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Actualités - REPORTAGE

Elle offre de petits crédits pour promouvoir des initiatives privées modestes La Majmouaa : encourager les femmes à développer leur potentiel (photo)

Être une femme et avoir un petit commerce ou un mini-projet agricole: l’accès à la garantie bancaire n’était pas nécessairement acquis. Cette catégorie de la population libanaise était donc condamnée à n’avoir aucun contact avec le monde des finances. Mais une ONG (Organisation non gouvernementale) à vocation sociale, créée il y a quatre ans, a décidé de s’intéresser à cette tranche de la population. La «Majmouaa» («le groupe») s’est penchée sur les problèmes de personnes ayant besoin de très petits crédits, afin de leur apporter une solution pratique: des emprunts commençant à 250 dollars et augmentant graduellement, payables sur une période de quatre mois avec un intérêt de 8%. Près de 3500 femmes de condition modeste dans toutes les régions libanaises ont déjà profité de ce service qui leur permet de développer leurs affaires et d’aider leur famille, tout en acquérant une indépendance qui ne peut être que source d’épanouissement. Elles sont couturières, ont de petits commerces ou des mini- projets agricoles, ou encore vendent des habits à leur domicile, le plus souvent ramenés de Damas. Pour survivre, elles ont besoin de s’endetter à droite ou à gauche, de payer leur marchandise après la vente. Agrandir leur affaire leur est pratiquement impossible sans une assistance quelconque. Et pourtant elles ne manquent pas d’ambition, et désirent s’assurer à elles-mêmes et à leurs familles une vie plus digne. Voilà pourquoi elles se sont tournées vers la «Majmouaa» qui leur donne une chance que les banques ne leur offrent pas: celle d’emprunter de l’argent sur une base claire et bien établie, sans être à la merci d’usuriers. Le système de crédit de la «Majmouaa» se base sur deux grands principes: un crédit renouvelable (avec des sommes de plus en plus importantes), doublé d’un système d’épargne; et la nécessité pour les femmes de former un groupe avec d’autres personnes qu’elles choisissent afin de se garantir entre elles. «Le principal message de cette association, déclare un membre du conseil d’administration, Charbel Ghosn, est de participer au développement socio-économique et d’éduquer les gens au plan financier, sans pour autant faire de la charité». Système de crédit M. Rida Maamari, directeur exécutif de la «Majmouaa», nous précise que «ce projet a quatre ans d’âge et a commencé sous forme de projet pilote lié à l’association américaine «Save the Children», mais la «Majmouaa» qui est actuellement totalement libanaise est devenue une association à part entière depuis août 1997». Il ajoute: «C’est une association à but non lucratif, dans le sens où notre objectif n’est pas de gagner de l’argent, sans pour autant en perdre non plus, si nous voulons assurer une continuité. Au cas où nous faisons des bénéfices, le taux d’intérêt baissera». Le principe est de donner des micro-crédits qui commencent à 250 dollars, payables sur une période de quatre mois par versements bimensuels, avec un intérêt de 8%. Aucune garantie n’est exigée en contrepartie. «Le financement se fait actuellement grâce à l’aide fournie par «Save the Children» et le gouvernement américain, mais nous aspirons à l’autosuffisance afin de garantir une longue vie à notre association», dit-il. «Notre projet financier vise les personnes qui ont de très petites affaires, qui veulent améliorer leur situation et n’ont pas accès aux banques dont les critères sont très exigeants», ajoute M. Maamari. «Voilà pourquoi nous travaillons actuellement avec les femmes parce qu’elles sont assez désavantagées à ce niveau. Nous privilégions aussi les personnes qui ont déjà un emploi, pas celles qui veulent en créer un». Et de poursuivre: «Nous offrons principalement deux choses à nos collaboratrices: d’une part, des crédits qui augmentent avec le temps proportionnellement à l’augmentation du volume de leur travail, et à mesure que les bénéficiaires s’habituent à la discipline du crédit. D’autre part, un service d’épargne qu’elles peuvent placer dans une banque si elles le désirent». Interrogé sur les critères exigés dans l’acceptation des demandes de crédits. M. Maamari répond: «Il n’y a pas de critères exigés puisque nous offrons un service, nous ne faisons pas de la charité à l’instar d’autres associations. Cependant, la condition nécessaire pour que les femmes puissent intégrer le système est qu’elles forment un groupe de leur choix, dont les différents membres doivent apprendre à se garantir entre eux. La sélection est en fait une autosélection puisque les femmes se choisissent entre elles (sans être membres de la même famille). Par ailleurs, elles doivent avoir plus de 18 ans et posséder leur propre affaire (afin que les crédits servent à un investissement à long terme)». Mais comment peuvent-ils garantir le paiement des crédits quand ils ne possèdent aucun document et aucune garantie? «En quatre ans, nous avons déboursé la somme de six millions de dollars en crédits», explique M. Maamari. «Seuls quatre cents dollars n’ont pas été remboursés, pour cause de décès et non en raison d’une négligence quelconque. Les paiements en retard (de plus de quinze jours) ne représentent que 830 dollars sur une somme totale de 750 mille dollars. Le taux de remboursement est très élevé et je défie toute banque d’en avoir un pareil». Les régions où l’association exerce son activité sont celles où elle considère qu’il y a un besoin pour un tel service: Beyrouth (Bourj Hammoud, Bourj Brajneh, Hay el-Sellom), Saïda, Tripoli, Akkar, Tyr (villages), Baalbeck-Hermel, camps palestiniens. «La «Majmouaa» ne limite pas cependant son expansion et ne prend pas en considération les différences de religion ou de confession», selon M. Maamari. Il ajoute: «La «Majmouaa» a un conseil d’administration de six membres qui a principalement pour fonction de superviser l’action de l’association. Le conseil est formé de Salma Talhouk (présidente), Charbel Ghosn, Mario Saradar, Nicole Fayad, Mireille Yared et Youssef Fayad. Elle a par ailleurs 26 employés à plein temps dont la plupart sont des agents de crédit qui travaillent sur le terrain. Ce sont ces agents qui œuvrent dans les quartiers et informent les femmes de l’existence de la «Majmouaa». Des femmes ambitieuses Nous avons rencontré des collaboratrices de la «Majmouaa» à Saïda, en compagnie de la responsable du Liban-Sud, Rania Sabeh Ayoun. La plupart de ces personnes vendent à leur domicile des habits acquis dans les marchés locaux ou à Damas. Certaines ont des épiceries ou de petits commerces. Toutes se déclarent satisfaites du système de la «Majmouaa». Mlle Sabeh Ayoun nous explique le système basé sur les groupes: il y a, dans chaque groupe, une présidente, une secrétaire qui écrit le rapport après chaque réunion, et une responsable de la Caisse qui tient le cahier de comptes pour tout le monde. Les paiements se font chaque deux lundis: toutes les femmes du groupe confient à l’une d’entre elles (différente à chaque fois) le montant de leur versement, et celle-ci va le déposer à la banque. Le contrôle de l’association se fait à ce niveau: la responsable de la région appelle la banque le second jour pour s’assurer que les paiements ont été effectués à temps. Sinon, elle contacte les femmes pour s’informer du problème. «Généralement, le retard vient du fait que l’une des femmes n’a pas pu payer son dû à temps (la banque n’accepte que les versements de tout le groupe). Il est alors demandé aux autres femmes de soutenir celle qui est en retard, l’un des avantages du groupe étant la solidarité», précise-t-elle. Les réunions ont également lieu chaque deux semaines. Le but principal en est de discuter des divers problèmes auxquels peuvent faire face les membres du groupe, de faire le point sur les deux semaines qui se sont écoulées et de parler de projets futurs. Un moment privilégié de chaque réunion: la lecture du montant de l’épargne de chacune. Pourquoi demander aux femmes d’économiser une partie de leur crédit? Mlle Sabeh Ayoun en donne l’explication: «Notre système implique aussi une éducation. En demandant à nos collaboratrices de faire des épargnes, nous leur assurons une certaine somme quand elles en auront besoin. Nous leur proposons d’ouvrir des comptes en banque à plusieurs, mais elles préfèrent généralement garder l’argent avec l’une d’entre elles». Et les femmes, sont-elles satisfaites de ce système? Quand nous leur avons posé la question, la réponse était invariablement positive. Les personnes interrogées sont d’ailleurs d’anciennes collaboratrices, certaines étant intégrées à la «Majmouaa» depuis sa création, c’est-à-dire il y a quatre ans. Elles ont cependant quelques remarques et revendications. Ihsan, dans la vieille ville de Saïda, a suggéré que «les paiements deviennent mensuels et non plus bimensuels, parce que l’échéance vient toujours trop tôt». Mais Mlle Sabeh Ayoun nous explique qu’il «est préférable de garder les délais tels qu’ils sont parce que cela permet aux femmes, notamment celles qui ne sont pas éduquées, d’avoir une idée plus claire de ce qui leur reste à payer». Projet de «grand crédit» Autre revendication qui revient très souvent: une volonté d’obtenir des crédits plus grands, ce qui dénote une bonne intégration au système financier et une dose non négligeable d’ambition. Celles qui collaborent avec la «Majmouaa» depuis de nombreuses années parlent volontiers du «grand crédit» qu’elles évaluent à 5000 dollars, et qui leur a été promis par l’association. Mlle Sabeh Ayoun nous précise ce qu’il en est: «Quand les demandes des femmes sont devenues plus nombreuses, nous avons décidé d’instaurer un nouveau programme dont l’étude est encore en chantier. Rien n’est donc encore déterminé. Mais les femmes, elles, sont impatientes, appellent le nouveau programme «grand crédit» et l’évaluent à 5000 dollars, mais le programme n’est en fait pas encore défini, ni le montant des nouveaux crédits d’ailleurs». A la question de savoir ce qu’elles font de cet argent, les femmes déclarent l’utiliser entièrement pour leur travail (c’est d’ailleurs une des conditions de la «Majmouaa» qui ne donne pas de crédits pour autre chose). Mais elles en profitent également pour aider leur famille. Elles ont presque toutes constaté une amélioration de leur travail, ce qui les pousse à persévérer dans le système. Les commerçantes d’habits, comme Nadia (dans la vieille ville), déclarent «acheter plus de marchandises qu’avant, payer et profiter des offres qui se présentent à nous». Amal, à Haret Saïda, qui a une petite épicerie qu’elle partage avec sa mère, raconte: «J’en profite pour acheter plus de marchandise et pour développer mon affaire. Tout le crédit sert au travail». Interrogées sur l’impact de ces crédits et de leur nouvelle indépendance financière sur leur vie privée et leur épanouissement personnel, les femmes donnent des réponses diverses. Certaines, embarrassées de cette question, répondent simplement «le travail va mieux» ou «je suis maintenant capable d’aider mon mari». D’autres sont plus expansives. Maha résume ainsi les avantages du système: «Nous apprenons à mieux nous connaître. Nous avons une plus grande vision de l’avenir. Et, surtout, nous avons acquis plus d’indépendance». Plus d’indépendance... tel est certainement l’atout majeur de l’acquisition de ces crédits. Wafaa, à Haret Saïda, l’exprime très bien: «Je suis très heureuse de ne plus avoir à demander de l’argent à mon mari chaque fois que j’ai besoin ou envie de quelque chose!» Pour des femmes qui vivent le plus souvent dans un environnement assez restrictif, cette volonté de libération (même partielle) de la tutelle des hommes ou des parents est remarquable. A la question de savoir si cette nouvelle indépendance s’est réellement muée en un degré d’éveil plus important, Mlle Sabeh Ayoun pense que «ces femmes sont certainement très compétentes dans leur travail et font toute sorte de plans d’avenir pour leur commerce, mais l’épanouissement au niveau professionnel ne s’accompagne pas toujours d’une évolution des mentalités. Il faudrait une éducation sociale parallèle à l’éducation financière. Mais nous ne pouvons pas concentrer notre action sur plusieurs aspects à la fois». Les perspectives d’avenir cependant existent chez ces femmes qui voudraient bien agrandir leur commerce ou développer leur affaire. Wafaa, qui vend de la marchandise à la maison, aimerait «travailler en gros et acheter une voiture qui me sera extrêmement utile». Nadia, également commerçante à domicile, ambitionne d’ouvrir une boutique. Beaucoup de femmes sont dans son cas. Ce système de crédits est certes peu conventionnel et s’adresse à une tranche de la population généralement reléguée aux oubliettes. Mais il a certainement permis de révéler des ambitions et des capacités inattendues chez ces femmes dont la participation à la vie économique du pays est pourtant essentielle. Il y a un exemple frappant de réussite que la responsable de la région du Liban-Sud aime citer: une femme à Tyr avait une seule vache qui vivait à la maison. Depuis sa collaboration avec la «Majmouaa» il y a quatre ans, elle a eu la possibilité d’acquérir huit vaches, leur construire une ferme, acheter des machines pour traire les vaches et des provisions d’un an pour sa ferme. Actuellement, elle projette de construire sa propre maison et de monter une entreprise de distribution de produits laitiers.
Être une femme et avoir un petit commerce ou un mini-projet agricole: l’accès à la garantie bancaire n’était pas nécessairement acquis. Cette catégorie de la population libanaise était donc condamnée à n’avoir aucun contact avec le monde des finances. Mais une ONG (Organisation non gouvernementale) à vocation sociale, créée il y a quatre ans, a décidé de...