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Actualités - ANALYSE

La taxe sur le chiffre d'affaires : flou gouvernemental et polémique naissante

Le Conseil des ministres va examiner aujourd’hui un projet de loi instituant une nouvelle taxe annuelle de 1% sur le chiffre d’affaires des entreprises. Cette nouvelle imposition suscite de fortes réserves dans certains milieux politiques et économiques, qui la trouvent injuste voire inapplicable, parce qu’elle constitue une charge supplémentaire pour les entreprises à l’heure où le marasme économique persiste dans le pays. La taxe de 1% était prévue, avec une série d’autres mesures fiscales et administratives, dans le plan d’assainissement des finances publiques mis au point il y a quelques mois, par les chefs du gouvernement et du Parlement, avec l’approbation du président de la République. Mais jusque-là, elle n’avait pas été commentée. Et pour cause: sa formule initiale était ambiguë. Le plan d’assainissement des finances parlait vaguement d’une taxe sur les ventes, sans préciser à quel niveau de la production elle sera perçue et dans les milieux concernés, on attendait de voir s’il s’agit d’une taxe sur la valeur ajoutée (payée par le consommateur) ou d’une taxe sur le chiffre d’affaires (turn over payé par tout producteur). Le texte que le gouvernement se propose d’étudier ne peut pas toutefois prêter à équivoque, puisqu’il donne l’équivalent anglais précis de la taxe sur le chiffre d’affaires, à savoir «turn over tax». Mais 24 heures avant que le gouvernement ne planche sur cette nouvelle forme d’impôt et n’en explique le mécanisme, la confusion était toujours de mise aussi bien dans les milieux économiques que politiques, ce qui donne à réfléchir sur les raisons pour lesquelles l’Exécutif observe toujours le mutisme le plus total au sujet cette nouvelle taxe. Veut-on mettre les Libanais devant le fait accompli? N’est-on pas sûr de vouloir l’appliquer? Examine-t-on d’autres projets de taxation? Les questions sont nombreuses. Mais en attendant d’obtenir les réponses, certains maintiennent qu’il s’agit de taxer le chiffre d’affaires des entreprises de tout genre, tandis que d’autres soutiennent qu’il s’agit de la TVA. Les partisans des deux thèses sont d’accord sur un seul point: ils sont favorables à la deuxième et rejettent la première. Le principe de la taxe sur le chiffre d’affaires est simple. Les ouvrages économiques la définissent comme suit: «Un impôt assis sur l’ensemble des dépenses qui visent à atteindre les revenus, non pas en les frappant directement en eux-mêmes, mais à l’occasion d’acquisition, par leurs bénéficiaires de produits ou de services». En d’autres termes, on peut dépenser sans réaliser des bénéfices et avoir quand même à payer au fisc 1% du montant des sommes dépensées. Le principe contesté Le principe en lui-même est contesté, en attendant les décisions et les explications du Conseil des ministres: premier à avoir commenté la nouvelle taxation prévue par le Cabinet Hariri, le député Mohamed Youssef Beydoun l’avait qualifié dimanche d’injuste et s’était interrogé sur le point de savoir comment elle sera calculée. Il développe la même argumentation qu’un expert économique, M. Elie Yachouhi, et juge plus approprié le recours progressif à la TVA. Mais le problème est que l’Etat a un besoin pressant d’argent et ne peut donc pas se contenter de renflouer progressivement ses caisses, au risque de perturber le cycle économique dans le pays et de provoquer une hausse généralisée des prix. M. Beydoun parle d’effet de «cascade», une terminologie qu’il dit emprunter au jargon économique américain. A cause de la nouvelle taxe sur le chiffres d’affaires, des entreprises, c’est à chaque niveau de la production que la proportion de 1% sera prélevée. Dans le domaine commercial, ce sera au niveau du fabricant, du grossiste, du semi-grossiste puis du détaillant et en définitive, c’est le consommateur qui aura à assumer les frais de cette «surtaxe en cascade», explique M. Beydoun. De la sorte, le gouvernement tend à favoriser l’économie verticale plutôt que l’économie horizontale, dit-il en soulignant que la taxe sur le chiffre d’affaires n’est plus en vigueur «dans aucun pays du monde, parce qu’elle se pose en obstacle aux investissements et favorise la fraude fiscale». M. Beydoun situe le nouveau projet de 1% dans le cadre de «la politique d’improvisation» dont il accuse le Cabinet Hariri. Il émet des doutes quant à la capacité du ministère des Finances à percevoir cette nouvelle taxe. Les mêmes doutes sont exprimées par l’économiste Elie Yachouhi qui reproche, entre autres, à la taxe d’1 % de représenter une charge supplémentaire «excessivement lourde» pour les entreprises alors que ce sont normalement leurs bénéfices qui doivent être taxées. «Lorsqu’on touche au volume des ventes, c’est au résultat brut d’exploitation des entreprises qu’on touche», dit-il. A la faveur des explications de l’économiste, il apparaît que la nouvelle taxe envisagée représentera pratiquement l’équivalent de 20% prélevés sur les bénéfices d’une entreprise (la taxe sur les bénéfices est actuellement de 10%, quelle que soit l’importance de l’entreprise). Un simple calcul arithmétique le démontre: Une société peut avoir un chiffre d’affaires de 225 300 mille dollars et réaliser des bénéfices de 22.400 mille dollars, sur lesquels elle paiera à l’Etat 2 240 dollars. Avec la nouvelle taxe, elle devra également payer 2 253 dollars, le total représentant presque le double de l’impôt sur le revenu. M. Yachouhi avait effectué une étude sur un échantillon des bilans d’entreprises. Augmenter les charges et les coûts Si la nouvelle taxe équivaut au double de l’impôt payé normalement par les sociétés, pourquoi ne pas réviser directement ce dernier? Peut-être parce que le gouvernement Hariri s’est fait un point d’honneur de ne pas y toucher pour «encourager les investissements» au Liban. M. Yachouhi a une autre explication: «Le chef du gouvernement ne veut pas admettre l’erreur qu’il a commise en réduisant considérablement les impôts payés par les sociétés». Mais en imposant cette nouvelle taxe, l’Etat réduira la possibilité des entreprises de couvrir les frais de leurs charges habituelles. Il est certain que cela n’affectera pas de la même manière les sociétés au Liban mais étant donné la crise économique dans le pays, la taxe de 1% ne fera qu’augmenter les charges des entreprises dont une grande partie voit leurs chiffres d’affaires baisser alors que leurs charges restent les mêmes, précise M. Yachouhi. Elle contribuera également à l’accroissement des coûts, réduisant ainsi le pouvoir concurrentiel des entreprises, ce qui se répercutera négativement sur l’activité économique dans le pays note-t-il. Par contre, en prélevant 20% sur les bénéfices, l’Etat ne touchera qu’au résultat d’une opération économique, l’impôt sur le revenu n’étant pas une charge. Mais tout le monde ne pense pas de la même manière et dans certains cercles politiques, on a une perception beaucoup moins alarmiste de la nouvelle taxe envisagée. Il y en a qui l’assimilent à la TVA et qui croient qu’elle sera assumée par les consommateurs, ce qui n’est pas le cas toutefois. Il y en a qui pensent aussi qu’elle n’aura aucun impact sur le plan économique «d’abord parce que la proportion envisagée est dérisoire et n’affectera pas les entreprises, ensuite parce que l’échelle qui va du fabricant au consommateur est très réduite au Liban». Dans ces milieux, on ne manque pas de noter que le Liban est un pays essentiellement importateur et que par conséquent, l’effet de cascade n’est pas à craindre. On écarte également la possibilité que les 1% qui seraient prélevés sur le chiffre d’affaires favorisent la fraude fiscale. Au cas où la nouvelle taxe serait votée, aujourd’hui ou plus tard, il est évident qu’elle sera au centre d’une nouvelle polémique entre les partisans et les détracteurs de la politique fiscale et économique du gouvernement. Plutôt que de taxer le chiffre d’affaires des entreprises, M. Beydoun propose la mise en vigueur de la TVA qui renflouera le Trésor et aidera le Liban à s’acheminer progressivement vers l’abolition des barrières douanières. M. Yachouhi préconise pour sa part une échelle variable des taxes imposées aux sociétés, de manière à prélever le minimum des entreprises qui acceptent de s’implanter dans des régions éloignées et de contribuer ainsi au développement des zones rurales. L’essentiel, pour lui, reste la révision de l’impôt sur le revenu. Selon des sources bien informées, au cas où le gouvernement aurait le temps de plancher sur la taxe sur le chiffre d’affaires (69 sujets sont inscrits à l’ordre du jour de sa réunion qui se tiendra au Palais de Baabda), les ministres opposants comptent soulever la question de la politique fiscale suivie jusqu’ici. Tilda ABOU RIZK
Le Conseil des ministres va examiner aujourd’hui un projet de loi instituant une nouvelle taxe annuelle de 1% sur le chiffre d’affaires des entreprises. Cette nouvelle imposition suscite de fortes réserves dans certains milieux politiques et économiques, qui la trouvent injuste voire inapplicable, parce qu’elle constitue une charge supplémentaire pour les entreprises à...