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Actualités - OPINION

Tous vainqueurs

En aura-t-elle connu des outrages, la vieille dame depuis plus d’un demi-siècle enfermée dans son Palais de Verre de l’East River... Bousculée par l’Europe, envahie par l’Afrique et l’Asie qui y étaient devenues majoritaires, affamée par l’Amérique qui lui avait pratiquement coupé les vivres, rares étaient ceux qui la croyaient capable encore d’aborder le troisième millénaire de notre civilisation, celui de tous les dangers. Depuis que de Gaulle, impérial et impérieux, l’avait traitée de «machin», l’Organisation des Nations Unies se traînait au fil des ans et des crises, manquant disparaître à chaque fois et à chaque fois soutenue au dernier instant par ceux-là mêmes qui, à défaut de pouvoir lui trouver un substitut, se voyaient forcés, la mort dans l’âme, de l’accepter pour un temps indéterminé. Il faut rendre grâce à Kofi Annan d’avoir sauvé le Moyen-Orient d’un désastre aux retombées incalculables et aussi, par la même occasion, d’avoir restauré son prestige à une gardienne du monde qui en avait grand besoin. Voici l’Occident, et l’Amérique singulièrement, fixés: l’espace de quelques soubresauts encore, la communauté internationale aura besoin d’une instance qui, tout comme la démocratie pour les systèmes de gouvernement, demeure le moins mauvais des modes d’arbitrage. En revoyant les dernières semaines de la crise irakienne, il est aisé de comprendre comment le monde en est arrivé au point où, un moment qui aura paru à tout un chacun interminable, on a cru imminente ce que par une aberration de langage on s’obstinait à qualifier de guerre alors qu’il n’allait s’agir que d’un one man show militaire — et un salon d’armements que l’on fourguerait par la suite à certains Etats de la région... Bill Clinton et Saddam Hussein s’étaient si bien enferrés dans le piège que chacun avait tendu à l’autre qu’il ne restait plus qu’une alternative: pour le premier, recourir à la force; pour le second, accepter une médiation qui lui permettrait, en sauvant la face, d’épargner à son pays les affres et l’humiliation d’une nouvelle débâcle. Il faudra bien un jour — sans doute proche — révéler au monde toute l’importance du rôle joué à cette occasion par la France et la Russie dans la délicate partie qui a abouti à la signature du mémorandum depuis hier soumis à l’approbation du Conseil de Sécurité, elles qui pour l’heure ont choisi d’avoir le triomphe modeste. C’est en dégageant in extremis le ballon en direction du secrétaire général de l’ONU que l’Elysée et le Kremlin ont permis un miracle que nul ne croyait plus possible. «Entreprendre quoi que ce soit ne saurait être que mauvais; ne rien faire serait pire»: à force de se répéter ce slogan soigneusement élaboré par leur appareil militariste, les Etats-Unis avaient fini par se convaincre qu’il était impératif de déclencher l’offensive. Pour se rendre, à mesure que passaient les jours, à cette triple évidence: rien ne garantissait la destruction totale de l’arsenal que les services de renseignements prêtaient à Bagdad, ni surtout que ce matériel ne serait pas reconstitué à plus ou moins long terme; il était rien moins que sûr que l’actuel régime serait abattu; enfin, qu’au contraire, une fois tiré du guêpier, il ne ferait pas figure de héros aux yeux de l’opinion publique arabe. A l’opposé, la confiance affichée par les maîtres de Bagdad cachait bien mal de réelles inquiétudes: risque de démembrement qui ferait dans la région boule de neige, crainte de voir se disloquer le ciment populaire forgé à la faveur d’un embargo inique; quasi-certitude que les hésitations des alliés d’un jour finiraient par se dissiper, une fois terminée l’opération «Tonnerre du désert», devant les impératifs pétroliers, stratégiques et même politiques. D’autres considérations, il faut le dire, ont joué en faveur d’un retour à l’organisation internationale. Il y eut ainsi le réveil, que personne n’attendait, d’une jeunesse américaine que l’on croyait engourdie dans le cocon du bien-être économique et imperméable — ne l’ayant pas connu — au syndrome vietnamien. Et aussi la répugnance affichée par certains des fidèles alliés de la veille — «1998 n’est pas 1991», répétait doucement Annan — à reprendre du service sous la houlette du sergent-chef yankee, obligeant celui-ci à comptabiliser ses amis: Danemark, Pologne, Australie, Nouvelle-Zélande mais aussi, bien entendu, une Grande-Bretagne à laquelle on n’en demandait pas tant. Nombreux par ailleurs auront été les conseillers de l’Administration démocrate à en appeler à la morale, n’hésitant pas à citer au passage les thèses de Thomas d’Aquin et de Francisco Suarez sur la justesse des guerres. Il sera loisible, aujourd’hui que le danger est passé — pour combien de temps? —, d’établir un bilan des pertes et profits de part et d’autre, de proclamer vainqueur celui-ci ou celui-là, même de redessiner la carte des nouvelles alliances dans une région qui rarement autant qu’en ces journées aura frôlé d’aussi près le précipice. Quand bien même chancelante, la stabilité a été préservée. Et puis, n’est-ce pas que, comme la marche, une paix est faite d’une succession de chutes interrompues. Christian MERVILLE
En aura-t-elle connu des outrages, la vieille dame depuis plus d’un demi-siècle enfermée dans son Palais de Verre de l’East River... Bousculée par l’Europe, envahie par l’Afrique et l’Asie qui y étaient devenues majoritaires, affamée par l’Amérique qui lui avait pratiquement coupé les vivres, rares étaient ceux qui la croyaient capable encore d’aborder le...