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Actualités - REPORTAGE

La cour poursuit l'interrogatoire des inculpés dans l'affaire Karamé La confrontation entre Matar et Chidiac provoque un coup de théatre(photos)

Heureusement qu’il n’y a pas, dans la salle du tribunal, des personnes souffrant de troubles cardiaques. Car les rebondissements permanents du procès dans l’affaire de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé auraient pu leur être fatals. Hier, c’est encore une fois l’inculpé Antoine Chidiac qui a fait l’événement, en racontant à propos du brigadier Khalil Matar une nouvelle version — dont il dit s’être souvenu au cours des dernières 48h — qui fait de ce dernier un partenaire à part entière de Ghassan Touma dans les préparatifs de l’assassinat. Mais l’épisode raconté par Chidiac, avec son langage particulier et sa vivacité d’esprit, a l’air presque trop beau pour être vrai, tant ses éléments s’emboîtent avec une perfection étonnante. D’ailleurs, le brigadier n’a pu cacher sa surprise et sa révolte et, à certains moments, la confrontation entre les deux hommes, voulue par le président Mounir Honein pour vérifier certains points contradictoires dans leurs versions respectives, a pris des allures de règlement de comptes. Et comme les deux inculpés s’accusaient mutuellement de mentir, le président de la cour a eu cette phrase qui en dit long: «Peut-être mentez-vous tous les deux». Les avocats suivaient attentivement la confrontation et ceux du brigadier Matar ont essayé par la suite de détruire la nouvelle histoire racontée par Chidiac. Me Karim Pakradouni a, de son côté, relevé 27 contradictions dans les versions des deux hommes, qui se trouvaient pourtant, tous les deux, de leur propre aveu, à bord du bateau à partir duquel Ghassan Menassa a pressé le bouton de la radiocommande, actionnant l’explosif placé dans l’hélicoptère Puma No 906 à bord duquel se trouvait Karamé. Le débat aurait pu ne jamais prendre fin, surtout que, comme c’est devenu de règle dans ce procès, il suffit que la défense fasse une remarque pour que la partie civile se croit obligée de lui répondre, et vice versa. Mais le président y a mis un terme avant de passer à l’interrogatoire du troisième inculpé, Aziz Saleh... qui devrait être achevé mercredi prochain. Dès l’ouverture de l’audience, le président demande à Antoine Chidiac et au brigadier Matar de s’approcher du micro. Le contraste entre les deux hommes est d’ailleurs assez comique: l’un grand, l’allure distinguée avec son uniforme impeccable et ses galons, et l’autre petit, trapu, totalement débraillé dans son jeans et son pull informe, les yeux pétillants et le geste prompt. Le président commence par demander au brigadier ce qu’il pense de la version de Chidiac concernant son rôle à bord du bateau et Matar répond: «Ce que j’ai dit devant votre cour est la stricte vérité. Chidiac ment à cent pour cent». «Pourquoi mentirait-il?» insiste le président et Matar reprend: «Il doit le savoir. Mais je répète que c’est moi qui ai dit la vérité. D’autant que sa version n’est ni scientifique, ni réaliste». Chidiac l’écoute, un petit sourire ironique au coins des lèvres. A l’aide d’un dessin Prié de préciser en quoi la version de Chidiac n’est pas scientifique, Matar déclare qu’il aurait beaucoup de choses à dire, mais il ignorait qu’il devait prendre la parole aujourd’hui. Le président lui fait signe de s’approcher et, à l’aide d’un papier et d’un crayon, il explique comment la position de chacune des personnes présentes à bord du bateau, telle que décrite par Chidiac, est improbable, ainsi que le survol de l’avion et l’emplacement de la radiocommande. Comme Matar parle loin du micro, ni les avocats, ni les représentants du parquet (M. Addoum et Mme Ammache) ne peuvent saisir un mot. Les avocats protestent et le président déclare qu’il s’agit d’explications techniques qu’il serait préférable de développer dans une plaidoirie. Il demande ensuite à Chidiac s’il maintient sa version. «Bien sûr, répond vivement ce dernier. Je suis disposé à prêter serment. D’ailleurs, je me suis souvenu de certains éléments et je voudrais vous les dire». C’est là qu’il entame son nouveau récit. Selon lui, Matar se serait rendu au domicile de Ghassan Touma, le matin du jour où celui-ci a effectué sa seconde sortie en mer, avec Ghassan Menassa, Afif Khoury et lui-même Antoine Chidiac. Rappelons que, dans l’autre version de Chidiac, cette sortie avait eu lieu 15 jours avant l’attentat. Alors que le bateau s’était arrêté le long de la côte, entre Tabarja et Safra, il avait été survolé par un avion militaire, qui avait décrit trois cercles au-dessus de lui, avant de s’éloigner vers le Nord. Au moment du passage de l’avion, Ghassan Menassa s’était écrié: «Il fonctionne. Il s’est allumé», faisant allusion à un poste radio en sa possession. Chidiac raconte ainsi que le matin de ce même jour, entre 9 et 10h, Matar est arrivé chez Touma en combinaison «pleine de fermetures Eclair» (pour désigner la combinaison du pilote) d’une couleur verte unie. Il était resté quelque 15 minutes, puis était ressorti tenant dans la main un sac en plastique ouvert, enveloppant un poste radio, comme celui que Menassa avait devant lui, sur le bateau, le jour du drame et dont il a pressé le bouton pour mettre en marche l’explosif. Comme le survol du bateau par l’avion militaire a eu lieu entre midi et une heure, c’est comme si Matar était venu prendre le poste radio pour le mettre ensuite à bord de son avion et survoler ensuite le bateau afin de permettre à Menassa de tester le dispositif. Selon Chidiac, l’avion aurait survolé le bateau à trois reprises, les deux premières fois à une altitude «ni trop basse ni trop élevée» et la troisième fois à environ 100m. Me Abou Dib lui demande d’ailleurs comment il peut préciser une telle distance, alors qu’il avait dit, lors de l’audience précédente, qu’il ne savait pas évaluer les distances. Chidiac répond que lorsque c’est aussi près, il peut le faire, d’autant qu’il a pris en référence les immeubles du complexe Aquamarina; l’avion n’était pas beaucoup plus haut. La sortie en mer terminée, tout le monde retourne à la base navale de Jounieh. Mais, dans l’après-midi, entre 16h et 17h, Touma se rend à Jbeil, en compagnie de José Bakhos, le chef de sa garde personnelle, au restaurant Dalouna où Menassa l’attend déjà. Touma avait une voiture d’escorte. Le brigadier Matar est alors arrivé. Il est resté une demi-heure environ, puis tout le monde a quitté le restaurant. Mystérieuse valise La cour lui demande ensuite s’il peut montrer comment Matar portait le sac contenant le poste radio en sortant du domicile de Ghassan Touma. Chidiac s’empare alors d’une valise noire, placée à chaque audience par les soldats de la moukafaha à côté du box des accusés. Mais elle semble si lourde qu’il manque de tomber... Cette valise intrigue d’ailleurs beaucoup l’assistance et selon certains avocats de la défense, elle contiendrait un enregistreur... Interrogé par la cour, Matar nie toute l’histoire et précise que les tenues d’aviateurs n’étaient portées que dans l’enceinte de la base, juste au moment de voler. Il ajoute que sa tenue est bleue et qu’elle lui a été offerte par un ami civil. Il déclare ensuite que Chidiac connaissait ces tenues parce qu’il était venu à la base de Halate, notamment le jour où, après la guerre dite d’élimination entre les FL et l’armée, trois avions militaires avaient été déplacés de Halate à la base de Kleyate. Chidiac nie à son tour, affirmant qu’il ne s’est jamais rendu à la base. Il a été simplement une seule fois au domicile de Khalil Matar, proche de la base, en compagnie du beau-frère de Ghassan Touma, Henri Kheir. Le président lui demande pourquoi il s’est souvenu maintenant de cet épisode et Chidiac répond: «Je suis en prison depuis un an et sept mois et je n’ai rien d’autre à faire que de creuser ma mémoire. Ils m’ont tellement harcelé de questions sur cette sortie en mer, que j’ai fini par me souvenir de ces éléments». Interrogé par la cour sur l’identité de ces «ils», Chidiac répond: «Comment dites-vous, les avocats de la défense ou de la partie civile, je ne sais pas». Interrogé précédemment sur la rencontre du Dalouna (dont Matar avait parlé, mais en la situant dans un autre contexte), Chidiac avait déclaré qu’il n’y avait pas assisté et qu’il n’était pas au courant qu’elle devait se tenir et voilà que maintenant, il en parle. L’inculpé répond qu’on lui avait parlé d’un dîner. Or, il ne s’est jamais rendu le soir dans ce restaurant. Ce qu’il a raconté s’est passé en fin d’après-midi. Dans ses déclarations, Chidiac se réfère souvent à José Bakhos, son chef hiérarchique au sein des FL et principal témoin à charge dans cette affaire. A tel point que l’assistance a hâte de voir ce fameux José Bakhos. Me Rachad Salamé (avocat de Khalil Matar) lui demande pourquoi, en rapportant les propos de Ghassan Menassa à bord du bateau, il utilise le masculin, alors qu’en arabe, l’avion est féminin. «En évoquant l’avion au masculin, vous voulez surtout indiquer Matar clairement», ajoute l’avocat, mais le président l’interrompt en lui disant: «C’est votre conclusion». Pour sortir un peu de ce débat, Me Issam Karam rappelle à la cour que dans ce dossier, il existe deux maillons manquants: identifier la personne qui a choisi de transporter le président Karamé à bord de l’hélicoptère Puma No 906 et identifier la personne qui a placé l’explosif à bord du même hélicoptère, le «fameux technicien de la base d’Adma, petit et vif» selon la description de Ghassan Menassa, rapportée par le brigadier Matar. Pour l’avocat, c’est sur ces deux points que doivent porter les efforts de la cour. Mais le procureur Addoum riposte vivement: «Si Me Karam avait lu le dossier, il aurait su qu’un avis de recherche permanente a été lancé à ce sujet. Et dès que nous aurons de nouveaux éléments, nous les transmettrons aussitôt à la cour. Toutefois, le fait de ne pas connaître ces deux maillons ne signifie pas qu’il faut cesser de juger les personnes dont l’acte d’accusation a établi l’implication dans l’affaire...». «Le pigeon s’est envolé» De nouvelles discussions s’engagent mais le président décide d’y mettre un terme et entame l’interrogatoire de Aziz Saleh. Affilié aux FL en 1981, le jeune homme a commencé par se rallier à la caserne de Kattara, dont Geagea était responsable. Il a alors travaillé dans la section d’investigation, avant de s’engager, en 1983, dans le service de sécurité, sous les ordres de Ghassan Touma. Saleh avait un bureau à part au même étage que Ghassan Touma. Selon lui, Ghassan Touma lui aurait demandé d’accompagner à deux reprises Joseph Succar, responsable de la section photo au service de sécurité, afin qu’il photographie des positions militaires à Adma et au stade municipal de Jounieh. La veille du drame, il lui demande aussi d’accompagner Succar pour la même mission. Ce jour-là, le 1er juin 1987, il se rend d’abord avec Succar dans un lieu proche de Adma. C’est là qu’il entend Succar dire dans un poste TSF «Le pigeon s’est envolé». Il était entre 8h et 8h15. Les deux hommes sont ensuite revenus vers la base navale où Tony Obeid les attendait. Tous les trois se sont alors rendus à Beechti. Obeid s’est muni d’un caméscope, Succar de son appareil photo et de son TSF et ils sont descendus au bord de la mer, alors qu’il est lui-même resté près de la voiture, sa mitraillette à l’épaule. Au bout de 5 minutes, ils reviennent vers la voiture et Saleh raconte avoir entendu Obeid dire: «Par une pression de bouton, le premier ministre s’est envolé». Tous les trois sont ensuite retournés au bâtiment du service de sécurité à Beyrouth et chacun s’est rendu à son bureau. Vers midi, Saleh rencontre Tony Obeid tout souriant. Il lui demande la raison de sa joie et l’autre lui répond: «Le premier ministre s’est envolé». Saleh le suit dans son bureau et Obeid poursuit son discours. «Nous étions en pleine mer. Lorsque l’hélicoptère est passé à côté de nous, sur une pression de bouton, le premier ministre s’est envolé». Le téléphone sonne à cet instant, et Obeid déclare: «Je dois me rendre chez Touma». Vigilants, ses deux avocats, MM. Abdo Abou Tayeh et Sleimane Lebbos, se dressent comme un seul homme dès qu’il y a une phrase qui risque d’être mal interprétée. Mais l’homme est très réservé, s’en tenant à sa version et répondant un prudent «je ne sais pas» à tout le reste. La cour veut savoir comment un responsable comme lui a pu être choisi pour assurer la protection de Joseph Succar au cours de sa mission photographique. Là aussi, il répond: «Je ne sais pas». Son interrogatoire se poursuivra mercredi. Les avocats de la partie civile ne le ménageront pas. D’autant que, devant le juge d’instruction, José Bakhos avait déclaré avoir reconnu sa voix, disant dans le T.S.F. «Le pigeon s’est envolé» au décollage de l’hélicoptère No 906 de la base d’Adma. Pour lui aussi donc, le témoignage de José Bakhos risque d’être particulièrement crucial. Scarlett HADDAD
Heureusement qu’il n’y a pas, dans la salle du tribunal, des personnes souffrant de troubles cardiaques. Car les rebondissements permanents du procès dans l’affaire de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé auraient pu leur être fatals. Hier, c’est encore une fois l’inculpé Antoine Chidiac qui a fait l’événement, en racontant à propos du brigadier Khalil...