression et il a divisé de force la CGTL en deux. D’ailleurs, dans une interview, le président du Conseil avait reconnu qu’une force militaire avait investi les locaux de la centrale. Le gouvernement a donc utilisé tous les moyens illégaux pour venir à bout de la CGTL. Et s’il avait pu la morceler encore, il n’aurait pas hésité à le faire. Je crois donc que nous lui avons retiré une bonne occasion de le faire». Le jeu démocratique L’unité retrouvée n’est-elle pas un peu fragile? Son élection a fait des mécontents au sein de la centrale et certains ont même présenté des recours en invalidation... «A mon avis, la réunification n’est pas fragile. Elle est totale. L’existence de mécontents n’est que le résultat du jeu démocratique au sein de la centrale. Ils ont le droit de présenter des recours. Ce qui est important, c’est qu’il n’y a pas de scission». Que se passera-t-il au sein de la CGTL, si demain les présidents Berry et Hariri se réconcilient? «A ma connaissance, le mouvement Amal représente les déshérités et il est avant tout concerné par leur sort. Si le président Berry se réconcilie avec le président du Conseil, cela ne signifiera pas que le mouvement Amal ne se souciera plus des travailleurs et de leurs problèmes. Je répète, si les élections ont eu lieu en une période de conflits, c’est une pure coïncidence, car elles n’étaient pas prévues». Avant les élections du 24 avril 97, il s’était opposé à l’adhésion à la CGTL de 5 nouvelles fédérations proches du mouvement Amal. L’un des arguments avancés à l’époque était que ces fédérations provoqueraient un déséquilibre confessionnel au sein de la centrale. Pourquoi accepte-t-il aujourd’hui cette adhésion? «Nous ne nous sommes jamais opposés à leur adhésion sur base de considérations confessionnelles. Nous étions contre le procédé, car ces fédérations avaient obtenu leur adhésion à la suite d’une décision du ministre du Travail, passant outre à la direction de la centrale. Nous avions d’ailleurs présenté des recours à ce sujet et nous attendons toujours la décision de la justice. Nous avons condamné ces adhésions...». Et finalement, ils ont accepté le fait accompli... «Il le fallait bien. Car, au moment des élections, le 30 juillet, leur présence était devenue normale. D’autant que la décision finale est entre les mains de la justice. Pour l’instant, nous continuons donc à nous opposer au principe, mais nous pensons que la situation des travailleurs est beaucoup trop grave et leurs intérêts particulièrement menacés. C’est pourquoi, nous avons décidé de donner la priorité à l’unité de la CGTL». On l’accuse aujourd’hui d’avoir laissé tomber ses amis et alliés pour devenir chef de la centrale syndicale... «L’équipe qui était avec moi a joué un très grand rôle dans mon élection. Avec elle, nous avions réussi à créer une situation particulière, très importante. Le lundi précédant les élections, j’avais réuni toute l’équipe chez moi et c’est elle qui a décidé de présenter ma candidature. Si elle avait décidé du contraire, je me serais conformé à son choix. Je ne laisserai jamais tomber mes amis et eux aussi ne m’abandonneront jamais. Ce qu’il y a c’est que nous étions face à deux centrales et aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une». Les Syriens ne se mêlent pas de ces questions Ne craint-il pas que les mécontents forment une seconde centrale syndicale, après le précédent qu’il a lui-même créé? «Je n’ai pas créé un précédent. La situation m’a été imposée. Je représentais la CGTL légale et c’est l’autre qui a été créée de toutes pièces et qui est devenue officielle. Le 24 avril 97, nous avions organisé des élections légales et nous avons un procès-verbal qui le prouve. Enfin, pour créer une seconde centrale, il faut des circonstances favorables. Le 24 avril, il y avait plusieurs milliers de militaires dans les rues... Il n’y avait rien de tel le 30 juillet dernier. En fin de compte, nous avons dû choisir entre une situation dangereuse et une autre qui l’est bien plus». Les Syriens ont-ils joué un rôle dans son élection? «Je ne crois pas que les Syriens se mêlent de ces questions. Un délégué baassiste a même voté contre moi et a présenté sa candidature contre Bassam Tleiss (élu responsable des relations extérieures)». Pense-t-il qu’il revient en position de force? «Comme je ne dois rien à personne et que je suis totalement indépendant, je crois que je suis fort. Mes seuls soucis sont les intérêts des travailleurs et ceux du Liban. Je me bats pour eux, pour les libertés et pour les grandes causes nationales. Au sein de la CGTL, nous n’avons pas d’arrière-pensées politiques ou confessionnelles». Le mémorandum présenté récemment par la CGTL reprend les slogans qui lui sont chers, mais sur un ton modéré. Faut-il y voir un signe? «Ce mémorandum exprime nos revendications et nos orientations générales. Il contient aussi les grandes lignes du changement que nous souhaitons dans tous les domaines, surtout au niveau de la politique économique du gouvernement. C’est notre vision de la situation et des solutions. Quant à notre plan d’action, il sera établi plus tard. Pour l’instant, nous nous apprêtons à entamer un dialogue avec le gouvernement sur les revendications sociales». Que faut-il attendre d’un dialogue avec un gouvernement de fin de régime? «Il y a toujours des échéances au Liban. Nous ne pouvons pas attendre qu’elles finissent pour exprimer nos revendications. D’ailleurs, le gouvernement continue à prendre des décisions et à promulguer des décrets. Il peut ainsi décider une majoration des salaires ou faire cesser les licenciements collectifs. Il peut aussi mettre un terme au feuilleton de la nouvelle échelle des salaires. Ce n’est pas parce qu’il y a des élections présidentielles que le citoyen doit mourir de faim». Qu’a-t-il pu faire pour les travailleurs, depuis le temps qu’il brandit ces fameux slogans? «L’action syndicale est une lutte de longue haleine. Ce qui compte, c’est de persévérer et, en définitive, on obtient gain de cause. Maintenant, il est faux de dire que je n’ai pas obtenu de résultats concrets. Le 1er janvier 1994, une majoration de 70% des salaires a été accordée. En 1995, nous en avons obtenu une autre de 20%...». Et sur le plan des prestations sociales? «Malheureusement, la politique du gouvernement est hostile à ce genre de prestations. Par exemple, la commission formée en principe pour six mois afin de remplacer le conseil d’administration de la CNSS est en place depuis six ans, ce qui est contraire à la loi. Le gouvernement viole donc les lois. La loi créant le conseil économique et social existe depuis trois ans, mais le gouvernement refuse toujours de l’appliquer. Tout comme il n’applique pas la loi sur la main-d’œuvre étrangère. Nous avons désormais des travailleurs de toutes les nationalités et une main-d’œuvre étrangère plus nombreuse que la main-d’œuvre locale. C’est le gouvernement qui en est responsable car c’est lui qui délivre les permis de travail. Nous continuerons donc à réclamer la reconnaissance de nos droits et c’est un long combat». Seul investissement, les bons du Trésor N’y a-t-il pas un risque que son action se transforme en canalisation du mécontentement populaire, sans aller plus loin? «Je ne le crois pas. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, nous avons obtenu de grandes victoires, notamment sur le plan de la protection des libertés et particulièrement celle de la presse. Nous avons encore beaucoup à faire et nous sommes déterminés à obtenir le respect de nos droits. Il faut que le gouvernement s’occupe du citoyen, et non plus seulement des pierres. Il doit donc, entre autres choses, créer de nouveaux emplois et surtout se pencher sur l’affaire des licenciements». Que peut faire la CGTL à ce niveau? «Parler avec le gouvernement car, après tout, c’est lui qui est responsable de la protection de l’industrie et de l’agriculture nationales. Or, jusqu’à présent, il n’a pas fait grand-chose à ce niveau. Au contraire, il multiplie les taxes et les impôts qui empêchent les entreprises de se développer. De plus, personne n’est intéressé à créer une entreprise ou un projet quelconque au Liban. Le seul investissement consiste à acheter des bons du Trésor qui assurent un gain rapide par le biais des intérêts...». Il avait entamé, dans le passé, un dialogue avec le gouvernement et ce dernier l’a suspendu. Pourquoi aboutirait-il aujourd’hui? «Il est normal de commencer par le dialogue. C’est d’ailleurs le meilleur moyen d’obtenir ses droits. Si le gouvernement n’en veut pas, ou s’il veut mener un dialogue de sourds, la balle sera dans son camp et nous aviserons». Y a-t-il un délai au bout duquel il estimera que le dialogue a échoué? «Ce n’est pas une question de temps. Tout dépend de l’approche. Si nous sentons que le gouvernement se rapproche de nos revendications, nous nous rapprocherons de lui...». Mais les Libanais sont à la veille de la rentrée scolaire...». C’est vrai. Je pense que nous aurons une idée précise de la situation à la suite du rendez-vous que nous accordera le président du Conseil. En principe, il a promis de nous rencontrer à son retour. Nous verrons. En fait, après mon élection, il avait fait une déclaration positive à la presse et je l’avais rencontré au dîner donné par le président de la République en l’honneur du chef de l’Etat gabonais». On lui reproche toutefois d’avoir politisé la CGTL, en la transformant en tribune de l’opposition? «Je ne crois pas que cette accusation soit justifiée. La CGTL est concernée par les libertés et par les grandes questions nationales, telles que la démocratie et les droits des gens. Son rôle est aussi de les défendre. Si elle a pu favoriser le regroupement des forces politiques sur cette base, je ne vois pas où est le problème. Nous n’avons pris la place de personne, nous avons essayé d’accomplir notre rôle». Que fera-t-il si le dialogue avec le gouvernement échoue? «Nous utiliserons les manifestations, les grèves et les sit-in. Ce sont les moyens démocratiques mis à notre disposition par la Constitution. Malheureusement, le gouvernement les a limités en interdisant les manifestations. Mais si le dialogue échoue, nous n’aurons plus d’autre choix que de les utiliser car la situation économique est intenable». Comment évalue-t-il son expérience au cours de l’année écoulée? «Elle a renforcé ma conviction dans le fait que celui qui a un droit et qui le réclame finit toujours par gagner. En dépit de l’amertume et des souffrances physiques et morales que m’a causé cette période, je me sens plus fort, plus solide et plus attaché que jamais à nos droits».
«Je n’ai pas changé», avait déclaré Elias Abou-Rizk lors de sa réélection à la tête de la centrale syndicale, le 30 juillet dernier. Mais, ce jour-là, beaucoup de sceptiques avaient hoché la tête d’un air entendu, insinuant qu’un «compromis politique» avait abouti à son retour à la présidence de la CGTL. Vingt jours plus tard, à la veille d’une probable...