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Actualités - OPINION

Laissez vivre l'espoir !

On voudrait volontiers croire le président Hraoui quand il affirme n’aspirer qu’au repos, une fois le «nonennat» parvenu à son terme. Et qu’il n’est en rien concerné par un éventuel amendement de l’article 49 de la Constitution ouvrant la voie à sa propre réélection; cette répugnance déclarée tournant carrément au veto si la même procédure venait autoriser, dans la foulée, l’élection de hauts fonctionnaires civils et militaires: toutes éventualités évoquées il y a quelques jours par le ministre de l’Intérieur Michel Murr, dont les spéculations n’ont pas fini de faire des vagues. Oui, il serait bien réconfortant de pouvoir tenir pour définitifs les propos présidentiels lesquels, d’ailleurs, ont logiquement tout pour convaincre. Après tout, neuf années c’est bien long dans un pays comme le Liban: cela use le pouvoir et ses détenteurs, dont il faut reconnaître qu’ils n’ont pas toujours eu la tâche facile; mais cela use aussi le réalisme indulgent d’une partie des citoyens, de même que la patience, le fatalisme ou l’impuissante frustration des autres. Neuf ans, cela finit par donner pêle-mêle à tous ceux-là une sacrée soif de changement, dût-il s’opérer dans une continuité qui s’impose à l’évidence, même si certaines de ses implications sont loin de faire l’unanimité. Changement de personnes et de mentalités, changement de style, changement de coteries familiales ou claniques: tout cela ne suffirait certes pas pour faire des miracles, puisque l’on ne saurait imputer au seul chef de l’Etat la responsabilité d’une gestion souvent malheureuse de l’ère de l’après-guerre. Mais une élection présidentielle normale, même si elle était étroitement surveillée, même si demeuraient figés les autres paramètres politiques, ne manquerait pas de susciter une dynamique nouvelle, surtout si elle amenait au pouvoir une personnalité agréée par Damas certes, mais qui rassurerait tous les Libanais, concernés au premier chef. Une élection serait porteuse d’une denrée devenue bien rare après toutes les désillusions des dernières années: l’espoir, car elle aurait du moins initié, au niveau le plus haut, un début de fonctionnement de ces institutions étatiques réformées en base de l’accord de Taëf, mais dont l’incompatibilité organique, planifiée, préméditée pourrait-on dire, a achevé de faire du Liban un pays ingouvernable de l’intérieur. Torpiller cette échéance serait signifier aux Libanais que leurs institutions, tragiquement bloquées quant au fond, le sont désormais aussi dans les formes: on aurait tué de la sorte une chance d’évolution et de progrès. Oui, il convient de saluer les actuelles dispositions du président Hraoui, telles que quotidiennement rapportées par ses proches et visiteurs. De les saluer tout en formulant à nouveau le vœu, cependant, qu’il s’agit bien là d’une décision sans appel. D’une part, en effet, la chair est faible, en politique singulièrement. Et puis, les grandes manœuvres qui viennent de commencer ne donnent-elles pas une funeste impression de déjà-vu? De fait, c’est exactement le même discours que tenait le président Hraoui à la veille de la prorogation pour trois ans de son mandat en 1995 avant qu’il finisse par céder, selon la formule consacrée, aux vœux des élus de la nation: lesquels, oubliant subitement leurs tonitruantes divisions sur la question, marchèrent comme un seul homme dès l’instant où se prononça l’oracle syrien. Maintes circonstances exceptionnelles furent invoquées à l’époque en faveur d’une telle prorogation: la plus sérieuse étant la nécessité de garder toutes choses en place en attendant l’aboutissement — qui paraissait hautement probable — du processus de paix au Proche-Orient, car les dirigeants de Damas étaient trop absorbés par une négociation des plus délicates pour s’embarrasser d’une transition harmonieuse au Liban. Depuis, beaucoup d’eau — saumâtre — a coulé sous les ponts, y compris ceux du Jourdain. La négociation de paix a capoté avec l’irruption sur la scène de Benjamin Netanyahu, ce qui n’est évidemment pas la faute des Libanais ni des Syriens; mais le comble serait que l’impasse et ses risques militaires — ou bien que l’impératif de coordination face aux dernières offres israéliennes de retrait conditionnel du Sud — deviennent prétextes à une nouvelle mise en hibernation de la vie politique libanaise. Où irions-nous en effet s’il fallait, à tous les coups, exciper de situations exceptionnelles dans une région de la planète qui vit perpétuellement sur un volcan, et où l’exception est la règle? C’est au plan interne libanais cependant qu’un tel gel de commande peut s’avérer le plus néfaste. Car contrairement aux assurances et promesses de réformes prodiguées lors de la prorogation de 1995 — notamment en ce qui concerne les prérogatives présidentielles — le fonctionnement des institutions étatiques, déjà défectueux, n’a cessé de péricliter depuis. Jamais la troïka du pouvoir n’a été plus minée par ses contradictions et plus fréquemment sujette à des accès de paralysie, ceux-ci requérant régulièrement un arbitrage extérieur. Les élections législatives de 1996 n’ont eu rien à envier à celles de 92 en matière de fraude organisée et pour finir d’occulter la volonté populaire, l’Etat a réussi à neutraliser, en le scindant, le mouvement syndical. Carence et corruption ont proliféré aux échelons les plus divers de l’administration, et cela dans la plus grande impunité: ce qui n’est guère à l’avantage d’une justice étonnamment passive face aux scandales financiers qui ont éclaboussé certains responsables et leurs proches, comme aux atteintes répétées aux libertés publiques et aux droits de l’Homme les plus élémentaires. De même, les graves inquiétudes que suscite la dette publique à laquelle on s’efforce de remédier par des palliatifs, ainsi que l’actuelle stagnation économique, n’ont pas peu entamé le crédit du chef du gouvernement Rafic Hariri sans bien entendu, en contrepartie, le moindre gain de crédibilité pour un Parlement rétif certes, mais jamais vraiment rebelle. Cette crise de confiance, on a pu en saisir l’ampleur lors de la confrontation télévisée de mardi dernier entre M. Hariri et un groupe d’étudiants. Tout aussi atterrante, cependant, est l’énormité du fossé qui, près d’une décennie après la fin de la guerre, continue de séparer les Libanais eux-mêmes, en l’occurrence les jeunes, sur des questions aussi vitales que l’équilibre communautaire et la souveraineté nationale: fossé qui a même gagné les stades et dont l’Etat, tout l’Etat, reste le premier responsable. Car parti pour déconfessionnaliser le système, il n’a fait en réalité que le sectariser à outrance. Attend-on donc un nouveau conflit, puis un nouvel accord de Taëf, pour édifier enfin un Etat viable? Dans un pays comme le nôtre, c’est avec des institutions en état de marche que la vie commence, quels que soient les hommes qui en ont la charge: les premières sont censées demeurer, les seconds passent. Il est grand temps de s’y mettre; et le premier pas serait d’autant plus convaincant qu’il aurait pour théâtre les grisantes marches du palais de Baabda.
On voudrait volontiers croire le président Hraoui quand il affirme n’aspirer qu’au repos, une fois le «nonennat» parvenu à son terme. Et qu’il n’est en rien concerné par un éventuel amendement de l’article 49 de la Constitution ouvrant la voie à sa propre réélection; cette répugnance déclarée tournant carrément au veto si la même procédure venait autoriser,...